
Paris, le samedi 26 novembre 2016 – La lecture des communiqués syndicaux et de certains reportages a tôt fait de provoquer un sentiment de désarroi mêlé d’inquiétude quant au moral des médecins libéraux. Burn out, malaise, déplaquage : les termes utilisés dessinent une profession qui ne semble tenir qu’en raison du sentiment d’une responsabilité vis-à-vis des patients. Les enquêtes se multiplient démontrant que les médecins ne recommanderaient pas cette vocation à leurs enfants. L’urgence est réelle. Bientôt, le poids des tâches administratives, du harcèlement des caisses, les exigences trop marquées des malades étoufferont toute vocation, tandis que les pouvoirs publics ne font qu’aggraver encore les difficultés. L’absence de reconnaissance et les contraintes de l’exercice se referment en étau sur des médecins déjà au bord de l’asphyxie. Le point de non retour n’est pas loin.
« Le libéral, c’est de la folie »
De nombreux médecins (une majorité ?) ne se reconnaissent pas dans ces descriptions outrées. Bien sûr, la paperasse s’accumule. Il faut parfois multiplier les appels aux centres de sécurité sociale et garder sa patience face à certaines exigences ubuesques des malades. Mais les praticiens continuent à aimer leur métier. Leur cabinet. De nombreux médecins sont encore heureux. Tel est le sens des témoignages réunis depuis plusieurs mois sur le blog Jeunes généralistes et heureux de l’être (créé par le syndicat ReAGJIR, Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants). Ouvert pour répondre à certains poncifs tels que « Le libéral, c’est de la folie » ou encore « Les jeunes médecins n’ont pas la vocation », voire « Le seul moyen c’est de les obliger », ce blog reçoit les posts de jeunes praticiens installés en ville (et souvent à la campagne) qui prennent la parole pour décrire leur quotidien et leur satisfaction.
Une évidence
« En France, on a une spécialité : râler. Je passe mon temps à voir les patients râler contre la sécu, le gouvernement, leur patron, la météo, …Mes collègues, eux, font de même avec la sécu et le gouvernement, bien sûr, l’URSSAF, la CARMF » énumère le docteur 3L, bien décidé à ne pas céder à cette morosité ambiante. Car la médecine est d’abord l’accomplissement d’un rêve, d’une « évidence » selon le mot du docteur F.H., qui utilise également, comme d’autres, le terme de « passion ». « Au début certaines spécialités m’ont attiré mais c’est finalement la médecine générale que j’ai choisie, parce qu’elle englobe la médecine dans son ensemble et met le patient au centre de la réflexion » nous explique-t-il. Et ce choix ne déçoit pas. Je suis « ravie de faire le métier que je fais et que j’ai choisi » conclue le docteur V.F., une déclaration qui fait écho à celle du Dr 3L qui ajoute « Je ne regrette absolument pas de m’être installé ».
La considération des patients : la première des récompenses
La première raison de cet enthousiasme se fonde dans la reconnaissance des patients. « Beaucoup de patients ont voulu que je soigne toute la famille sur 3 à 4 générations et m’ont laissée entrer dans leur intimité. Exercer en territoire semi-rural "fragile démographiquement" a surement aidé à cela. Je suis les enfants, les futures-mamans et mères, leurs conjoints, les grands parents voire arrière-grands parents. Il faut le dire, cette considération est très valorisante, très agréable » explique ainsi le docteur V.F. après neuf mois d’installation dans un cabinet de groupe. On trouve le même enthousiasme sous la plume du docteur V.S. qui décrit : « J’ai une relation de confiance qui se noue avec mes patients, je vois les petits bouts grandir, mamie Odette me parle de ses petits enfants… ». « C’est l’exercice, c’est les patients, les professionnels avec qui nous travaillons qui nous donnent envie de rester » indique pour sa part le docteur S.
La souplesse, un vrai plus
Cependant, ce contact avec les patients, même s’il aurait été différent, aurait également pu se nouer dans l’exercice hospitalier. Le choix du libéral tient également de la souplesse et de la diversité offertes par cet exercise. Une perception qui tranche avec la vision habituelle qui se concentre sur les contraintes. Le Docteur DL remarque ainsi « Chacun travaille à son rythme et souvent a des activités annexes : des gardes aux urgences de hôpital, des consultations au centre de planification, un tiers temps à l’hôpital dans le service de rééducation, des consultations d’homéopathie… C’est ça les joies de la médecine générale c’est que chacun y trouve son bonheur », résume-t-elle encore, avant de souligner : « J’ai du temps pour moi pour mon conjoint, mes amis, et la famille ».
Le docteur FH se montre également satisfait de la diversité de ses activités : « Je fais des vacations dans une structure sportive, de la régulation téléphonique en plus des gardes de secteur, de la formation » énumère-t-il et précise : « Je fais de grosses journées, mais pas tous les jours ». De fait, cette souplesse n’empêche pas une activité souvent intense, dont les médecins ne se plaignent pas nécessairement. « Je commence à 9h00, après avoir déposé mes enfants à l’école. 1h30 de pause à midi pour manger. Je termine vers 19h30. 4,5 jours par semaine et 7 à 8 semaines de congés par an. Ca fait quoi … 45 h à 48 h de travail par semaine et pas 70 heures comme le disent certains collègues » calcule le docteur 3L.
Des tâches administratives loin d’être insurmontables ou ubuesques
Cette satisfaction n’empêche pas les médecins du blog d’évoquer les aspects plus fastidieux de l’exercice et notamment les tâches administratives, pointées du doigt dans différentes enquêtes comme le principal fardeau des médecins libéraux. Le docteur V.F. en fait une description détaillée. « Je lis mes courriers à la fin de mes consultations du matin (entre zéro et quinze) et je consulte les biologies directement sur la messagerie sécurisée. Cela me prend une vingtaine de minutes. Je fais toutes mes demandes de prise en charge ALD via l’Espace Pro (simplification des demandes en ligne très très appréciable) et directement en consultations. Il est important à mon sens que les patients nous voient faire ces démarches, idem pour les dossiers MDPH, assurances, etc. Je fais ma compta journalière en fin de journée, 10 minutes max ! Une fois par mois, je vérifie mes tiers payant car j’en fais énormément (ALD, maternité pour les femmes enceintes et les examens systématiques des enfants de moins de 2 ans, les AT, CMU, ACS, AMO et exceptionnellement AMC hors ACS) : une heure » indique-t-elle ajoutant avoir confié sa comptabilité à un professionnel. Plus directe, le docteur 3L invite à nuancer les discours catastrophistes habituels en résumant : « Oui, les tâches administratives sont prenantes. Mais pas insurmontables ». Même appréciation en ce qui concerne les rapports avec les institutions, dont l’évocation ne met pas ici en évidence l’idée d’un harcèlement souvent présente dans les communiqués syndicaux. L’une des possibles raisons de cette satisfaction chez ces médecins se trouve dans le choix d’un exercice en groupe, ce qui permet de déjouer le piège de la solitude. Evoquant l’exercice pluri professionnel, le docteur S. signale des débuts prometteurs : « J’ai rencontré des gens, motivés, ayant une vision de la médecine identique à la mienne. Ils étaient en plus sympathiques ».
L’argent, un bien nécessaire
Ces médecins heureux n’en ont pas moins quelques revendications, quelques regrets. Concernant la rémunération, ces jeunes praticiens ne semblent pas en faire un tabou. « Entre la première réunion et l’entrée dans les murs : tout le monde était motivé puis on a parlé argent, investissement financier, implication » explique par exemple S. à propos de la création de son cabinet de groupe. Le docteur F.H. admet encore : « Bien sûr les contraintes sont nombreuses, l’exercice libéral implique beaucoup de gestion et l’argent occupe encore une place non négligeable dans la relation médecin-patient ». Mais c’est le docteur V.F. qui se montre la plus transparente sur le sujet en notant : « Ne soyons pas hypocrites, je n’ai rien contre l’idée de gagner plus d’argent » admet-elle à propos des revendications tarifaires des syndicats.
Des syndicats qui passent à côté de l’essentiel
Cependant, ces derniers ne semblent pas avoir une perception parfaite des attentes réelles des médecins. « Je me trouve détestablement "non représentée" au niveau des têtes d’affiches nationales soi-disant "représentatives", en cette année de négociations conventionnelles particulièrement. Mon métier se vit certes dans les yeux de mes patients mais aussi à une échelle plus large du peuple français. La communication de la profession est assurée par les 4-5 syndicats historiques mais à mon avis l’essentiel n’était pas de savoir si ma consultation vaut 23 ou 25 €, mais de savoir quelle médecine nous aurons en France d’ici 5, 10, 20 ans » remarque le docteur V.F. adhérente aujourd’hui au syndicat ReAGJIR. La même déception s’observe en ce qui concerne l’incapacité des pouvoirs publics à répondre aux véritables enjeux.
Engagez vous : vous ne le regrettez pas !
Cette joie d’exercer la médecine, la minimisation des difficultés réelles, est telle chez ces médecins que ceux qui quittent l’exercice (pour la réalisation d’un projet personnel) ne peuvent cacher leur tristesse, tandis que ceux, heureux qui restent ne peuvent qu’inviter : « Je ne regrette absolument pas de m’être installé. Ce petit sourire des résidents de l’EHPAD après ma visite. Ce bisou du petit garçon que je viens pourtant de vacciner. Ce pot de confiture offert de bon cœur par une patiente dépressive pour me remercier de mon soutien. Ce sont mes légions d’honneur, dixit Mr René Goscinny. Faites médecine générale ! Et installez vous ! » exhorte le docteur 3L.
Si vous aussi vous êtes heureux et avez envie de vous rapprocher de vos semblables ou si au contraire le médecin satisfait vous semble une espèce en voie de disparition, vous pouvez aller visiter le blog « jeune médecin généraliste et heureux de l’être » à l’adresse : https://jesuisjeunegeneraliste.reagjir.fr/.
Aurélie Haroche