IVG, soignants non-vaccinés, corrida : la folle nuit de l’Assemblée Nationale

Paris, le vendredi 25 novembre 2022 – Lors de sa « niche parlementaire », le groupe LFI a fait voter l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution mais n’a pas pu faire adopter la réintégration des soignants non-vaccinés.

C’est la magie de la procédure parlementaire. Un jour par mois, un groupe dispose de l’ordre du jour : c’est ce qu’on appelle la niche parlementaire. En une journée, le parti qui a la main doit tenter de faire passer le maximum de textes, ce qui l’oblige à faire des choix stratégiques car à minuit comme dans les contes tout reprend sa place. Vaut-il mieux sauver les taureaux ou les soignants non-vaccinés, tel est le genre d’épineuses questions qu’ont ainsi dû se poser les députés de La France Insoumise, qui disposaient de l’ordre du jour ce jeudi.

Un vote historique … mais sans conséquence


Une niche parlementaire qui a commencé par une victoire pour les députés LFI, qui ont réussi à faire adopter leur projet de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Pour rappel, à la suite de la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis (!) de retirer sa protection constitutionnelle au droit à l’avortement, plusieurs voix se sont élevées en France pour faire inscrire l’IVG dans notre loi fondamentale.

Si le texte initial proposé par la gauche évoquait tout à la fois l’avortement et la contraception, LFI et la majorité Renaissance se sont finalement mis d’accord sur un texte de compromis plus restreint. Le nouvel article 66-2 de la Constitution voté par 337 voix pour et 32 voix contre (essentiellement des députés LR et RN) disposerait ainsi que « la loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

Si ministres et députés Renaissance et LFI ont salué « un vote historique, un grand honneur, une grande émotion », selon les termes emphatiques du ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti (bien que ce texte ne change concrètement rien aux droits des femmes), rappelons que la Constitution ne peut être révisée sans l’accord du Sénat.

Si la chambre haute a récemment rejeté une proposition de loi constitutionnelle en ce sens, les partisans de la constitutionnalisation de l’IVG espèrent que la formulation plus restreinte de la proposition adoptée ce jeudi par l’Assemblée Nationale fera changer d’avis les sénateurs. Dans l’éventualité où le Sénat adopterait le texte en termes identiques, il devra ensuite, en principe, être soumis à référendum (sauf projet de loi gouvernemental reprenant la proposition !).

Cendrillon parlementaire


Après cette victoire attendue, les députés LFI disposaient de peu de temps pour faire voter un autre texte. Ils ont donc décidé d’abandonner leur proposition de loi visant à interdire la corrida pour tenter leur chance sur la réintégration des soignants suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner contre la Covid-19. Un pari perdant (et pas seulement pour les taureaux) puisque la proposition de loi de la députée et aide-soignante Caroline Fiat, qui souhaite permettre aux non-vaccinés de revenir exercer à l’hôpital en respectant un protocole sanitaire strict, n’a finalement même pas été examinée.

Le texte avait pourtant de grandes chances d’être adopté, puisque les députés LR et RN avaient exprimé leur intention de le voter et que des amendements de suppression avaient été rejeté. Mais sachant bien que la niche parlementaire prendrait fin à minuit, députés Renaissance et ministres ont joué la montre, en multipliant les amendements (plus de 200), une stratégie d’obstruction parlementaire qualifié de « spectacle consternant et grave pour la démocratie » par le député LR Olivier Marleix.

Le ton est rapidement monté entre partisans et opposants de l’obligation vaccinale. Cris, invectives, rappels au règlement et suspensions de séances se sont succédés, faisant encore perdre du temps au débat. Finalement, à minuit, comme dans une version moderne de Cendrillon, la séance a finalement été levée sans aucun vote.

Sale journée pour les non-vaccinés (et les taureaux)


La levée de l’obligation vaccinale divise, y compris chez les soignants eux-mêmes. A une très courte majorité (52 %), nos lecteurs se sont récemment déclarés favorable au maintien de cette obligation. Ce mercredi, à la veille de la niche parlementaire LFI, la Fédération nationale des infirmières (FNI) a rappelé son opposition à la réintégration des soignants non-vaccinés, qui « serait un signal catastrophique en termes de prévention ».

A l’inverse, certains médecins, comme le Pr Djilali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond Poincaré, estime que l’obligation vaccinale n’a plus de pertinence scientifique et que la réintégration permettrait de renforcer les effectifs d’un hôpital à bout de souffle.

La députée Caroline Fiat a promis qu’elle ne « lâcherait pas » et qu’elle tenterait à nouveau de faire adopter son texte. Les soignants non-vaccinés vont donc devoir attendre un peu avant de connaitre leur sort…tout comme les taureaux.

Quentin Haroche

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Vos réactions (2)

  • Bientôt aussi une chasse aux sorcières ?

    Le 26 novembre 2022

    Tout est dit : "... l’obligation vaccinale n’a plus de pertinence scientifique...".

    Dr J Hambura

  • L'arène

    Le 28 novembre 2022

    Il est clair et documenté que "... l’obligation vaccinale n’a plus de pertinence scientifique...". @Dr Hambura : l'argumentaire audible existe, il n'est pas scientifique, il ne peut être éludé.
    cf JIM 23/11/2022 : "Exclusif : les professionnels toujours très partagés sur l’obligation vaccinale contre la Covid-19". Libre à chacun de juger du bien fondé ou non de la constitutionnalisation de l'IVG dans notre pays : foutaise à mon avis, sous la pression d'idéologues professionnel(le)s. Par contre la question de l'accès à l'IVG, des moyens humains attenants est éludée. Elle aurait eu toute sa place, à fortiori quand le délai légal passe de 12 à 14 semaine de grossesse. Pas de solution effective donc éludons, "déserts" obligent. Restera à déléguer à nouveau aux médecins généralistes, aux sages-femmes, aux pratiques avancées, aux officines...?
    "L'accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse" est légitime, c'est bien de le dire, écrire, vociférer mais c'est infiniment mieux d'avoir les moyens de le faire.
    Le choix des thèmes (les taureaux, une priorité vraiment ?), l'émotion de M Dupont-Moretti (tribun oblige), les belles-âmes contrastant le "climat-barnum" des 24-25/11/2022 peuvent être autant de faits réitérés susceptibles d'alimenter l'antiparlementarisme.

    Dr JP Bonnet

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