
Paris, le lundi 7 août 2023 – Alors que de plus en plus de médecins généralistes facturent des dépassements d’honoraires à leurs patients, les courriers de rappel à l’ordre de la CNAM se multiplient.
« Même si vos revendications tarifaires peuvent pleinement et librement s’exprimer, elles ne peuvent pas conduire à pratiquer des tarifs qui augmentent le reste à charge pour les patients ». Voici le courrier, envoyé par la CNAM, reçu il y a quelques jours par Dr Olivier Leroy. Généraliste à Angers, il fait partie de ces nombreux omnipraticiens à travers la France qui refusent d’appliquer le tarif de la consultation de la Sécurité Sociale (25 euros actuellement, 26,50 euros à partir de novembre en application du règlement arbitral) et qui facturent unilatéralement à leurs patients des consultations à 30 euros voir plus. « C’est de l’intimidation pure et simple avec une menace de nous prendre des indus » commente le médecin à la lecture de la lettre.
Cette fronde tarifaire a débuté en mai dernier, quelques semaines après que le règlement arbitral, adopté en lieu et place de la convention médicale, n’a augmenté le tarif de la consultation que de 1,50 euros, au grand dam des syndicats qui réclamaient un C à 30 voire 50 euros. Semaine après semaine, le mouvement prend de l’ampleur et s’organise à partir des médecins de terrain eux-mêmes. Dans les Ardennes, ce sont 60 généralistes qui ont décidé ensemble de fixer le tarif de leur consultation à 60 euros début juin. En Loire-Atlantique, ils sont 200 à participer à ce mouvement. Des collectifs s’organisent également dans les Hauts-de-France, le Grand Est et l’Ile-de-France.
« Ni marginal, ni anecdotique » selon la FMF
Difficile de dire combien de généralistes au total se sont engagés dans cette fronde. L’Assurance Maladie assure n’avoir pour le moment constaté « aucune évolution notable du recours à ce type de pratique au niveau national ». « Ce n’est ni marginal, ni anecdotique, mais ce n’est pas encore une vague de fond » répond le Dr Richard Talbot, trésorier de la Fédération des Médecins de France (FMF). Le syndicat a d’ailleurs interrogé ses adhérents et 55 % d’entre eux déclarent participer à cette fronde tarifaire.
Les praticiens qui prennent part à ce mouvement de protestation l’affirme : ils n’agissent pas pour s’enrichir (la plupart d’entre eux ne facturent que 30 euros) mais pour exprimer leur colère face à ce qu’ils estiment être du mépris de la part des autorités sanitaires. « Soit je reste au tarif Sécu et je fais de l’abattage, soit j’augmente mon tarif pour prendre le temps avec les patients et faire de la médecine de qualité » explique une généraliste parisienne qui facture 30 euros à ses patients. Comme beaucoup d’autres médecins frondeurs, elle affirme que la plupart de ses patients se montrent compréhensifs voire soutiennent son initiative.
Les syndicats se montrent pour le moins partagés face à ce mouvement de protestation. Si la FMF et la CSMF soutiennent l’initiative, les autres syndicats, tout en comprenant la colère des médecins, estiment que la fronde tarifaire n’est pas une solution à long terme. Ils s’inquiètent notamment du risque de sanction pour les médecins. En effet, si les généralistes en secteur I sont autorisés à faire des dépassements d’honoraires (côtés « DE » sur la feuille de soins), ils doivent le faire avec « tact et mesure » et seulement dans des cas exceptionnels.
Des premières sanctions pourraient tomber
La pratique du dépassement d’honoraire systématique est donc bien sur interdite et expose le médecin à des sanctions : une amende deux fois supérieure au montant des dépassements d’honoraires et, en cas de récidive, la suspension de la participation de la CNAM au paiement des cotisations sociales. In fine, la procédure peut même aller jusqu’au déconventionnement du médecin.
Après quelques mois de tolérance vis-à-vis de ce mouvement de fronde, la CNAM commence d’ailleurs à sévir. « Si les médecins persistent dans cette voie, des sanctions sont prévues » avertit l’Assurance Maladie. De plus en plus en de médecins disent avoir reçu des courriers d’avertissement de la part de leur CPAM, leur donnant un mois pour cesser tout dépassement d’honoraire. Mais l’Assurance Maladie sait qu’elle marche sur des œufs, dans un contexte particulièrement tendu. Certains médecins frondeurs pourraient être tentés de jouer l’épreuve de force, tandis que d’autres pourraient déplaquer.
La seule sortie de crise envisageable semble donc être une reprise des négociations conventionnelles, promises par la CNAM, même si aucune date précise n’a encore été donnée. Des négociations lors desquelles l’Assurance Maladie devra se montrer un peu plus généreuse pour éviter une nouvelle fronde.
Quentin Haroche