
Seule motivation : faire avancer la médecine
Dès 1976, il se fait remarquer par ses pairs avec une
transplantation rein-pancréas alors inédite en Europe.
Mais c’est la première transplantation mondiale d’une main
chez le Néo-zélandais Clint Hallam, personnage haut en couleur (sur
lequel nous reviendrons) qui le mit définitivement sur le devant de
la scène. Il réalisa par la suite, en 2000, une nouvelle prouesse
avec une greffe bilatérale des mains et avant-bras chez le Français
Denis Chatelier avant de porter la greffe de visage* sur les fonts
baptismaux avec le Pr Devauchelle.
Une vocation née à 11 ans après une opération de l’appendicite…
Né à Lyon le 17 mai 1941, Jean-Michel Dubernard a fait toute
sa carrière médicale dans sa ville natale, où il a occupé le poste
de chef du service urologie et transplantations à l’hôpital
Edouard-Herriot pendant 25 ans (1987-2002).
« J’avais à peine 11 ans quand j’ai eu la vocation, après
une opération de l’appendicite et l’annonce de la première
transplantation de rein », racontait-il.
Cœur à droite
Comme son confrère Christian Cabrol, Jean-Michel Dubernard
s’est également illustré sur le terrain politique en se faisant
élire député du Rhône à trois reprises sous l’étiquette RPR puis
UMP. Il fut également adjoint au maire de Lyon de 1983 à
2001.
De même que le Prix Nobel ne lui sera jamais déjà décerné,
Jean-Michel Dubernard ne parviendra jamais à exercer des fonctions
gouvernementales, le ministère de la recherche lui échappant en
1986 malgré les intentions premières de Jacques Chirac.
Il a également dirigé la commission de la transparence de la
Haute Autorité de santé (2008-2017).
Quand un personnage de roman opère un personnage de roman
Rastignac de la médecine (sans même être monté à Paris !), le
héros de roman Jean-Michel Dubernard avait trouvé en Clint Hallam
un personnage à hauteur de sa légende. Ce turbulent néo-zélandais
s’était accidentellement coupé l'avant-bras droit avec une scie
circulaire en 1984 alors qu'il purgeait une peine de deux ans et
demi de prison pour escroquerie. Quatorze ans plus tard après bien
des péripéties médicales et judiciaires, Clint Hallam bénéficiait,
alors qu’il était en séjour illégal en France (!), d'une première
mondiale orchestrée par le professeur Jean-Michel
Dubernard.
Mais le succès de l’opération se heurta à la vie fantasque de
ce patient dont l’existence trépidante s’accommodait mal d’un
traitement antirejet. Une forme de discrédit touche alors l'équipe
du chirurgien, bien qu’entre-temps huit opérations de ce type aient
eu lieu dans le monde, et qu'aucun phénomène de rejet irréversible
n’ait été constaté. Une polémique éthique est alors lancée : une
greffe non vitale doit-elle être pratiquée, quand on connaît le
lourd traitement que devront suivre les patients par la suite
?
Quelques mois après une nouvelle prise en charge par l’équipe
lyonnaise centrée sur l’éducation thérapeutique, Clint Hallam
refaisait parler de lui en accordant une interview au quotidien
britannique The Times au cours de laquelle il indiquait
souhaitait être amputé ! « J'ai réalisé qu'après tout ce n'était
pas ma main. Si c'est ce que je dois avoir pour le reste de ma vie,
alors je préfère ne pas l'avoir ».
Loin de s’irriter contre ce patient récalcitrant, le
chirurgien assure à Clint Hallam son amitié et déclare dans la
presse qu’il comprend son désarroi. Une attitude remarquable
d’empathie qui fait dire alors au JIM : « le Professeur
Dubernard a le cœur sur la main » !
Habitué aux polémiques
La première greffe de visage ne fut pas non plus exempte de controverses et avait propulsé le praticien au cœur d'une incroyable agitation médiatique.Des journaux britanniques s’étaient livrés à des révélations scabreuses sur la donneuse et la greffée et avaient jugé inopportun le choix d’une patiente « instable psychologiquement ». Encore une fois, le professeur Dubernard soutint son malade et évoquait pour toute réponse une scène touchante où la patiente après s'être regardée dans un miroir aurait souri et griffonné « Merci ».
La polémique n’était pas le seul fait d’une presse discutable.
La communauté médicale française ne s’était guère répandue en
félicitations pour les deux praticiens et leurs équipes. Au
contraire, le professeur Laurent Lantieri avait vivement reproché à
Jean-Michel Dubernard et Bernard Devauchelle la médiatisation de
l'événement. « Il n'est pas possible de savoir aujourd'hui si
les nerfs repousseront et si la mobilité de la mâchoire sera
possible (...). Je me demande si l'orchestration médiatique n'est
pas prématurée car un échec éventuel rejaillira sur l'image de
l'ensemble des greffes », craignait ainsi cet autre pionnier
des greffes de visage...qui fera lui aussi, quelques années plus
tard, l’objet d’attaques sur sa propension à la
médiatisation.
Nul n’est prophète en son pays
Quelques temps après ces polémiques, en 2016, Jean-Michel
Dubernard tempêtait, que du fait de l’inanité des administrations :
« Il n'y a plus de greffe de main en France depuis trois ans et
demi ». Il remarquait : « La France était en pointe. Nous
sommes en train de nous faire dépasser par les États-Unis, la Chine
et d'autres, alors que nous sommes les pionniers de cette chirurgie
! ».
Mais le Pr Dubernard ne restera pas sur cette amertume. Ainsi,
début 2021, après quinze ans de lutte avec les mêmes
administrations et de minutieuses préparations de ses élèves, il
parvenait à ce que Felix Gretarsson, un Islandais, bénéficie de la
première greffe bilatérale des bras et des épaules.
*en pratique le triangle formé par le nez et la bouche
F.H.