Frénotomie linguale chez les nourrissons : une épidémie irrationnelle

Paris, le lundi 24 janvier 2022 - La prise en charge médicale des petits maux des nourrissons est l’objet d’abondantes conversations sur les réseaux sociaux. Les jeunes parents sont en effet nombreux à être à l’affut des méthodes considérées comme révolutionnaires pour apaiser les pleurs et les éventuelles difficultés d’alimentation ou d’endormissement de leurs petits. Ils sont également très inquiets à l’idée de ne pas déceler assez précocement un trouble d’abord mineur mais qui pourrait avoir des conséquences sur le développement futur.

Explosion dans les pays anglo-saxons

Dans ce contexte, l’engouement pour la frénotomie linguale des nourrissons n’est guère étonnant. Les pays anglo-saxons ont d’abord été concernés.  Au Canada, le nombre de diagnostic d’ankyloglossie qui se caractérise par un frein lingual trop court et/ou épais est passé de 6,86/1000 naissances en 2002 à 22,6/1000 naissances en 2014 et les frénotomies concernaient cette année-là 14,7 enfants pour 1000 naissances contre 3,76 douze ans plus tôt. Même tendance aux États-Unis où les diagnostics de freins de langue restrictif ont été multipliés par quatre entre 2003 et 2012 et les frénotomies par cinq, tandis qu’en Australie, la chirurgie du frein de la lange a augmenté de 420 % entre 2006 et 2016. En France, les chiffres manquent (comme bien souvent) mais les professionnels constatent que les demandes d’intervention sont de plus en plus fréquentes.

Effet de mode

Difficultés pour prendre le sein, douleurs liées à l’allaitement pour la mère, reflux gastro-œsophagien : petit à petit les troubles associés à l’ankyloglossie s’élargissent, sans compter que certains évoquent un risque de troubles de l’élocution. « Nous sommes passés d’une situation où cette problématique de frein de langue court était méconnue de la grande majorité des professionnels à une situation où des personnes qui se prétendent spécialistes de l’allaitement se sont mises à en voir partout, de façon délirante et abusive », décrivait il y a quelques mois dans le Figaro, le Dr Gisèle Gremmo-Féger, pédiatre et coordinatrice du diplôme lactation humaine et allaitement à l’université de Lille. Elle constatait encore : « Nous assistons à une véritable épidémie de sur-diagnostics, en dépit de toute rationalité. On peut parler d’un effet de mode car, derrière cet emballement non documenté sur le plan scientifique, il y a parfois des enjeux financiers ».

Des données plus robustes indispensables

En réalité, les cas d’ankyloglossie demeurent rares et plus encore ceux entraînant des difficultés majeures d’allaitement. Par ailleurs, l’application de nombreux conseils permet le plus souvent de résoudre les problèmes rencontrés par les mères qui souhaitent nourrir leur enfant au sein. Cependant, souvent encouragés par des groupes promouvant l’allaitement, la frénotomie linguale est présentée sur certains forums comme une solution miracle, voire comme un passage obligé. Aussi, plusieurs organisations de pédiatres et de spécialistes de l’allaitement viennent de signer un communiqué commun pour appeler à la plus grande prudence. Elles émettent cinq recommandations, rappelant tout d’abord qu’en l’absence de difficultés, la présence d’un frein de langue court et/ou épais n’est pas une indication chirurgicale.

Elles insistent par ailleurs pour que cette indication soit uniquement posée par des professionnels de formation universitaire ou ayant une formation agréée alors que le cas de chiropracteurs ou d’ostéopathes délivrant des conseils dans ce sens sont régulièrement signalés. Ces sociétés savantes notent encore que la chirurgie doit demeurer exceptionnelle. Elles appellent enfin à une meilleure formation des professionnels de santé en ce qui concerne la préparation à l’allaitement et plaident pour que des études méthodologiquement rigoureuses permettent une description plus standardisée de l’ankyloglossie, une précision des indications de la frénotomie et une évaluation de la réelle efficacité et de la tolérance de cette intervention qui peut entraîner des complications trop souvent négligées par ses défenseurs.

Une tendance globale

Ces spécialistes, à l’instar du Dr Gisèle Gremmo-Féger se montrent particulièrement choqués que des praticiens préconisent une intervention alors que les preuves de sa pertinence manquent. Outre l’appât du gain, ils y voient une nouvelle manifestation d’un déficit de culture scientifique chez certains professionnels y compris des médecins.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Une nouvelle mode?

    Le 25 janvier 2022

    L'indication d'une section du frein de la langue pour brièveté est l'incapacité de l'enfant à sortir sa langue de la bouche. L'intervention est très simple, une section sous une sédation suffisante. Cette éventualité est rare et n'empêche absolument pas le nourrisson de téter ou de prendre un biberon où la protraction de la langue n'est pas utilisée. Le diagnostic d'ailleurs est rarement précoce tant le nourrisson n'est en fait pas gêné.
    L'ankylglossie est différente, rare mais en général dans un contexte malformatif plus important. Son traitement chirurgical est très difficile, c'est autre chose et c'est un vraie malformation.

    Dr Astrid Wilk (chir. maxillo-faciale en retraite)

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