Intérim : le gouvernement se donne-t-il les moyens de lutter contre ce phénomène ?

Paris, le mardi 8 novembre 2022 – Qu’il s’agisse de médecins ou d’infirmiers, le nombre de postes vacants ne cesse de croitre dans les hôpitaux français, atteignant jusqu’à 30 %. Pour y faire face, les directions hospitalières ont régulièrement recours à l’intérim ; cette solution étant désormais utilisée par tous les types d’établissements, y compris les CHU.

Le taux de recours au travail temporaire atteindrait ainsi près de 20 % pour le personnel médical selon une étude de la DGFIP datant d’octobre 2021 (incluant l’intérim médical strict et les contrats de gré à gré de courte durée), précise le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. La situation n’est pas neuve : alors qu’il n’était encore que député (socialiste), Olivier Véran avait consacré en 2013 un rapport remarqué sur le sujet.

Depuis, les gouvernements successifs (dont ceux qui placèrent Olivier Véran avenue de Ségur) ont tenté de prendre des mesures pour limiter ce phénomène, en raison des coûts très élevés pour les hôpitaux, tandis que le recours aux intérimaires pourrait altérer la qualité de la continuité des soins. Cependant, face aux difficultés rencontrées par les établissements pour assurer leur bon fonctionnement sans le recours aux intérimaires, les mesures ont souvent été suspendues.

Du sang et des larmes


Aujourd’hui, François Braun semble décidé à faire face à toutes les frondes et souhaite même aller encore plus loin que les dispositifs déjà actés. Ainsi, on se souvient qu’une loi adoptée en 2016 sous l’égide de Marisol Touraine voulait limiter à 1170,04 euros le salaire brut maximum pour une journée de vingt-quatre heures de travail effectif pour les médecins à partir de 2020 contre 1 404,05 euros (le premier plafond) en 2018.

Cependant, cette disposition est dans les faits diversement appliquée. Aussi, le gouvernement d’Edouard Philippe a fait adopter dans le cadre de la loi Rist une nouvelle disposition qui prévoit que le comptable public rejette systématiquement le paiement d'une rémunération dépassant le plafond. Ce texte devait entrer en vigueur il y a un an quasiment jour pour jour. Mais face aux inquiétudes d’un grand nombre d’établissements, le gouvernement a repoussé son application.

Cependant, le nouveau ministre de la Santé est déterminé à mettre fin aux atermoiements et a annoncé que la loi Rist serait dûment exécutée au printemps prochain. Il ne se fait guère d’illusions quant aux difficultés auxquelles il faudra faire face et a ainsi prévenu récemment devant les sénateurs de la commission des Affaires sociales : « Cela va créer des problèmes, c’est évident ».

Il prédit déjà : « Les intérimaires vont se mettre en grève ou refuser de travailler. Ça va durer un mois. Il faut que les établissements puissent anticiper, puissent collaborer entre eux. Mais nous devons agir, et agir maintenant ». Si la détermination du ministre est louable, les précédents font craindre des lendemains difficiles. En octobre dernier, certains établissements évoquaient une situation « d’une extrême gravité » alors que se profilait l’application de la loi Rist. Depuis, la crise hospitalière s’est sinon aggravée tout au moins sans doute pas améliorée comme en témoignent par exemple actuellement les tensions dans les services de pédiatrie.

La bataille de l’attractivité


Pourtant, outre l’application de la loi Rist, le gouvernement a prévu de porter une autre estocade à l’intérim, en limitant la possibilité pour les jeunes diplômés d’exercer en intérim, qu’il s’agisse de médecins ou d’infirmiers. Cependant, le texte du PLFSS est encore imprécis en ce qui concerne la durée d’exercice minimale nécessaire pour pouvoir travailler en intérim. Les jeunes diplômés sont aujourd’hui minoritaires parmi les intérimaires : l’Agence d’emploi des métiers de la santé (AGEMS) indique ainsi que « les diplômés de moins de deux ans ne représentent qu’environ 20 % de nos missions ».

Cependant, il n’est pas impossible que ces nouvelles dispositions nuisent à l’attractivité de certaines carrières. En effet, l’intérim est régulièrement utilisé par les plus jeunes comme une façon de multiplier les expériences avant de s’orienter plus fermement dans une voie. C’est ce que révèle une enquête réalisée par l’AGEMS auprès de 1047 infirmières intérimaires.

Parmi les 19 % de participantes qui ont commencé à faire de l’intérim dès leur sortie de l’Institut de formation en soins infirmiers, « la volonté de découvrir de nouveaux services avant de prendre un poste » est la seconde raison la plus fréquemment citée pour expliquer ce choix, après la liberté de planning. Cette dernière est, qu’elles aient choisi de faire de l’intérim tout de suite après leurs études ou non, la première des motivations des infirmières, bien avant les conditions de rémunération.

Et de la même manière, celles qui avant d’épouser l’intérim ont occupé un poste à temps plein dans un hôpital public, l’ont quitté pour échapper aux « impératifs » de planning. N’avoir aucune prise sur son emploi du temps, y compris lors de ses jours de repos au cours desquels les rappels sont de plus en plus fréquents constitue en effet des conditions de travail de plus en plus difficiles à accepter pour ces infirmières, qui pour préserver leur équilibre entre vie privée et vie professionnelle préfèrent alors la souplesse de l’intérim.

Ces éléments sont des pistes de réflexion essentielles alors que le gouvernement veut lutter contre l’intérim. En effet, la voie la plus sûre pour restreindre ce phénomène est d’améliorer l’attractivité des carrières à l’hôpital : or, en la matière, l’enjeu n’est pas uniquement financier mais également organisationnel. Pas sûr que tout ait été mis en œuvre à cette heure pour répondre à ces différentes aspirations.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • .... Ergonomie

    Le 09 novembre 2022

    Interdire comme s'apprête à le faire le gouvernement n'est pas La solution, comme vous le suggérez dans votre article.
    Il existe une profession qui peut aider à désengorger, à expliquer, et comprendre ce qui se joue ici, il s'agit de l'ergonome.
    Étant ergonome, je prêche forcément pour ma paroisse mais pas uniquement. Travaillant en SSR, le phénomène est bien connu, et depuis très longtemps. Peu de gens se préoccupent des conditions de travail (charge de travail, reconnaissance, moyens, ressources, exigences, population vieillissante...).
    Un argument non cité est que certains font de l’intérim pour être payé plus parfois 2 fois plus, avec en prime, une liberté de gérer son emploi du temps. Les personnes veulent travailler mieux que ce qu'on leur propose, ils utilisent le système à leur avantage, ils s'adaptent...
    Seulement dans les services tout est désorganisé, décousu ! Interdire ne va rien arranger, pire ça va perdurer mais à la marge, caché, car les besoins eux n'ont pas évolué depuis des décennies quant la vie en parallèle a fait un bond dans le futur.
    Notre système de santé est vieillissant, déconnecté. Les solutions et elles existent, doivent se construire...

    M S Mecif, ergonome (& enseignant d'activité physique adaptée)

  • Intérim ou chasse aux sorcières ?

    Le 09 novembre 2022

    Votre article est bien représentatif de la situation : l'intérim coûte cher, sus à l'intérim ! Voici le mantra simpliste de la haute gouvernance, celle qui est loin des hôpitaux.
    Le directeur du CH du coin sera quant à lui bien content de pouvoir faire tourner un service, voire un hôpital entier, grâce à ces supplétifs.
    Nos ministres n'ont rien appris depuis 20 ans : au sein même des hôpitaux le service de Pool a pris une grande ampleur, ces personnels internes sont "volants" , ils doivent suppléer aux absences prévues ou non, et on voit bien depuis des lustres leur effectif gonfler, ce qui témoigne déjà de problèmes internes (des personnels ne sont pas aussi interchangeables entre services qu'il le faudrait), mais ces volants eux aussi désertent pour les mêmes raisons que les affectés.
    Certes il y a des abus des intérimaires, mais c'est un prétexte trop commode pour escamoter les responsabilités des décideurs ou simplement la réalité du terrain : CDD ou intérim, pas de CDI dans des établissements ou on se sent malheureux, qui pourrait comprendre le contraire sauf notre ministre ?

    Dr F Chassaing

  • La situation n'est pas nouvelle

    Le 13 novembre 2022

    Je me demande si ces personnes ont jamais été confronté à la réalité du terrain.
    Les soignants sont à bout de souffle depuis bien longtemps, la précarité en personnel de nombre d'établissements n'est pas une nouveauté, et l'usage chronique d'intérimaires non plus. C'est d'ailleurs ainsi que j'ai commencé et j'y ai beaucoup appris.
    Et il faut un peu se réveiller, le nombre d'agences d'intérim ayant décidé de proposer des missions aux soignants explose.
    Bien sûr aucun questionnement sur les conséquences de la crise Covid, alors que j'ai rencontré la deuxième cadre infirmière qui me dit avoir démissionné car ras-le-bol de faire les soins de 17 à 20 h car personne ne veut rester et que la direction s'aplatit.
    En 2019 on m'a proposé un poste en Ehpad public payé 1 600 euros net. J'avais alors 22 ans de diplôme infirmier. Je ne me brade plus.
    Et quand on lèvera cette obligation vaccinale qui paraît-il n'a pas de conséquences sur les manques de soignants, et bien je ré-attaquerai en intérim, car depuis que j'ai organisé ma précarité professionnelle en enchaînant des CDD, j'évite les maltraitances liées au fait d'être en CDI que trop croient être un titre de propriété d'un personnel, et j'ai bien l'intention de ne plus être privé de pouvoir assister à l'anniversaire d'un ami car personne ne veut modifier son planning, ni de remplacer au pieds levé car il manque toujours quelqu'un, ni de subir des conditions de travail désastreuses en étant si mal payé.
    Quitte à travailler dans des conditions déplorables, autant que ça en vaille le prix.
    Et qu'on ne me parle pas de vocation, je ne sais pas qui a envie d'avoir un salaire qui soit devenu inférieur à celui que j'ai pu toucher il y a vingt ans.
    Le jour où on arrêtera de traiter les soignants comme des esclaves, qu'on améliorera les salaires et les conditions de travail, les choses changeront. Mais on en est loin.

    L Saint-Martin, IDE

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