
Paris, le mardi 3 janvier 2023 – Hier, le collectif Médecins pour demain annonçait avec « amertume » prolonger son appel à la fermeture des cabinets de médecine libérale, face à l’absence de réponse du gouvernement. Depuis le 26 décembre, ce groupe, né sur Facebook, (où il compterait 16 000 « participants »), soutenu par la Fédération des médecins de France (FMF), l’Union française pour une médecine libre (UFML), le Syndicat des médecins libéraux (SML) et Jeunes médecins (mais pas par les syndicats majoritaires que sont la Confédération des syndicats médicaux français, CSMF et MG France), invite les praticiens à la grève pour dénoncer des conditions d’exercice de plus en plus difficiles et réclamer un « choc d’attractivité » qui doit passer selon lui par un doublement du tarif de la consultation.
Baisse de l’activité de 10 % par rapport à une fin d’année sans grève
Certains porte-paroles de Médecins pour demain ont avancé ces derniers jours des chiffres pléthoriques quant à la participation des praticiens à la grève. « Le mouvement de grève a été extrêmement bien suivi la semaine dernière. Selon les régions, 60 à 80 % des généralistes y ont participé. C’est une mobilisation historique ! (…) Cela montre que les professionnels libéraux sont prêts à se mobiliser pour défendre leur profession, leurs patients et l’accès aux soins » a par exemple affirmé dans les colonnes du Quotidien du médecin l’une des fondatrices du mouvement, le Dr Christelle Audigier (médecin généraliste). Cependant, hier, interrogé par franceinfo, Thomas Fâtome, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a apporté un sévère démenti : « Quand on regarde l'activité des médecins généralistes dans la dernière semaine de 2022, elle est en baisse de 10 %. On n'est pas sur les mêmes chiffres qu'évoque le collectif. L'immense majorité des généralistes n'ont pas suivi ce mouvement de grève, ce qui est assez compréhensible dans la période d'épidémie que nous connaissons. On a simplement une baisse de 10 % par rapport à une activité normale de fin d'année » a détaillé le directeur de la CNAM.
Tentative de démobilisation
Le large écart entre les chiffres annoncés par le collectif et ceux du directeur de la CNAM s’explique sans doute par la très faible représentativité de ce groupe, tandis que ses « adhérents » sont en réalité plus certainement des « inscrits » à un groupe Facebook. Ainsi, sur Twitter, l’ancien journaliste économique, Jean-François Couvrat (qui a notamment écrit pour la Nouvelle République) ironise : « Donc, selon le collectif « médecins pour demain », qui compterait 16 000 membres, 60 % de ceux-ci ont fait grève. Cela fait 9 600 généralistes, sur les 102 000 que compte ce pays. Soit 9,4%… ». Voilà, un taux (qui demeure encore une approximation) qui semble se rapprocher davantage des données de la CNAM.
Cependant, l’estimation de la participation reste difficile. D’abord, la période des fêtes de fin d’année ne permet guère de distinguer un cabinet fermé pour cause de grève et un cabinet fermé pour cause de vacances. Par ailleurs, moins péremptoire que Christelle Audigier, Bénédicte Marvill, médecin généraliste à Toulouse, relève sur France Bleu : « Nous n'avons pas les chiffres exacts du terrain parce qu'il est compliqué de référencer le nombre de grévistes, parce qu'en tant que libéraux, nous n'avons pas à nous déclarer grévistes. Donc nous aurons les chiffres un petit peu plus précis dès la semaine prochaine. Mais je peux vous assurer que le mouvement est très suivi. On voit d'ailleurs l'impact que ce mouvement a sur les services d'urgences ». Elle assure que la différence entre les données de la CNAM et celles du groupe révèle la volonté du directeur de « minimiser notre mouvement afin d'essayer de nous démobiliser ».
Une grève sans unanimité
Quelle que soit la réalité des chiffres, en tout état de cause, le directeur de la CNAM semble en effet déterminé à la plus grande sévérité vis-à-vis de ce mouvement. Il a ainsi qualifié deux fois d’« extravagantes » les revendications tarifaires des praticiens libéraux. Avec de telles déclarations, Thomas Fatôme s’inscrit non seulement dans le sillage de plusieurs représentants politiques (dont Elisabeth Borne) mais fait également écho aux dissensions que provoque dans le corps médical cet appel à la grève. La semaine dernière, dans les colonnes du Figaro, Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF) relevait « Il faut d'abord considérer que cette revendication exige le doublement de leur salaire* ce qui est assez conséquent. Si les hospitaliers ou les cheminots demandaient ça, tout le monde serait vent debout. Ensuite, ils mettent leur grève au moment où de nombreux médecins libéraux sont déjà en vacances, et ne tiennent pas compte de la crise absolument catastrophique que nous vivons dans les hôpitaux publics. Cette grève entraîne donc un abandon, en quelque sorte, de la population et de la demande des malades, ce que je trouve assez inquiétant. Je n'ai pas à juger leur grève, mais je pense qu'on a une responsabilité collective à l'égard des malades. De plus, je vois beaucoup de demandes de rémunération dans leurs revendications, mais très peu de propositions structurantes pour le système de santé. Je remarque aussi que de grandes organisations comme MG France, qui sont toujours force de proposition, ne participent pas à la grève. On ne sait donc pas s'ils sont vraiment tous d'accord avec ces revendications ». Loin d’être isolée, la position de Patrick Pelloux est reprise par un certain nombre de professionnels de santé sur Twitter qui déplorent également certains excès du collectif Médecins pour demain sur son groupe Facebook, notamment vis-à-vis des infirmières de pratique avancée.
Invisible
Ces critiques et ce flou concernant l’ampleur du mouvement ne font cependant pas pâlir la détermination des organisateurs. La Fédération des médecins de France et l’UFML multiplient ainsi les communiqués pour une large participation à la manifestation parisienne du 5 janvier. Dans un communiqué lyrique, le président de l’UFML, le Dr Jean-Paul Marty n’hésite pas même à qualifier la médecine générale de « profession invisible aux yeux de la majorité des responsables politiques ».
Pour choisir la médecine libérale, il faut être stupide
Plus encore que la réponse des médecins libéraux à l’appel à la grève, difficile, au-delà des bruissements de Twitter et des réactions médiatiques, de mesurer l’écho de ces messages chez les praticiens non-grévistes. Une certaine crispation a cependant pu s’exprimer chez certains médecins réquisitionnés pour les gardes de la Saint Sylvestre ou du 1er janvier. Chez nos confrères d’Egora, une femme médecin réquisitionnée ce dimanche raconte ainsi : « Je ne suis pas gréviste. Dans un contexte de grève, aller réquisitionner les médecins grévistes, ça a du sens. Mais aller réquisitionner ceux qui ne sont pas grévistes, qui sont déjà volontaires, qui travaillent le samedi pour assurer la permanence des soins dans une zone déficitaire où toute l'année, on fait face à une pénurie… je me sens en colère ! ». Le SML a également dénoncé des réquisitions aveugles qui ont concerné ce week-end des médecins récemment victimes d’agression. Mais quels que soient les ressentiments éventuels des uns et des autres, beaucoup partagent l’idée de la nécessité de renforcer considérablement l’attractivité de la profession. Le correspondant d’Egora qui a décidé de se désinscrire de la liste des praticiens volontaires remarque ainsi : « L'ironie, c'est que je suis maître de stage universitaire et qu'actuellement je travaille avec une externe en 6e année qui va choisir sa spécialité dans quelques mois. Ces six dernières semaines, elle a vu un médecin qui travaille de 8 heures à 20 heures tous les jours, qui était complètement débordé et ne parvenait pas à faire face à tous les appels arrivant au cabinet. Le pompon, c'est cette réquisition. Si elle n'est pas stupide, elle ne choisira pas la médecine générale, mais une autre spécialité où il n'y aura ni garde ni réquisition. Ou peut-être un exercice salarié. Car ce qu'on a lui a donné à voir ces dernières semaines, ça ne fait pas envie du tout ».
Rendez-vous le 5 janvier pour une probable meilleure appréciation de l’ampleur de la mobilisation.
*Rappelons que les praticiens libéraux ne touchent pas de
salaires mais des honoraires.
Aurélie Haroche