Interrogations sur l'étude MyPEBS pour un dépistage personnalisé du cancer du sein

Paris, le samedi 29 février 2020 – Les limites du dépistage systématique du cancer du sein ont été signalées par de nombreux travaux et tout particulièrement dans ces colonnes. Ces écueils conduisent aujourd’hui de nombreuses équipes à s’intéresser à la mise en place de programmes de repérage des patientes à risque, permettant de limiter les surdiagnostics et les surtraitements et offrant une meilleure efficacité en termes de réduction de la mortalité. Dans ce cadre, l’étude Mypebs « My Personal Breast Screening » a été lancée en décembre 2018 et doit inclure 80 000 femmes volontaires âgées de 40 à 70 ans en France, Italie, Israël, Belgique et au Royaume-Uni. L’objectif est d’établir pour chaque participante un niveau de risque en tenant compte de l’âge, des antécédents familiaux, de la densité du sein et d’une étude des polymorphismes. Les résultats obtenus doivent être comparés à ceux des programmes de dépistage systématiques. Si la perspective de réfléchir à un dépistage mieux adapté au profil de chaque femme ne peut que séduire, beaucoup s’interrogent sur les failles méthodologiques de cette étude et notamment la non comparaison avec une absence de dépistage. Ainsi, quatre groupes de médecins et d’épidémiologistes français (Cancer Rose), belge (Groupe de recherche et d’action pour la santé), britannique (Charity HealthWatch) et italien (No Grazie) s’interrogent sur la méthodologie de ces travaux, tout en déplorant une information restreinte des participantes.

Ils exposent dans cette lettre ouverte publiée par le JIM leurs questionnements (publication qui compte tenu de la complexité du sujet ouvre un droit aux commentaires aux lecteurs souhaitant exposer une position différente).

Par quatre collectifs européens d’épidémiologistes et de médecins*

Mypebs** pour « My Personal Breast Screening » est une étude internationale randomisée qui compare un dépistage personnalisé stratifié du cancer du sein en fonction du risque au dépistage standard actuel du cancer du sein chez les femmes de 40 à 70 ans
Mypebs devrait inclure 85 000 femmes en France, en Belgique, en Italie, en Israël et au Royaume-Uni pendant 6 ans.

L’efficacité de la mammographie systématique, ou dépistage organisé du cancer du sein chez les femmes de 40 ou 50 ans et plus, est controversée, car les preuves de son efficacité sont contestées. Dans ce contexte, l’étude d’un dépistage personnalisé basé sur les facteurs de risque personnels de chaque femme peut être un projet intéressant. Cependant pour juger de son efficacité, il faudrait faire la comparaison entre dépistage et absence de dépistage, et avec une bonne méthodologie.

L’étude de Mypebs soulève plusieurs questions.

1° Il n’y a pas de groupe « sans dépistage »

Les promoteurs de l’étude considèrent que les bénéfices du dépistage du cancer du sein sont solidement établis, alors que de plus en plus de publications indépendantes et récentes peinent à trouver une efficacité au dépistage.

La controverse qui existe sur l’efficience du dépistage n’est donc pas prise en compte.
Mypebs représente donc une occasion manquée : la possibilité de fournir la réponse, avec les données actuelles, à la question : le dépistage planifié devrait-il être poursuivi, adapté en fonction du risque ou stoppé?

Pour ce faire, il aurait fallu inclure au minimum un groupe sans dépistage.
Avec le plan d’études proposé par Mypebs, il ne sera pas possible d’estimer le taux de surdiagnostic, un des problèmes majeurs du dépistage, à savoir des cancers inutilement détectés, car sans danger pour la santé des femmes. Des femmes en bonne santé sont directement touchées par le surdiagnostic : les surtraitements contre le cancer qui en découlent peuvent être très toxiques ou entraîner un préjudice permanent.

2° Une méthodologie laxiste

Selon le résumé officiel de l’étude, le taux de cancers graves (dits de stade 2 et plus) sera mesuré dans chaque groupe. Rappelons que le but d’un programme de dépistage est de réduire le taux de cancers avancés.

Les deux groupes seront statistiquement comparés. Mais la méthode de comparaison cache une énorme surprise. Selon les promoteurs de l’étude Mypebs, dans le groupe dépistage habituel, on pense trouver 480 nouveaux cas de tumeurs graves pour 100 000 femmes au bout de 4 ans. Si, pour le groupe "nouveau dépistage basé sur le risque individuel" le taux des cancers graves trouvés est supérieur mais sans dépasser 600 cas pour 100 000 femmes, alors les deux groupes seront déclarés arbitrairement équivalents. Cela signifie que si le taux de cancers graves dans le nouveau dépistage est augmenté, mais de moins de 25 % par rapport au dépistage actuel, l’étude sera considérée comme un succès, et les chercheurs diront que les nouvelles méthodes de dépistage sont "aussi efficaces" que les anciennes. En d’autres termes, 25 % de cancers graves en plus, c'est égal à rien !

3° Problème du niveau de risque de faire un cancer du sein

L'étude calculera le risque de cancer du sein à partir de l’âge, des antécédents personnels et familiaux, de la densité mammaire et de tests génétiques. Outre que ce logiciel de calcul du risque n'a pas de validation scientifique, les femmes ne présentant qu'un faible risque devraient avoir moins de mammographies. Mais ce sous-groupe de femmes à faible risque comprendra très peu de femmes, et toutes les autres seront réparties dans des sous-groupes à plus haut risque, elles se verront davantage examinées par mammographies. Pour ces femmes, et ce avant 50 ans, il y aura donc au contraire une forte augmentation du dépistage par mammographie, ce qui augmentera les problèmes de radiotoxicité pour elles.

4° Problème dans l'information délivrée aux femmes

Les informations contenues dans le livret de consentement pour les participantes sont insuffisantes. Il n’y a pas d'explication du surtraitement ni du surdiagnostic, qui sont les risques majeurs du dépistage.
Aucun de ces termes n’apparaît dans la brochure.
L’étude de l’intérêt du dépistage stratifié sur les facteurs de risque peut sembler utile, mais pas de façon aléatoire et certainement pas dans le but principal de promouvoir le dépistage par mammographie d’une façon ou d’une autre. Cette intention est clairement mentionnée dans la déclaration du Dr Balleyguier, page 14 du dossier de presse Mypebs, le 28 septembre 2018 : « Mypebs encouragera probablement plus de femmes à participer aux programmes nationaux de dépistage ».
Les participants reçoivent des informations partielles sur la réduction de la mortalité attribuable au dépistage, et les conflits d’intérêts possibles des auteurs du protocole ne sont pas mentionnés.

5° Enjeux économiques

Il serait plus judicieux de consacrer les dépenses à la promotion de la prévention des cancers plutôt que de financer cette étude, même si une supériorité d’un dépistage personnel pouvait être démontrée sur la fréquence des cancers graves, on ignorera quel est le bénéfice pour les femmes en terme d’espérance de vie ou d’années de vie ajustée en fonction de la qualité de vie (QALY).

Mise en garde

Le groupe belge le GRAS, les épidémiologistes et scientifiques italiens du groupe NoGrazie, le groupe français Cancer Rose et le groupe britannique Charity HealthWatch alertent sur cet essai, qui sous des allures de recherche innovante n'est que marketing sans intérêt scientifique pour les femmes.
De plus, avec un âge de début des participantes à 40 ans, alors qu’il n’y a aucune preuve de l'intérêt pour cette classe d’âge, en utilisant des tests génétiques, sans support scientifique, en utilisant davantage d’imagerie par IRM pour les femmes à « haut risque » et la mammographie 3D, l'étude Mypebs encourage le marketing technologique et favorise le surdiagnostic, le dommage le plus grave de ce dépistage, dommage que nous devrions chercher à réduire pour des raisons éthiques.


*Groupe de recherche et d’action pour la santé http://www.gras-asbl.be/ 
No Grazie http://www.nograzie.eu/
Cancer Rose : https://cancer-rose.fr/
Charity HealthWatch : https://www.healthwatch-uk.org/

**Ref. UNICANCER: Protocol n° UC-0109/1805 - ID RCB: 2018-A00535-50

Copyright © http://www.jim.fr

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Vos réactions (13)

  • Un groupe sans dépistage n’ aurait aucun interêt

    Le 29 février 2020

    Je comprends les réticences face à ce protocole.
    Je n’ai aucun lien avec eux je parle donc librement de la difficulté qu’il y a toujours aujourd’hui à faire un dépistage de qualité dans des régions où le manque de personnel médical (1 mammographe pour 180 000 habitants) augure d’une baisse de la pertinence du dépistage systématique comme il est préconisé aujourd’hui.

    L’argument des 25%, chiffre arbitraire, qui a été choisi est fait pour donner une valeur incontestable aux résultats et empêcher les futurs décideurs de refuser un financement au motif que le bénéfice n’ est pas suffisamment établi et donc perdre du temps dans de nouvelles études.

    Le but n’est pas d’évaluer l’opportunité du dépistage donc le groupe sans dépistage dans cette étude n’a aucun intérêt.

    Dr Laurent Peyret

  • Les biais des contestants de l'étude en question

    Le 29 février 2020

    Un argument des opposants à l'étude : "un des problèmes majeurs du dépistage, à savoir des cancers inutilement détectés, car sans danger pour la santé des femmes"!?? Allez dire ça à une femme : bonjour madame, vous avez un cancer mais il ne sera (dans 18 % des cas) non évolutif. Vous voulez le garder ? Vous préférez ne pas le traiter pour éviter les effets indésirables des traitements ? Oui docteur, j'ai bien réfléchi, je tente le coup !
    Les opposants à cette étude sont totalement déconnectés de la réalité !
    Idem pour leur argument de radiotoxicité des mammographies quand on connaît les doses délivrées !
    En fait les opposants à cette étude sont les mêmes qui s'opposent au dépistage du cancer du sein et qui préférerait le voir disparaître.
    D'ailleurs ils indiquent : "Il serait plus judicieux de consacrer les dépenses à la promotion de la prévention des cancers". Ah bon ? On peut prévenir le cancer du sein ? Et réduire le risque ? Il faudrait qu'ils expliquent comment ! On parle bien du cancer du sein ! ça m'intéresse ! Je pense qu'ils vont nous poser des régimes à base de produits exotiques, de comportement anti stress (type méditation) ou le fameux jus de citron qui semble détruire les cancers et guérir la planète...si si c'est vrai, je l'ai lu sur internet !

    Dr X

  • Dépistage systématique ou pas...

    Le 29 février 2020

    Quand on s'est occupé de femmes ayant un cancer du sein, on se rend compte qu'un nombre non négligeable d'entre elles ont été dépistées "systématiquement" (mammo tous les 2 ans) et ont développé dans l'intervalle un cancer en quelques mois. C'est en effet un problème et une remise en cause de la systématisation pour toutes.
    Il serait certainement plus utile d'insister sur le dépistage par...la palpation, tant des médecins que des patientes elle-même, et réserver les dépistages "systématiques" voire ciblés à celles qui sont maintenant connues comme à risque élevé.

    Dr Astrid Wilk

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