Jean-Michel Dubernard : mort d’un génial pionnier

Lyon, le lundi 12 juillet 2021 – Pionnier de la greffe de mains, de bras et de visage, le professeur Jean-Michel Dubernard est mort samedi. Il venait d’être victime d’un malaise à l’aéroport d’Istanbul où il voyageait en famille.

Seule motivation : faire avancer la médecine

Dès 1976, il se fait remarquer par ses pairs avec une transplantation rein-pancréas alors inédite en Europe.

Mais c’est la première transplantation mondiale d’une main chez le Néo-zélandais Clint Hallam, personnage haut en couleur (sur lequel nous reviendrons) qui le mit définitivement sur le devant de la scène. Il réalisa par la suite, en 2000, une nouvelle prouesse avec une greffe bilatérale des mains et avant-bras chez le Français Denis Chatelier avant de porter la greffe de visage* sur les fonts baptismaux avec le Pr Devauchelle.

« Ma seule motivation, c’est de faire avancer la médecine. Je le fais pour mes malades », expliquait-il en 2005 au journal Le Monde.

Une vocation née à 11 ans après une opération de l’appendicite…

Né à Lyon le 17 mai 1941, Jean-Michel Dubernard a fait toute sa carrière médicale dans sa ville natale, où il a occupé le poste de chef du service urologie et transplantations à l’hôpital Edouard-Herriot pendant 25 ans (1987-2002).

« J’avais à peine 11 ans quand j’ai eu la vocation, après une opération de l’appendicite et l’annonce de la première transplantation de rein », racontait-il.

Docteur en médecine et ès sciences, il s’était également formé à la Harvard Medical School de Boston auprès du chirurgien américain Joseph Murray, prix Nobel de médecine en 1990.  

Cœur à droite

Comme son confrère Christian Cabrol, Jean-Michel Dubernard s’est également illustré sur le terrain politique en se faisant élire député du Rhône à trois reprises sous l’étiquette RPR puis UMP. Il fut également adjoint au maire de Lyon de 1983 à 2001.

De même que le Prix Nobel ne lui sera jamais déjà décerné, Jean-Michel Dubernard ne parviendra jamais à exercer des fonctions gouvernementales, le ministère de la recherche lui échappant en 1986 malgré les intentions premières de Jacques Chirac.

Il a également dirigé la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (2008-2017). 

Quand un personnage de roman opère un personnage de roman

Rastignac de la médecine (sans même être monté à Paris !), le héros de roman Jean-Michel Dubernard avait trouvé en Clint Hallam un personnage à hauteur de sa légende. Ce turbulent néo-zélandais s’était accidentellement coupé l'avant-bras droit avec une scie circulaire en 1984 alors qu'il purgeait une peine de deux ans et demi de prison pour escroquerie. Quatorze ans plus tard après bien des péripéties médicales et judiciaires, Clint Hallam bénéficiait, alors qu’il était en séjour illégal en France (!), d'une première mondiale orchestrée par le professeur Jean-Michel Dubernard.

Mais le succès de l’opération se heurta à la vie fantasque de ce patient dont l’existence trépidante s’accommodait mal d’un traitement antirejet. Une forme de discrédit touche alors l'équipe du chirurgien, bien qu’entre-temps huit opérations de ce type aient eu lieu dans le monde, et qu'aucun phénomène de rejet irréversible n’ait été constaté. Une polémique éthique est alors lancée : une greffe non vitale doit-elle être pratiquée, quand on connaît le lourd traitement que devront suivre les patients par la suite ?

Quelques mois après une nouvelle prise en charge par l’équipe lyonnaise centrée sur l’éducation thérapeutique, Clint Hallam refaisait parler de lui en accordant une interview au quotidien britannique The Times au cours de laquelle il indiquait souhaitait être amputé ! « J'ai réalisé qu'après tout ce n'était pas ma main. Si c'est ce que je dois avoir pour le reste de ma vie, alors je préfère ne pas l'avoir ». 

Loin de s’irriter contre ce patient récalcitrant, le chirurgien assure à Clint Hallam son amitié et déclare dans la presse qu’il comprend son désarroi. Une attitude remarquable d’empathie qui fait dire alors au JIM : « le Professeur Dubernard a le cœur sur la main » !

Mais le soutien du praticien ne suffira pas et Clint Hallam sera finalement amputé à Londres en 2001…

Habitué aux polémiques

La première greffe de visage ne fut pas non plus exempte de controverses et avait propulsé le praticien au cœur d'une incroyable agitation médiatique.

Des journaux britanniques s’étaient livrés à des révélations scabreuses sur la donneuse et la greffée et avaient jugé inopportun le choix d’une patiente « instable psychologiquement ». Encore une fois, le professeur Dubernard soutint son malade et évoquait pour toute réponse une scène touchante où la patiente après s'être regardée dans un miroir aurait souri et griffonné « Merci ».

La polémique n’était pas le seul fait d’une presse discutable. La communauté médicale française ne s’était guère répandue en félicitations pour les deux praticiens et leurs équipes. Au contraire, le professeur Laurent Lantieri avait vivement reproché à Jean-Michel Dubernard et Bernard Devauchelle la médiatisation de l'événement. « Il n'est pas possible de savoir aujourd'hui si les nerfs repousseront et si la mobilité de la mâchoire sera possible (...). Je me demande si l'orchestration médiatique n'est pas prématurée car un échec éventuel rejaillira sur l'image de l'ensemble des greffes », craignait ainsi cet autre pionnier des greffes de visage...qui fera lui aussi, quelques années plus tard, l’objet d’attaques sur sa propension à la médiatisation. 

Emmanuel Hirsch, quant à lui, n'hésitait pas à déclarer alors : « si j'étais ministre de la Santé, je demanderais une commission d'enquête ».

Nul n’est prophète en son pays

Quelques temps après ces polémiques, en 2016, Jean-Michel Dubernard tempêtait, que du fait de l’inanité des administrations : « Il n'y a plus de greffe de main en France depuis trois ans et demi ». Il remarquait : « La France était en pointe. Nous sommes en train de nous faire dépasser par les États-Unis, la Chine et d'autres, alors que nous sommes les pionniers de cette chirurgie ! ».

Mais le Pr Dubernard ne restera pas sur cette amertume. Ainsi, début 2021, après quinze ans de lutte avec les mêmes administrations et de minutieuses préparations de ses élèves, il parvenait à ce que Felix Gretarsson, un Islandais, bénéficie de la première greffe bilatérale des bras et des épaules.

Chirurgien génial, médecin empathique, le Pr Dubernard fut tout au long de sa carrière exceptionnelle un emblème de l’art médical français : des réalisations spectaculaires entravées par la pusillanimité des autorités…

*en pratique le triangle formé par le nez et la bouche

F.H.

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