
L'obésité et le surpoids sont les facteurs de risque
évitables de cancer les plus importants après le tabagisme. L'excès
de poids serait associé à 7,8 % des cancers et à 6,5 % des décès
par cancer. En particulier, l'excès de poids joue un rôle dans plus
de 60 % des cancers de l'utérus, un tiers des cancers du foie, 11 %
des cancers du sein et 5 % des cancers colorectaux.
Ainsi, parmi les 19,3 millions de nouveaux cas de cancers en
2020 dans le monde 1,5 million de cas pourraient être attribués au
surpoids et à l'obésité. Il existe de plus en plus de preuves de
l'association entre la perte de poids intentionnelle et la
réduction du risque de survenue d’un cancer, particulièrement pour
le cancer du sein après la ménopause et le cancer de
l'endomètre.
Plusieurs études d'observation ont rapporté un risque de
cancer plus faible chez les patients bénéficiant d’une chirurgie
bariatrique comparés à ceux souffrant d'obésité. Le cancer de
l'œsophage (adénocarcinome) et le cancer de l'estomac (cardia) sont
associés à un excès de poids corporel, avec un risque relatif
respectivement estimé à 4,8 et 1,8. Ainsi, en induisant
chirurgicalement une perte de poids, la chirurgie bariatrique
pourrait réduire le risque de tumeur gastro-œsophagienne. Cependant
la chirurgie bariatrique, en particulier la sleeve gastrectomy et
l'anneau gastrique, est associée à une augmentation du reflux
gastro-œsophagien, dont le rôle dans la genèse des néoplasies
œsogastriques a été largement rapporté. Actuellement, peu
d'informations sont disponibles sur l'incidence du cancer de
l'œsophage et de l'estomac après une chirurgie bariatrique dans de
grandes cohortes.
Une vaste étude de cohorte à l’échelle nationale
D’où l’intérêt de cette étude dont l’objectif était de comparer l'incidence du cancer de l'œsophage et de l'estomac de patients obèses ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique (anneau gastrique ajustable, bypass gastrique, sleeve gastrectomie) à celle de ceux n'en ayant pas bénéficié (groupe témoin). Les données ont été extraites du Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI). Entre 2010 et 2017, 3 633 019 patients avec un diagnostic d'obésité ont été hospitalisés en France. Parmi eux, 303 709 patients (femmes 80,9 % ; âge moyen [ET] 40,2 [11,9] ans) avaient subi une chirurgie bariatrique et étaient sans cancer depuis au moins 2 ans après la chirurgie. Ils ont été appariés 1:2 avec 605 140 patients n'en ayant pas bénéficié (femmes 82,8 % ; âge moyen 40,4 [12,5] ans). Après appariement, les deux groupes étaient comparables en termes d'âge, de sexe et de comorbidités. L'étude a été menée du 1er mars 2020 au 30 juin 2021, la durée moyenne de suivi a été de 5,62 (2,20) ans dans le groupe témoin et de 6,06 (2,31) ans dans le groupe chirurgical.Des résultats rassurants…
Au total, un cancer œsogastrique a été diagnostiqué chez 337 patients, 83 dans le groupe chirurgical et 254 dans le groupe témoin. Les taux d'incidence ont été de 6,9 pour 100 000 habitants/an dans le groupe témoin et de 4,9 pour 100 000 habitants/an dans le groupe chirurgical, avec un rapport de taux d'incidence de 1,42 (IC à 95 % 1,11-1,82 ; p = 0,005). Le rapport de risque (RR) de l'incidence du cancer était significativement en faveur du groupe chirurgical (RR, 0,76 ; IC à 95 % 0,59-0,98 ; p = 0,03). La mortalité hospitalière était significativement plus faible dans le groupe chirurgical que dans le groupe témoin, avec une survie globale de 99,1 % et 98,5 %, respectivement à 9 ans (HR 0,60 ; IC 95 % 0,56-0,64 ; p < 0,001).Ainsi, dans cette vaste cohorte nationale de patients souffrant d'obésité sévère, la chirurgie bariatrique a été associée à une réduction de l'incidence du cancer de l'œsophage et de l'estomac et de la mortalité globale à l'hôpital, suggérant que la chirurgie bariatrique peut être pratiquée comme traitement de l'obésité sévère sans augmenter le risque de cancer de l'œsogastrique.
… mais des limites à prendre en compte
Cette étude rétrospective a utilisé une base de données prospective. Le type histologique du cancer n'était pas précisé. La population étudiée était relativement jeune alors que le cancer de l'œsophage est plus fréquent chez des adultes plus âgés. La durée maximale du suivi dans cette étude était de 10 ans, avec un suivi moyen de 6 ans, ce qui est peut-être trop court pour voir apparaitre bon nombre de cancers de l'œsophage. La durée du suivi est une question majeure dans l'analyse de l'incidence du cancer, et ces résultats doivent être considérés pour la durée de l'étude. Néanmoins, même avec un suivi moyen d'environ 6 ans, il faut noter que plus de 112 000 personnes ont bénéficié de 9 ans de suivi ou plus, taille d'échantillon sans précédent dans l'évaluation du cancer de l'œsophage après une chirurgie bariatrique.Dr Bernard-Alex Gaüzère