
Les vaccins antirotavirus ont fait la preuve de leur efficacité, tout autant que de leur acceptabilité jugée satisfaisante. Il n’en reste pas moins qu’ils ont été associés à un risque accru d’invagination intestinale aiguë (IIA) chez le nourrisson, notamment dans les sept jours suivant la première dose du vaccin. L’augmentation de la motricité intestinale induite par la présence d’un virus pourrait être en cause, mais il ne s’agit que d’une hypothèse. L’IIA est, au passage, la première cause d’occlusion intestinale chez l’enfant, même si son incidence reste globalement faible.
Suspicion d’interaction avec le vaccin oral contre la polio
Au Brésil, le vaccin antirotavirus oral (VARO) a été introduit dans le programme national de vaccination dès mars 2006 en raison des ravages de diarrhées aiguës dans les populations pédiatriques. La couverture vaccinale contre ce rotavirus a augmenté rapidement (> 80 % la deuxième année), atteignant l'objectif > 90 % (avec deuxième dose) en 2011.
Des études précédentes réalisées au Brésil et au Mexique ont signalé un risque accru d’IIA après la première dose du vaccin, mais uniquement après la deuxième au Brésil. Or, à ce moment, dans ce pays, ce qui n’est pas le cas du Mexique, avait été adopté un vaccin oral contre la poliomyélite (VOP) administré en même temps que le vaccin VARO uniquement avec la première dose de ce dernier. Une hypothèse a été émise : la réplication intestinale du rotavirus serait diminuée lors de l’administration concomitante du VOP de sorte que le risque d’IIA ne serait observable qu’après la deuxième dose de VARO, en l’absence de co-administration du VOP. Jusqu’en 2012, le calendrier vaccinal des enfants brésiliens comprenait cinq doses de VOP, administrées à 2, 4, 6 et 15 mois ainsi qu’à 5 ans. Deux campagnes de vaccination de masse au cours desquelles le VOP était administré à tous les enfants de moins de 5 ans, indépendamment de leur statut vaccinal, ont été menées chaque année. En août 2012, dans le but de réduire les cas de poliomyélite paralytique associée au vaccin oral, ce pays a modifié sa politique vaccinale en combinant le VOP ou vaccin antipoliovirus inactivé (VOI) injectable, ce dernier étant alors administré au titre des deux premières doses (à l'âge de 2 et 4 mois) à la place du VOP. Ces circonstances permettent de fait d’évaluer le rôle des vaccins antipoliomyélitiques (VOP et VOI) dans le risque d’IIA associée à la vaccination antirotavirus et de conduire une enquête épidémiologique rétrospective qui sort de l’ordinaire.
Exit l’hypothèse du VOP
Pour ce faire, les données de pharmacovigilance de la région de São Paulo ont été comparées entre les périodes VOP (mars 2006 à juin 2012) et VOI (octobre 2012 à décembre 2017). Une analyse de séries de cas autocontrôlées a été réalisée, en considérant deux périodes à risque, respectivement 7 et 21 jours après la vaccination. Au total, 325 cas d’IIA ont été signalés pendant la période de l’étude, dont 221 survenus dans les 60 jours après la vaccination.
Un risque d'IIA plus élevé a été observé au cours de la première semaine suivant la vaccination, tant avec la première (incidence relative [IR] = 4,3, IC 95 % 2,8-6,5, p < 0,001) qu’avec la deuxième dose de vaccin (IR = 4,2, IC 95 % 2,7-6,4 ; p < 0,001). Par ailleurs, ce profil de risque n’a été en rien modifié par la prise en compte de la nature du vaccin antipoliomyélitique (VOP ou VIP) administré en même temps que le vaccin VARO. L’hypothèse selon laquelle le VOP diminuerait la prolifération intestinale du rotavirus amené par le vaccin oral apparaît donc comme peu vraisemblable. Les résultats qui ont amené à l’évoquer pourraient relever d’artéfacts statistiques.
Dr Philippe Tellier