La maladie du sommeil peut-être en voie d’extinction grâce à l’acoziborole

La maladie du sommeil ou trypanosomose humaine africaine (THA) est due à des parasites protozoaires du genre Trypanosoma ; elle est transmise par les mouches tsé-tsé (genre glossina) infectées ; c’est le « couple » Homme-Glossine qui représente le réservoir de trypanosomes. C’est une maladie en foyer, endémique dans 36 pays d’Afrique subsaharienne où sévissent des mouches tsé-tsé, touchant les populations rurales qui vivent de l’agriculture, de la pêche, de l’élevage ou de la chasse.

Il existe deux formes de THA, selon la sous-espèce du parasite à l’origine de la maladie : Trypanosoma brucei gambiense (THA-G) responsable de plus de 95 % des cas notifiés de maladie du sommeil et Trypanosoma brucei rhodesiense. Sans traitement la maladie est mortelle. Au cours des 20 dernières années, des efforts de lutte incessants ont permis de réduire fortement le nombre de nouveaux cas, passant de près de 40 000 signalés en 1998 (avec des estimations de plus de 300 000 cas non diagnostiqués) à moins de 1 000 en 2020 [1].

La THA fait partie des maladies tropicales négligées. L'OMS se fixe l’objectif d’éliminer* la THA d'ici 2030 [1].

Le diagnostic direct de la première phase (stade hémolymphatique faisant suite à l’infection par la glossine) se fait par la mise en évidence du trypanosome dans le suc ganglionnaire ou dans le sang, par frottis, goutte épaisse ou après concentration par centrifugation en tube capillaire (test de Woo), ou par passage en micro-colonne échangeuse d’ions. Dans la seconde phase, phase tardive ou avancée (méningo-encéphalique) le diagnostic est évoqué devant un titre élevé d’IgM dans le LCR, une cytorachie élevée et une protéinorachie supérieure à 450 mg/L. Il est confirmé par la découverte de trypanosomes dans le LCR après double centrifugation.

Il existe de nombreuses méthodes de diagnostic sérologique (immunofluorescence, ELISA…). La technique la plus utilisée sur le terrain est le CATT (Card Agglutination Test for Trypanosomiasis) en raison de sa simplicité. Les techniques de biologie moléculaire sur le sang et le LCR (PCR, LAMP) permettent encore d’augmenter la sensibilité, mais sont difficilement applicables sur le terrain [2]. Si la sérologie positive permet de suspecter la maladie, pour l’affirmer il faut la découverte du parasite.

Succès et limites des traitements actuellement disponibles


Avec les médicaments actuellement disponibles, le choix du traitement de THA dépend du stade de la maladie. Jusqu’à la fin 2018, lorsque la maladie était diagnostiquée au stade précoce, les patients pouvaient être traités localement par des injections IM de pentamidine pendant 7 jours. Chez les patients atteints de THA-G au stade tardif, la thérapie combinée NECT (nifurtimox–eflornithine combination therapy) était utilisée ; elle est issue du « programme d’optimisation des candidats-médicaments » de la DNDi (Drugs for Neglected Diseases) en partenariat avec SANOFI, l’OMS, MSF et différents autres partenaire.

NECT associe du nifurtimox oral pendant 10 jours et de l’éflornithine avec deux perfusions IV de 2 heures par jour pendant 7 jours. Mais ces traitements demandent une logistique complexe et doivent être administrés en milieu hospitalier, par du personnel qualifié.

En décembre 2018, la DNDi et leurs partenaires ont développé le « fexinidazole », le premier médicament donné entièrement par voie orale pouvant guérir les patients quel que soit le stade de la maladie, avec cependant un risque accru de rechute chez les patients à un stade très avancé.

Malgré ses avantages substantiels par rapport à NECT, un bilan clinico-biologique impliquant éventuellement une ponction lombaire doit être réalisé et le traitement doit être pris pendant 10 jours. Les nouvelles directives de l'OMS pour le traitement de la THA-G préconisent l'utilisation du fexinidazole, avec certaines précautions et restrictions, comme traitement de première intention pour les patients âgés de 6 ans ou plus [3].

Ainsi, malgré ces avancées importantes, il restait à trouver un traitement efficace quel que soit le stade de la maladie, facile à administrer (voie orale), idéalement en prise unique et sans contraintes logistiques importantes.
                                        

Une prometteuse innovation : une dose orale unique sans bilan complexe préalable


Elle est issue du « programme d’optimisation des candidats-médicaments » de la DNDi [4]. C’est un antiprotozoaire de la famille des trifluoromethyl-benzenes [5]. C’est un traitement toujours au stade expérimental ; il est unique en ce sens qu’il peut être administré par voie orale en une seule dose et cela quel que soit le stade de la maladie.

Une étude multicentrique, prospective, de phase II/III a été mise en œuvre en République démocratique du Congo (RDC) et en République de Guinée pour évaluer la tolérance et l'efficacité d'une dose orale unique d’acoziborole. Publiée en novembre 2022 (The Lancet infectious Diseases), nous en présentons les résultats principaux [6].

En raison de la baisse significative de l’incidence de la THA, le recrutement de patients atteints de THA-G pour des essais cliniques est difficile, avec des effectifs inclus faibles. Pour ces cas, l'Agence européenne des médicaments autorise des essais ouverts, à un seul bras, sans groupe de comparaison ou de contrôle.                                 
Il s’agit en effet d’une étude multicentrique, prospective, ouverte, à un seul bras, de phases II/III. Les patients, tous atteints d’une THA-G, âgés de 15 ans et plus, ont été inclus entre octobre 2016 et mars 2019 ; ils provenaient de dix hôpitaux de la RDC et de la Guinée.            

L'acoziborole oral a été administré à jeun, en une dose unique de 960 mg (3 comprimés de 320 mg). Les sujets ont été observés à l'hôpital jusqu'au 15e jour après l'administration du traitement, puis pendant 18 mois en ambulatoire avec des visites à 3, 6, 12 et 18 mois. Le critère principal d'efficacité était le taux de réussite du traitement à 18 mois.                 

Une analyse complémentaire « post-hoc » [6], comparant les taux de succès à 18 mois de l'acoziborole et de la NECT a été réalisée en utilisant des données historiques ; cette étude est enregistrée sur ClinicalTrials.gov, NCT03087955.

95 % à 100 % de guérison à 18 mois


L’étude a inclus 208 patients. Dans la cohorte des patients traités à un stade avancé de la maladie, 95 %, soit 159/167 [intervalle de confiance à 95 % IC 95% 91,2-97,7]) ont été déclarés guéris (résultats après 18 mois de suivi). Dans la cohorte de 41 patients traités aux stades précoce et intermédiaire, 100 % ont atteint le stade de guérison à 18 mois.

Au total, 38 événements indésirables liés au traitement sont survenus chez 14 % des patients (29/208). Ils étaient tous légers ou modérés, les plus fréquents étant la pyrexie et l'asthénie. Quatre décès sont survenus pendant l'étude ; aucun n'a été considéré comme lié au traitement. L'analyse post-hoc a montré des résultats similaires au taux de réussite historique estimé à 94 % pour la NECT.
            
La principale limite de cette étude a été l'absence d'un groupe de comparaison ou de contrôle, ce qui excluait toute analyse comparative. Mais les auteurs ont précisé que des comparaisons ont été faites avec des données historiques, comme admis par l’OMS [7].             Il n’y a pas eu d’effet indésirables graves, mais les effectifs faibles ne permettent pas de conclure sur les éventuels effets indésirables en cas d’utilisation systématique du produit.

Il s’agit d’une remarquable avancée dans le traitement de la THA, que l’on peut qualifier de « révolutionnaire ». L’acoziborole peut être administré par voie orale en une seule prise, sur place, à domicile ; il peut être pris à jeun. Il supprime le besoin de diagnostic complexe ou invasif ; il est efficace quel que soit le stade de la maladie ce qui supprime la nécessité de classification clinique pré-traitement.  Ainsi, les personnels de santé locaux et/ou ceux des équipes de santé mobiles seront en mesure d’administrer le traitement dès le diagnostic établi, sans qu’il soit nécessaire d’hospitaliser les patients ou de les surveiller à domicile.                     

Dépister et traiter, une perspective


Cette étude n’a pas permis de conclure sur le traitement à donner aux personnes « séro-suspectes » à la THA-G (sérologie positive sans confirmation parasitologique). Il a été démontré qu'une proportion variable, selon la prévalence de la maladie, des sujets "séro-suspects" sont des cas porteurs de parasites qui restent donc des réservoirs potentiels du trypanosome et une source de nouvelles infections entravant les efforts d'élimination de la maladie.

Aussi, à la suite de cette première étude aux résultats prometteurs, le groupe consultatif technique de l'OMS sur l'élimination de la THA a recommandé la réalisation d'un essai en double aveugle pour évaluer l'utilisation de l'acoziborole par rapport au placebo chez les patients séropositifs THA dont les tests parasitologiques sont négatifs, et d'obtenir des données supplémentaires sur la tolérance. Cette étude randomisée est en cours (NCT05256017), avec 900 participants dans le groupe acoziborole contre 300 dans le groupe placebo ; elle doit se terminer en mai 2023 [8]

Selon l’OMS l'acoziborole pourrait ouvrir la possibilité d'une approche simple « dépister et traiter », selon laquelle toute personne avec un test sérologique positif suggérant qu'elle pourrait être infectée, pourrait être traitée sans avoir besoin d'une confirmation parasitologique plus complexe à réaliser.

* Selon les définitions de l’OMS, une maladie est « éliminée » d’une zone géographique (Pays, région..) lorsqu’elle n’y représente plus un problème de santé publique ; la prévalence de la maladie peut être nulle, mais l’agent responsable de la maladie continue à circuler dans d’autres zones. L'éradication est la réduction à zéro de la prévalence d'une maladie infectieuse dans la population hôte mondiale ; l’agent pathogène ne circule plus et toutes les mesures de lutte peuvent être stoppées Une seule maladie humaine a été éradiquée, la variole.

Pr Dominique Baudon

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Vos réactions (1)

  • Photo incorrecte

    Le 07 février 2023

    Bonjour,
    Veuillez noter que l'illustration est l'image d'une mouche commune française et pas du tout celle d'une mouche tsé tsé ou Glossina morsitans morsitans.
    Bien cordialement

    Pierre Roques, Institut Pasteur de Guinée

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