
Paris, le samedi 23 septembre 2017 – Le début de l’automne coïncide maintenant avec l’approche du mois dédié au cancer du sein, souvent baptisé Octobre rose. Ces dernières années, de nombreuses critiques ont été formulées contre cette opération, critiques que nous avons régulièrement relayées dans ces colonnes. Longtemps sourdes à ces observations, les autorités sanitaires et les associations ont enfin accepté de nuancer quelque peu leur rose. Ainsi, on a vu La Ligue contre le cancer, qui a pourtant assez activement participé aux manifestations d’Octobre rose, mettre en garde cette semaine contre le "pinkwashing". « Octobre rose devient une mobilisation prétexte à des communications opportunistes, désordonnées, voire mercantiles » dénonce l’organisation.
Surtout, l’Institut national du cancer (INCA) a très récemment rendu publique sa nouvelle brochure d’information sur le dépistage du cancer du sein. Répondant aux critiques formulées par la concertation conduite l’année dernière sur ce dépistage, ce document se fait fort d’apporter aux femmes les éléments leur permettant un choix réfléchi et indépendant. Cependant, comme nous l’avons remarqué, la brochure n’évite pas un ton résolument favorable au dépistage et se montre assez sibylline sur les sujets qui fâchent.
Des informations transmises sans nuance
De manière plus complète, les docteurs Cécile Bour, Marc Gourmelon et Philippe Nicot, qui animent le site www.cancer-rose.fr ont passé la brochure au crible des dix-sept points clés qui devraient, selon les auteurs d’un article publié dans le British Medical Journal, être systématiquement abordés dans un document sur le dépistage du cancer du sein. Quelques-uns de ces critères sont remplis par la brochure de l’INCA. Celle-ci est parfaitement claire concernant le risque de développer un cancer du sein au cours de la vie. Elle évoque également la question de la survie après un cancer du sein et de la réduction du risque relatif : soit des thèmes plutôt en faveur du dépistage. La brochure signale également la possibilité de douleur au cours de la mammographie et ne fait pas l’impasse sur le sur diagnostic bien qu’il soit abordé « un peu rapidement » jugent les auteurs de Cancer Rose.
De nombreux éléments introuvables
Les points qui fâchent sont beaucoup plus nombreux. Certains éléments clés sont d’abord totalement absents. Rien n’est par exemple dit sur le risque de « décéder d’un cancer du sein au cours de la vie ». On reste également sur sa faim si l’on souhaite en savoir plus sur le nombre de femmes qui doivent se soumettre au dépistage pour éviter un décès par cancer du sein. Le livret est encore silencieux sur les carcinomes in situ, sur le sujet du sur-traitement, sur l’effet du dépistage sur le nombre de mastectomies, le risque relatif de radiothérapie et la détresse psychologique en rapport avec les faux positifs.
Survie en milieu informatif hostile
Suggérant peut-être plus certainement encore une possible "manipulation" de l’information, sur plusieurs points, enfin, la brochure est imprécise ou met en avant des chiffres qui peuvent se révéler trompeurs. Cécile Bour et ses confrères épinglent plusieurs cas de ce type. Concernant la survie après cancer du sein, ils observent : « La brochure en parle et met en avant la survie de 99% pour un cancer pris "précocement". Mais sans expliquer ce que cela signifie. La "survie" mesure plutôt la durée de vie du cancer. Elle donne une illusion d’optique : par l’anticipation de la date de "naissance" du cancer trouvé lors d'un dépistage, on a l’impression d’un allongement de la vie après cancer, alors que la durée de la vie de la personne n’est en rien changée. Prenons une espérance de vie pour une femme donnée de 73 ans, si chez cette femme un diagnostic de cancer est posé par dépistage à l'âge de 67 ans, elle rentrera dans les statistiques de survie à 5 ans. Si le diagnostic est réalisé plus tard, vers l'âge de 72 ans, lors de la survenue d'un symptôme par exemple, alors cette même femme ne rentrera pas dans les statistiques de survie. La survie à 5 ans entraîne une illusion de succès, alors que l'espérance de vie des femmes en France n'est en rien modifiée depuis le dépistage » signalent ces praticiens.
Risque relatif vs risque absolu
De même, à propos de la réduction du risque relatif et du risque absolu : « En page 8 il est écrit : "Les études internationales estiment que ces programmes permettent d’éviter entre 15% et 21% des décès par cancer du sein". Il s'agit là de l'indication uniquement du risque relatif. Les rédacteurs font fi de la revendication des citoyennes de ne plus être bernées par des chiffres qui ne signifient pas ce qu'ils semblent dire. Les 20% de décès en moins ne signifient en aucun cas que 20 femmes en moins sur 100 mourront de cancer du sein si elles se font dépister. Ces 20% ne correspondent qu'à une réduction de risque relatif entre deux groupes comparés de femmes. En fait, selon une projection faite par le Collectif Cochrane (6) basée sur plusieurs études, sur 2 000 femmes dépistées pendant 10 ans, 4 meurent d’un cancer du sein ; sur un groupe de femmes non dépistées dans le même laps de temps 5 meurent d’un cancer du sein, le passage de 5 à 4 constitue mathématiquement une réduction de 20% de mortalité, mais en valeur absolue un seul décès de femme sera évité (risque absolu de 0,1% ou 0,05%) En fait cela correspond à une réduction de risque absolu de 0,05% (1 femme sur 2000) à 0,1 % (1 femme sur 1000) au terme de 10 à 25 années de dépistage selon les estimations retenues (américaines, revue Prescrire, US TaskForce). C’est pour cela que les citoyennes avaient exigé lors de la concertation une présentation en données réelles, et non en pourcentages qui enjolivent la situation » s’emportent les auteurs. Ces derniers jugent encore que les données présentées concernant la valeur prédictive positive ne sont pas assez précises.
Les bonnes questions pas forcément soulevées
Au total, la note obtenue est très médiocre puisqu’elle ne dépasse pas le 6/20 (5/17) ; un score trop bas pour qu’on puisse simplement le mettre sur le compte d’une volonté de clarté pédagogique. D’autant plus que le diagnostic s’assombrit quand les auteurs du site cancer rose s’intéressent à la façon dont la brochure évoque les études contradictoires, le rayonnement délivré lors des mammographies et l’histoire naturelle de la maladie.
A propos des premières, Cécile Bour et ses confrères pointent le fait que l’INCA parle d’études « peu nombreuses », alors qu’elles ont au contraire « abondé ». Les auteurs du site épinglent en outre la persistance d’une confusion entre « petitesse du cancer découvert et précocité de découverte ». Cécile Bour et ses confrères regrettent enfin une certaine tendance à l’alarmisme en revenant sur un paragraphe spécifique de la brochure : « "Si vous développez un cancer du sein et si vous n’avez pas réalisé régulièrement un dépistage, il sera diagnostiqué à un stade plus avancé. Cela réduira les chances de guérison et aura un impact plus important sur votre qualité de vie. En effet, la lourdeur des traitements, leur dangerosité parfois, et leurs séquelles sont notablement plus importantes en présence d’un cancer diagnostiqué à un stade avancé." Il y a deux problèmes dans cette affirmation. Elle est d'un alarmisme inutile et ne repose sur aucune étude, la véritable question à se poser étant plutôt : "Quels sont les avantages à ne pas se faire dépister? " (La brochure posant celle-ci, page 7 : "Quels sont les risques à ne pas réaliser le dépistage du cancer du sein ?"). L'affirmation d'une lourdeur de traitement diminuée grâce à une détection "précoce" est contredite par l'étude Harding (7) aux Etats Unis, par les méta-analyses de Cochrane (6) et de la Revue Prescrire (8 9 10), qui notifient l'augmentation des chimio-et des radiothérapies, avec les conséquences sous forme de complications thrombo-emboliques, cardiaques, de néoplasie radio-induite même pas effleurées dans le livret » insistent-ils.
Cet exercice de décryptage met bien en évidence la persistance d’un refus des autorités d’aborder de manière frontale l’existence de controverses autour du dépistage du cancer du sein auprès du grand public, refus dont ne s’étaient pas cachés les responsables de l’INCA au moment de la remise des conclusions de la concertation citoyenne.
Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site Cancer-rose : https://www.cancer-rose.fr/analyse-critique-du-nouveau-livret-dinformation-de-linca/
Aurélie Haroche