Fongicides SDIH : remise en cause de l’évaluation de l’ANSES
Paris, le mercredi 29 janvier 2020 –Les inhibiteurs de la
succinate déshydrogénase (SDHI), enzyme cruciale pour le
fonctionnement des mitochondries, sont des fongicides utilisés pour
lutter contre les moisissures qui s’attaquent à différentes
cultures. Ces substances sont disponibles sur le marché depuis une
cinquantaine d’années, ce qui permet de disposer d’un recul
important quant à leur toxicité. Les quantités consommées demeurent
cependant restreintes.
Un signal rapidement analysé
Fin 2017, le professeur Pierre Rustin, généticien et directeur de
recherche au CNRS qui se consacre depuis de nombreuses années aux
maladies mitochondriales constate que les SDHI, en raison de leur
absence de spécificité, peuvent en théorie avoir une action sur la
SDH de tous les organismes. Immédiatement, il fait part de son
inquiétude à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
L’agence répond rapidement à ce "signal" et analyse l’ensemble des
données disponibles en France et à l’étranger. Plusieurs chercheurs
proches de Pierre Rustin et signataires avec lui d’une pétition
réclamant une interdiction des SDHI participent à ces travaux. Les
résultats sont cependant rassurants : « A partir de l’examen de
l’ensemble des données scientifiques actuellement disponibles,
réalisé par un groupe d’experts indépendants, l’Anses concluait à
l’absence d’alerte sanitaire pouvant conduire au retrait des
autorisations de mise sur le marché de ces fongicides. Elle lançait
cependant un appel à la vigilance au niveau européen et
international, et soulignait la nécessité de renforcer la recherche
sur de potentiels effets toxicologiques chez l’Homme » rappelle
l’Anses dans une mise à jour récente.
Des études in vivo pas parfaitement probantes
Ces conclusions sont loin de satisfaire Pierre Rustin et les
associations écologistes dont il est proche, d’autant plus qu’en
novembre 2019 le spécialiste publie dans la revue Plos One les
résultats d’une étude menée in vitro confirmant la capacité des
fongicides de bloquer la SDH des cellules humaines. Cependant, ses
travaux présenteraient de nombreuses limites : les doses utilisées
sont très largement supérieures à celles retrouvées dans la vie
réelle ; tandis que les cellules étudiées étaient privées de
glucose. « Aujourd’hui sur ces études in vivo, on n’a pas de
signal (…) qui montrerait un effet qui soit toxique et qui fasse
craindre un risque sanitaire », analysait la semaine dernière
auditionné par le Sénat, le patron de l’Anses, Roger Genet. Aussi,
même si son évaluation est toujours en cours, l’agence continue à
considérer que les données disponibles sont insuffisantes pour
conclure à l’existence d’un risque pour la santé humaine. Elle
s’appuie en outre d’une part sur la bonne élimination des SDHI par
l’organisme humain et d’autre part sur l’absence de signalements
particuliers émanant des registres des maladies mitochondriales
(même si elle finance à hauteur de 450 000 euros une investigation
toujours en cours « des données du registre national du
paragangliome héréditaire lié à une mutation de l’un des gènes SDH,
pour préciser l’évolution de l’incidence de ce type de pathologie
et réaliser un étude cas témoin à partir du registre national
»).
Au nom du principe de précaution
Le professeur Rustin reconnaît lui-même que ses données
manquent de robustesse. Cité par Le Point, il souligne : «
Je n'ai jamais prétendu que les SDHI causaient des maladies, je
n'en sais rien. Je dis simplement que quand les mitochondries ne
marchent pas bien, on devient malade, et que s'il y a imprégnation,
on peut accélérer ces maladies. Je montre qu'il y a un danger, et
qu'il est réel. Je ne montre pas que c'est toxique pour l'homme
! ». Cependant, forts de ses conclusions, il estime
indispensable une application du principe de précaution d’autant
plus que selon lui l’efficacité de ces fongicides n’est elle-même
pas parfaitement démontrée. L’offensive qu’il mène ne cesse de
prendre de l’ampleur : une nouvelle pétition a été publiée la
semaine dernière dans Le Monde signée par 450 scientifiques
(mais sans les spécialistes qui avaient signé la première et qui
depuis ont pris part à l’évaluation de l’Anses) qui n’hésite pas à
évoquer le spectre d’une « catastrophe sanitaire » et à
remettre sévèrement en cause l’Anses, des réclamations ont été
faites devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques (OPECST) et une action en justice
est en préparation.
Une agence déçue mais toujours au travail
L’ensemble de la communauté scientifique est cependant loin de
soutenir cette attaque contre l’Anses. Cette nouvelle remise en
cause du travail d’expertise de cette agence et cette possible
confusion entre risque et danger sont considérées comme des
entraves à une politique sanitaire et scientifique raisonnée. Par
ailleurs, l’absence de remise en question par certains des
scientifiques engagés de leur "conflit d’intérêt" en raison de leur
proximité avec des associations anti-capitalistes peut être
regrettée. Au sein de l’Anses, en tout état de cause, certains
supportent mal cette nouvelle guerre et estiment que la violence
des accusations perpétrées contre l’agence reflètent l’absence
d’argumentation scientifique : « Pour supprimer les pesticides
sans arguments scientifiques, il faut salir, ou supprimer l'agence
qui les évalue », ironise ainsi un membre de l’agence cité par
Le Point. Côté officiel, l’institution insiste sur la qualité de
l’expertise mise en œuvre et le maintien de la vigilance. « Deux
projets de recherche sont en cours, financés par le plan Ecophyto
et le programme national de recherche environnement-santé-travail
de l’Anses pour un montant d’environ 600 000 euros, afin
d’approfondir au plan toxicologique et mécanistique les modalités
d’action des fongicides SDHI. L’Anses a également saisi l’Inserm
afin que la question des effets des SDHI sur la santé soit prise en
compte dans le cadre de l’expertise collective en cours visant à
actualiser les connaissances des effets sanitaires liés aux
pesticides. Cette actualisation prendra en compte les publications
scientifiques récentes dont l’article publié le 7 novembre 2019
dans la revue scientifique PLOS One évoquant la toxicité de
fongicides SDHI sur des cellules cultivées in vitro » signale
l’Agence dans un récent communiqué alors qu’elle devrait bientôt
publier de nouvelles conclusions sur le sujet.
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