
Paris, le samedi 27 mai 2023 – Déremboursement de l’homéopathie, mise à l’index des naturopathes (et autres « praticiens non conventionnels ») de l’annuaire Doctolib des professionnels de santé, travail inlassable d’une poignée de médecins sur les réseaux sociaux pour rappeler l’inefficacité de certaines pratiques comme l’ostéopathie : rien n’y fait, les Français continuent à plébisciter ce type d’approches… il faut dire défendues par un grand nombre de praticiens soit médiatiquement (comme Michel Cymès) soit académiquement reconnus (nombre de professeurs de médecine ont signé des tribunes récentes en faveur d’une perspective nouvelle sur les « médecines complémentaires »). Une récente enquête réalisée par Odoxa pour l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de secte (Unadfi), avec le soutien financier de la Miviludes, révèle en effet que 70 % des Français interrogés ont une image positive des thérapies alternatives. Ils sont mêmes jusqu’à 57 % à considérer que ces dernières sont au moins aussi efficaces que la médecine classique… même si quand on les interroge sur les pathologies les plus graves, ils ne sont plus que (mais tout de même) 36 % à soutenir la même idée.
Un bouclier fragile
Face à un tel engouement, quelle réponse peuvent et doivent apporter les pouvoirs publics ? Les dangers associés aux médecines alternatives sont nombreux et ont souvent été énumérés ici. Qu’il s’agisse d’un risque direct en raison de pratiques nocives (ce qui peut par exemple être le cas avec les manipulations ostéo-crâniennes des nourrissons), les retards de traitement ou encore d’une façon plus générale la discréditation de la médecine fondée sur les preuves scientifiques, les menaces sont multiples.
L’interdiction, outre le fait qu’elle doit s’équilibrer avec les principes fondamentaux de liberté, semble être une méthode à utiliser avec précaution, notamment parce que la « clandestinité » pourrait encore renforcer le risque de dérives sectaires dont on sait qu’il est grandement associé à ces médecines dites complémentaires (mais qui n’apportent que très rarement un vrai complément). Le contrôle et la régulation sont dès lors des voies à privilégier, même s’il est illusoire de penser qu’elles effaceront totalement le charlatanisme. Pourtant, favorables à une telle solution, des membres du Collège universitaire des médecines intégratives et complémentaires auteurs d’une tribune publiée dans le Monde en novembre dernier observaient ainsi : « La loi du 9 août 2004 réglementant l’usage du titre de psychothérapeute est, à ce titre, remarquable. Depuis le décret du 7 mai 2012, l’obtention de ce titre par l’agence régionale de santé est conditionné à une formation théorique minimale pouvant aller jusqu’à quatre cents heures et à cinq mois de stage (pour les candidats n’ayant pas de formation initiale en médecine ou en psychologie). Cette loi a-t-elle fait disparaître les charlatans de l’écoute, les conseillers thérapeutes, les gourous ? Certes non ».
De la même manière, l’IGAS a cette semaine noté qu’en dépit des efforts de labellisation engagés ces dernières années concernant les écoles d’ostéopathie, des manquements significatifs persistent. Néanmoins, les auteurs de la tribune, dont Fabrice Berna, professeur de psychiatrie à l’université de Strasbourg est le premier signataire, renchérissent : « Et, on peut ajouter que, même dans le cadre de la médecine conventionnelle, certains professionnels insuffisamment compétents exercent ! Mais cette loi a eu le mérite d’offrir un cadre réglementaire lisible, garant d’une certaine sécurité et d’une certaine éthique du soin. Les patients disposent désormais d’un repère pour mieux choisir vers qui s’orienter ».
Aveu d’échec
Aussi, plaident-ils pour une réglementation plus large et signalent que plusieurs de nos voisins ont fait un tel choix. « C’est ce choix qu’ont fait certains de nos voisins européens, en Allemagne depuis presque cent ans, en Suisse depuis moins de dix ans. Leur exemple pourrait être une source d’inspiration pour sortir de notre impasse française consistant en une contradiction caricaturale qui dénonce tout en laissant faire » notent-ils.
Bien sûr le contrôle apporté par la réglementation ne peut cependant pour certains amoindrir l’aveu d’échec qu’une telle mesure suppose. Echec de l’éducation à l’esprit scientifique en santé qui aurait dû permettre de détourner les patients de pratiques non fondées sur les sciences. Par ailleurs, les plus dubitatifs quant à la pertinence d’une réglementation notent que cette « légitimation » des médecines parallèles (ardemment souhaitée par un grand nombre de représentants des ostéopathes, naturopathes et autres énergéticiens) risque de renforcer encore le sentiment partagé par beaucoup (y compris chez les professionnels de santé) que la médecine n’est pas une science comme les autres.
Enfin, l’aveu d’échec concerne également la constatation de l’incapacité de la médecine fondée sur les preuves (souvent appelée médecine « conventionnelle », terme qui ne rend pas compte de la légitimité de sa différence avec les pratiques alternatives) à répondre au défi rempli par l’ostéopathie, la naturopathie et autres. C’est-à-dire la prise en compte du patient dans sa globalité, son écoute complète, qu’oublient trop souvent les médecins « classiques » (faute de temps principalement) favorisant l’échappement des patients vers d’autres praticiens.
Médecine intégrative : une supercherie trop séduisante pour être honnête
Ces réserves (majeures) mises à part, les grandes questions de la régulation et du contrôle concernent les instances en charge de ces missions et les critères appliqués. Le ministre délégué aux professions de santé Agnès Firmin Le Bodo a annoncé en mars la création d’un « comité d’appui pour l’encadrement des pratiques de soins non conventionnelles (…) afin que cessent par exemple, de coexister (…) de façon indifférenciée les dérives sectaires et les pratiques auxquelles ont recours des professionnels de santé en appui de l’exercice ». La composition de ce comité d’appui n’est pas encore dévoilée mais les pistes interrogent. Outre le fait qu’Agnès-Firmin Le Bodo n’a pas hésité lors qu’elle était député à apporter son soutien à la controversée agence des médecines complémentaires et adaptées, on sait que les travaux souhaités par le ministre devraient être suivis par le Professeur Grégory Nicot, entre autres vice-président du collège universitaire des médecines intégratives et complémentaires. Or, la notion même de « médecine intégrative » doit susciter une certaine réserve.
Le professeur Edzard Ernst (université d'Exeter, Royaume-Uni) décryptait dans l’Express en novembre dernier combien les « axiomes » de la médecine intégrative, aussi séduisants puissent-ils paraître sont en réalité trompeurs, voire « absurdes ». « Dans le domaine des thérapies alternatives, peu de sujets sont plus trompeurs que celui, très à la mode, de la "médecine intégrative". Pour ses partisans, la médecine intégrative repose principalement sur deux principes. Le premier est celui de la "prise en charge globale de la personne", et le second est souvent appelé "le meilleur des deux mondes". (…) Les praticiens des soins de santé intégratifs, nous dit-on, ne se contentent pas de traiter les plaintes physiques d'un patient, mais s'occupent de l'individu dans son ensemble : corps, esprit et âme. Cela semble séduisant pour les patients et, à première vue, cette approche est tout à fait louable. Pourtant, un examen plus attentif révèle des problèmes majeurs. La vérité est que toute bonne médecine est, était et sera toujours holistique : les médecins de famille d'aujourd'hui, par exemple, devraient s'occuper de leurs patients en tant qu'individus à part entière, traitant du mieux qu'ils le peuvent les problèmes physiques ainsi que les questions sociales et même spirituelles médicalement pertinentes. (…) Déléguer l'holisme aux praticiens de la médecine intégrative reviendrait à abandonner un élément essentiel des bons soins de santé et à rendre un très mauvais service aux patients d'aujourd'hui, au détriment des soins de santé de demain. Il s'ensuit que la promotion de la médecine intégrative sous la bannière de l'holisme est un non-sens total. (…) La médecine intégrative est souvent décrite comme "le meilleur des deux mondes". Ses défenseurs prétendent utiliser le "meilleur" de la médecine alternative et le combiner avec le "meilleur" de la médecine conventionnelle. Là encore, ce concept semble louable. Mais, à y regarder de plus près, de sérieux doutes apparaissent. Ils s'articulent autour de l'utilisation du terme "meilleur". Nous devons nous demander ce que signifie le terme "meilleur" dans le contexte des soins de santé. (…) Le terme "meilleur" ne peut que désigner "le plus efficace" ou, plus précisément, "associé au bilan bénéfices - risques le plus positif et le plus convaincant". Si nous comprenons le "meilleur des deux mondes" de cette manière, le concept devient pratiquement synonyme de "médecine fondée sur les preuves" (Evidence Based Medicine en anglais) sur laquelle reposent les soins de santé modernes. (…) Et si "le meilleur des deux mondes" est synonyme de médecine basée sur les preuves, nous n'avons alors clairement pas besoin de cette duplicité déroutante qu'est la médecine intégrative ; elle ne ferait que détourner les efforts prometteurs de la "vraie" médecine pour améliorer continuellement les soins de santé. En d'autres termes, le deuxième axiome de la médecine intégrative est aussi absurde que le premier », assassinait-il.
Quel consentement éclairé avec des thérapies dont l’efficacité n’a pas été prouvée ?
Cette argumentation concernant « le meilleur des deux mondes » montre combien est délicat (pour ne pas dire hypocrite) le choix des critères pour mettre en place la réglementation et le contrôle des pratiques alternatives. Dans un texte plus récent, le professeur Ersnt mettait en évidence à travers un exemple les limites d’une réglementation. « La loi garantirait que les praticiens respectent les règles fondamentales de l’éthique médicale (avec la nécessité d’un consentement éclairé du patient par exemple) et ne proposent que des pratiques ayant démontré leur efficacité. Mais cela crée un problème apparemment insurmontable, car la plupart des méthodes alternatives ne sont PAS fondées sur des preuves. Un simple scénario pourrait expliquer cela plus en détail. Imaginons qu’un malade souffrant de douleurs abdominales consulte un ostéopathe (qui promeut activement l’idée qu’il peut traiter cette affection). Le praticien souhaite recourir à des manipulations vertébrales mais, pour respecter le principe du consentement éclairé, il doit informer le patient que l’efficacité de ce traitement n’a pas été démontrée et qu’il comporte des risques. En outre, l’ostéopathe serait tenu d’indiquer qu’il ne connaît pas la cause de la douleur, qui pourrait même être un cancer, et qu’un médecin serait bien mieux placé pour établir un diagnostic et entamer une thérapie efficace. Un ostéopathe va-t-il faire tout cela et ainsi perdre son patient et ses honoraires ? Même un exemple aussi simple montre à quel point la réglementation des praticiens des médecines alternatives est une question délicate. Les gouvernements du monde entier se sont heurtés à ce problème et ont mis en place divers types de compromis. Sans exception, ces compromis présentent un inconvénient majeur : ils créent une double norme en matière de soins de santé, avec des règles strictes pour les médecins et d’autres plus souples pour les thérapeutes alternatifs. Or il n’est pas souhaitable d’avoir deux poids, deux mesures », jugeait-il.
Le trompe l’œil de l’auto-régulation
Cependant, l’absence de réglementation, on le sait, et cela est constaté régulièrement facilite les dérives. Parmi elles, l’autorégulation qui donne l’illusion d’un contrôle et crée un sentiment trompeur de sécurité. Ainsi, récemment, la Société anti-usurpateurs du soin (SAUS) a épinglé comment l’annuaire des naturopathes validé par le syndicat des naturopathes pouvait compter des praticiens ayant été formés par Irène Grosjean (dont les théories totalement scandaleuses ont déjà été évoquées dans ces colonnes) et comment la soi-disant vigilance de l’organisation n’était qu’un leurre. Une telle démonstration qui sans être un plaidoyer pour une réglementation par l’Etat (que ne soutient probablement pas la SAUS) est en tout cas une confirmation que si une telle voie était suivie, elle devrait éviter le plus possible d’impliquer les « praticiens » concernés dans les instances de régulation. Mais comment faire pour assurer la bonne volonté des « thérapeutes » ? Voilà une nouvelle interrogation qui semble confirmer encore un peu le caractère illusoire d’une telle entreprise.
Sans avoir l’espoir de trouver des réponses définitives à ces questions, on relira néanmoins la tribune du Collège universitaire des médecines intégratives et complémentaires : https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/10/il-est-temps-d-accorder-une-place-raisonnee-aux-medecines-alternatives-dans-le-systeme-de-soins_6149270_3232.html
Edzard Ernst,
https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/medecine-integrative-les-charlatans-avancent-masques-par-le-pr-edzard-ernst_2183724.html et https://www.lexpress.fr/sciences-sante/medecines-douces-reglementer-oui-mais-comment-par-le-pr-ernst-E7YHFF2VZJAWXCR7CG4K55SVIU/
La Société anti-usurpateurs du soin https://twitter.com/La_saus
Aurélie Haroche