
Paris, le lundi 23 janvier 2023 – L’annonce publique par une jeune youtubeuse de sa volonté d’avoir recours au suicide assisté en Belgique relance le débat sur la question, et plus particulièrement sur l’euthanasie des patients atteints de troubles psychiatriques.
Comme beaucoup de jeunes filles de son âge, « Olympe » (c’est un pseudonyme) publie sur les réseaux sociaux les images d’une vie apparemment idyllique, faite de voyages au bout du monde et de shopping, ce qui lui a permis de se créer en quelques années une communauté de plus de 250 000 fans. Mais le 11 janvier dernier, la jeune femme de 23 ans a publié sur Instagram une vidéo bien différente de ses publications habituelles, puisqu’elle y exprime sa volonté d’avoir recours au suicide assisté en Belgique. « Je vais recourir au suicide assisté, même si je suis quelqu’un de très résilient, j’ai mes limites et elles ont été poussées à leurs extrêmes, je sais très bien que je pourrais faire des thérapies mais je suis épuisée » explique la youtubeuse, en larmes.
Depuis plusieurs années, Olympe explique à travers ses vidéos souffrir d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI), une maladie psychiatrique si rare que son existence même est contestée par certains psychiatres, mais qu’on retrouve en revanche très souvent mise en scène dans des films à suspense américains (« Psychose » et « Fight Club » par exemple). Dans l’émission de témoignages de France 2 Ça commence aujourd’hui, la jeune femme avait expliqué en 2021 vivre avec quinze personnalités différentes, appelées « alter », au sein de son esprit.
« On ne programme pas des fins de vie à aussi longue distance »
La vidéo d’Olympe a été abondamment discutée ces dernières jours par plusieurs psychiatres, d’un coté et de l’autre de la frontière belge. Plusieurs spécialistes belges de l’euthanasie ont notamment voulu infirmer les propos de la jeune fille, qui affirme avoir déjà programmé son euthanasie pour la fin de l’année. « On ne programme pas des fins de vie à aussi longue distance » explique le Pr François Damas, qui répond à des demandes d’euthanasie à l’hôpital de Liège.
Ce grand défenseur de la loi belge sur l’aide active à mourir rappelle également qu’une autorisation d’euthanasie n’est accordée qu’au bout d’un long processus au cours duquel l'état psychiatrique du patient est examiné, procédure qu’Olympe n’a visiblement pas encore débuté. « Personne n’a entendu parler d’Olympe parmi les médecins belges qui travaillent dans les consultations pour fin de vie, il faut un suivi et l’avis de deux psychiatres qui attestent que son état ne peut pas s’améliorer pour obtenir un accord pour une euthanasie » explique le spécialiste.
Le Dr Yves de Locht, généraliste bruxellois qui pratique des euthanasies, dit avoir été contacté par Olympe mais ne l’a encore ni rencontrée, ni consulté son dossier médical. « Les psychiatres vont sans doute vouloir mettre un traitement, voir comment cela évolue, cela va être pour elle un chemin long et difficile ».
La Belgique est-elle un modèle à suivre ?
Alors qu’une convention citoyenne composée de citoyens tirés au sort planche depuis le 9 décembre dernier sur l’évolution de la législation française concernant l’accompagnement de la fin de vie, certains, dont le Président de la République lui-même, appelle à s’inspirer du modèle belge. La Belgique, qui a légiféré sur le sujet en 2002, est l’un des pays qui permet l’aide active à mourir le plus largement, l’euthanasie étant légale pour les enfants et pour les personnes ne souffrant que de troubles psychiatriques. Cependant, cette dernière indication continue à susciter le débat. En octobre dernier, la médiatisation du cas de Shandi de Corte, une jeune femme de 23 ans dépressive ayant eu recours au suicide assisté, avait suscité d’importantes discussions.
En France, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) recommande de n’autoriser le suicide assisté que pour les personnes souffrant de troubles somatiques. Dans un récent sondage réalisé sur notre site, 58 % de nos lecteurs se disaient favorables à la légalisation de l’aide active à mourir, mais ils n’ont pas été sondés sur cette question sensible des troubles psychiatriques. La complexité de ces cas est illustrée par la demande d’Olympe, à propos de laquelle, le Dr Christian Falvigny, pédopsychiatre, considère qu’elle ne doit pas être « prise au pied de la lettre ». « L’intention de suicide n’est jamais chez les jeunes un désir de mourir, prétendre l’assister en déclenchant sa mort, ce n’est pas saisir la main désespérée qu’il nous tend (…) cautionner l’option de mort ne traduirait pas notre empathie à l’égard de sa souffrance mais le fait de s’en désintéresser » estime ce farouche opposant à la légalisation de l’euthanasie.
Quentin Haroche