
Paris, le lundi 29 avril 2019 – Colloques, sites dédiés, rubriques spécifiques dans les médias, interviews politiques : la circulation des fausses informations est l’objet d’une attention soutenue. Pourtant, le phénomène est loin d’être nouveau, comme le remarque avec justesse le ministre de la Santé dans une interview accordée à Paris Match sur le sujet. « La circulation de rumeurs et la construction de fausses informations dans le but de nuire ont toujours existé » rappelle Agnès Buzyn. Et des premiers journaux imprimés à la radio, tous ont redouté que les nouveaux médias ne favorisent encore davantage ce triomphe du scoop en forme de mensonges.
Très nombreuses, les fakenews sont-elles pour autant si influentes ?
Cependant, beaucoup considèrent qu’internet accroit encore aujourd’hui le phénomène. « Sur Internet, leur diffusion est instantanée, virale, autoalimentée par les internautes eux-mêmes et amplifiée par le pouvoir de l’écrit et de l’image. Sur Twitter, une étude récente du Massachussetts-Institute of Technology montre qu’une fake-news met en moyenne six fois mois de temps à parvenir à un groupe d’internautes qu’une information factuelle ! » cite à cet égard Agnès Buzyn. Cela signifie-t-il obligatoirement que le pouvoir de nuisance des fake news se soit accru ? La question est complexe : les travaux les plus sérieux ne sont pas encore très nombreux et les outils d’évaluation manquent également. En effet, difficile de mesurer "l’audience" et encore plus l’impact réel d’une fake news en ne se concentrant que sur le nombre de partages, tant le "partage" d’un article ne signifie pas nécessairement qu’on y adhère ou même qu’on l’a lu…
Défiance vis-à-vis des experts
La question concerne également le domaine de la santé.. Ainsi, certains considèrent que la diffusion des théories complotistes anti-vaccinales sur internet a contribué à la baisse de la couverture vaccinale (même si là encore pour se laisser convaincre par ce type de thèses il faut souvent déjà y être acquis). Plus certainement (mais de façon plus difficile encore à évaluer), la circulation de fausses nouvelles pourrait nourrir la défiance vis-à-vis des experts et des institutions. Ainsi, Agnès Buzyn rappelle comment « Selon un sondage récent, la moitié des Français pensent que les agences sanitaires sont de connivence avec les laboratoires, alors qu’elles n’ont jamais eu un tel niveau d’exigence réglementaire en termes de transparence, d’indépendance et de sécurité des soins » relève-t-elle, même si elle ne nie cependant pas l’influence de certains scandales réels, dont celui du Mediator, sur cette évolution.
Exercice pratique : l’homéopathie
Outre cette remise en cause de la parole des experts, Agnès Buzyn identifie deux autres dangers associés à la diffusion de fausses nouvelles médicales : la perte de crédibilité de traitements efficaces et corollaire de ce premier effet « la popularité croissante de traitements inefficaces, de médecines factices qui se présentent comme parallèles ou alternatives. Cela peut entraîner des retards de diagnostic et de prise en charge pour des patients souffrant de maladies sévères, comme le cancer ». Inévitablement, une telle prise de conscience doit conduire à s’interroger sur la reconnaissance officielle de certaines pratiques alternatives, dont l’homéopathie. Sur ce point, Agnès Buzyn fait le même constat que de nombreux experts : si en soi la pratique de l’homéopathie ne peut pas être considérée comme dangereuse, le statut dont elle bénéficie (à travers le remboursement) contribue à légitimer des pratiques non fondées sur les sciences. « A travers la propagation de fausses croyances, on peut aboutir à la remise en cause de la politique de santé de tout un pays » avait constaté il y a quelques semaines le professeur Alain Fisher lors d’un colloque sur les fakenews médicales. Agnès Buzyn abonde dans son sens quand elle observe : « Si les produits homéopathiques ne sont pas nocifs en eux-mêmes, détourner les patients de la médecine réellement efficace en donnant une forme de légitimité à des thérapies qui ne produisent aucun effet scientifiquement prouvé est une pente dangereuse » affirme-t-elle sans nuance. Dès lors certains y verront un appel sans fard au déremboursement des produits homéopathiques. Pourtant, Agnès Buzyn refuse la précipitation et ajoute : « L’homéopathie en France doit-elle toujours être remboursée ? Le problème est qu’elle n’a jamais été évaluée avec la même rigueur que les médicaments avant sa mise sur le marché. J’ai donc demandé à ce qu’elle le soit scientifiquement : si elle est utile, elle restera remboursée, sinon elle ne le sera plus ». Ce renvoi à l’évaluation scientifique satisfera ceux qui rappellent que l’objectivité doit toujours s’imposer (même face à ce qui est considéré selon tous les critères de la science comme probablement sans efficacité) mais décevra ceux qui séduits pas le diagnostic d’Agnès Buzyn considéreront son traitement bien timide, voire jésuitique.
Aurélie Haroche