
Paris, le mardi 10 novembre 2020 - En août dernier, l'annonce de la mise en examen de Sanofi Aventis France pour « homicides involontaires » avait été accueillie avec soulagement par les familles dont un enfant a présenté un effet tératogène après une exposition in utero au valproate de sodium (Dépakine et génériques). Désormais c'est au tour de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) de faire l'objet d'une mise en examen pour « blessures et homicides involontaires par négligence » dans ce dossier tentaculaire.
C'est l'agence elle-même qui a pris soin de rendre publique la décision des juges chargés de l'instruction dans un communiqué transmis le 9 novembre aux agences de presse. Soignant sa communication de crise, l’ANSM a fait preuve d'empathie et de réactivité en affirmant prendre « toute la mesure de la souffrance des victimes et œuvre depuis plusieurs années afin de limiter l’exposition au valproate des femmes en âge d’avoir des enfants ». Elle « répondra à toute interrogation de la justice afin d’apporter sa pleine et entière contribution à la manifestation de la vérité ».
Cette procédure pénale vise à déterminer si le laboratoire français et l'Agence peuvent être tenus pour responsables des dommages allant jusqu'à la mort, subis par des enfants exposés in utero au valproate de sodium, commercialisé depuis 1967 et dont les effets tératogènes ont commencé à être documentés dès les années 80.
Une enquête ouverte en 2015
L’ouverture de l’instruction fait suite à une enquête préliminaire menée sous l’autorité du parquet depuis septembre 2015, après les premières plaintes de victimes.
Dans un rapport de février 2015, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait estimé que Sanofi mais également l’Agence du médicament (ANSM) avaient fait preuve d’une « faible réactivité » et avaient manqué à leur obligation d'information vis à vis des patientes s'agissant de la toxicité du médicament. Plus récemment, une expertise accablante rendue dans le cadre de l'instruction a conduit à l'accélération soudaine du calendrier judiciaire.
Vers un grand procès de la Dépakine ?
« Dans ce dossier Dépakine, la responsabilité de l'ANSM est évidente » a estimé notamment Me Charles Joseph-Oudin, avocat de l'Association des parents d'enfants victimes de la Dépakine, à l'antenne de Franceinfo.
Il est vrai que l’institution est dans le viseur des experts qui estiment que les autorités n’ont à aucun moment tiré profit de l’accumulation des données de la littérature concluant à la toxicité du produit, tandis qu’elles auraient même tardé à répondre aux demandes de changement du résumé des caractéristiques du produit formulées par Sanofi, dans le sens d’une plus grande prévention des risques.
La responsabilité de l’Etat a déjà été soulevée sur le terrain civil. Le Tribunal administratif de Montreuil a reconnu la « carence fautive » des institutions en matière d’information du public. Trois familles ont été indemnisées à hauteur de 290 000, 200 000 et 20 000 euros, selon la date de naissance des enfants exposés in utero au valproate de sodium, et aujourd’hui handicapés.
Concernant les dédommagements futurs, les avocats des familles de victimes "invitent le laboratoire et l'État à mettre en place une procédure d'indemnisation rapide, efficace et complète pour les victimes".
Vers un grand procès lointain ?
Cette mise en examen intervient peu de temps après la conclusion du procès du Médiator, où l’ANSM avait en partie reconnue sa responsabilité devant le juge. Un procès qui souligne à quel point la route reste encore longue pour les familles des victimes de la Dépakine.
Ainsi, de l'aveu de Me Joseph-Oudin, il est difficile en l'état d'imaginer un procès « avant quatre ou cinq ans ».
C.H.