
Paris, le vendredi 11 septembre 2020 – Deux rapports récents,
l’un de l’Assemblée Nationale, l’autre de la Cour des Comptes,
concluent à l’impossibilité de chiffrer le montant de la fraude
sociale en France.
1 milliard d’euros ? 7 milliards d’euros ? 25 milliards
d’euros ? Le montant de la fraude aux prestations sociales nourrit
beaucoup de fantasmes en France depuis de longues années. Le
rapport rendu par la Cour des Comptes ce mardi sur la question ne
risque pas d’arranger les choses. L’enquête des magistrats
financiers aboutit en effet à un constat d’échec : « les données
disponibles ne permettent pas de parvenir à un chiffrage
suffisamment fiable ». La Cour des Comptes avait pourtant été
saisie de la question après qu’un rapport parlementaire ait conclu
en 2019 à « l’impossibilité matérielle » d’évaluer cette
fraude !
Au total, 1 milliard d’euros de fraude ont été détectés par
les organismes sociaux. Mais pour connaitre le montant réel des
pertes subies par la collectivité, on en est réduit à des
conjectures et projections. La Caisse nationale d’Allocations
Familiales l’estime à 2,3 milliards d’euros pour la seule branche
famille. La commission d’enquête parlementaire qui a également
rendu son rapport ce mardi, a choisi une fourchette très large,
puisqu’elle estime la fraude à un montant compris en 14 et 45
milliards d’euros !
Des millions d’assurés fantômes
Si la Cour des Comptes manque de chiffre précis, elle n’est au
contraire pas avare en recommandation pour « assécher à la
source », selon ses propres termes, la fraude sociale. Selon
les magistrats, outre la nécessité d’évaluer précisément le montant
des pertes, la Sécurité sociale doit d’urgence se pencher sur la
question des prestataires fantômes. Au total, la France compterait
entre 72,4 (selon la Sécurité sociale) et 75 millions (selon la
Cour des Comptes) d’assurés, pour une population de 67 millions de
personnes. Ces assurés surnuméraires seraient essentiellement des
personnes ne résidant plus en France mais dont les droits n’ont pas
été clôturés.
La Sécurité Sociale reconnait dénombrer 2,4 millions de
bénéficiaires fantômes à l’Assurance maladie. « Cet excès est en
soi considérable » s’indigne Pascal Brindeau, député et
rapporteur de la commission d’enquête parlementaire. La France
compterait également entre 152 000 (selon la Sécurité Sociale) et
573 000 (selon l’Assemblée Nationale) cartes vitales surnuméraires.
Sur ce point, la Cour des Comptes recommande la dématérialisation
des cartes vitales, afin d’améliorer leur individualisation.
De manière plus globale, la Cour souhaite réorganiser la lutte
contre la fraude sociale. A l’heure actuelle, l’efficacité de cette
mission pâtit d’une certaine complexité administrative (sic).
Chaque organisme social travaille dans son coin, de manière plus ou
moins active, sans communiquer ses données aux autres organismes.
Sur ce point, la Cour regrette notamment que la Sécurité Sociale
n’est pas accès au Ficoba, le fichier national des comptes
bancaires, ce qui lui permettrait de savoir si les prestations sont
véritablement versées. Les députés appellent quant à eux de leur
vœux la création d’une agence unique de lutte anti-fraude, dotée de
pouvoirs d’enquêtes et d’effectif important. A l’heure actuelle,
seul 4 000 agents sont affectés à la lutte contre la fraude
sociale.
Une trop grande complaisance vis-à-vis des professionnels de santé
Enfin, la Cour veut serrer la vis aux fraudeurs. Elle souhaite
ainsi renforcer les contrôles contre les particuliers bien surs, à
l’image de la CAF, qui n’hésite pas à mener des contrôles à
domicile chez les allocataires du RSA. Mais elle demande également
que soit mieux surveillée les professionnels de santé, responsable
d’une grande partie de la fraude selon les magistrats financiers.
La Cour, qui préconise la dématérialisation progressive des
prescriptions médicales, constate une certaine complaisance des
organes de contrôles vis-à-vis des soignants : trop peu de
déconventionnements (seulement 20 par an), de contrôles ou de
plaintes devant les ordres (157 en 2019 contre 346 en 2011).
QH