La photothérapie dynamique dans la prise en charge de la kératose actinique

J.-B. MONFORT

Hôpital Tenon, Paris

La photothérapie dynamique (PDT) prend une place de plus en plus importante en dermatologie. Elle est essentiellement utilisée en cancérologie cutanée mais les indications se diversifient depuis quelques années. Parallèlement, les kératoses actiniques sont des lésions précancéreuses très fréquentes, d’autant plus avec le vieillissement de la population. La PDT représente un excellent traitement pour ces lésions, efficace et bien toléré.

Les kératoses actiniques (ou préépithéliomateuses) sont des lésions précancéreuses extrêmement fréquentes dans la population, notamment chez le sujet blanc. Leur incidence augmente avec l’âge. Selon les données de l’Institut national d’études démographiques (INED) 2006, il existe environ 3 à 5 millions de personnes atteintes de kératoses actiniques en France. Elles se présentent sous la forme de tâches brunes ou jaunes, recouvertes d’un enduit kératosique ou verruqueux, sec, adhérent. Elles prédominent nettement sur les zones photo-exposées (cuir chevelu, visage, dos des mains, décolleté).

À l’examen histologique, non indispensable pour le diagnostic, elles correspondent à des anomalies de l’architecture épidermique n’intéressant que les couches basales, sans jamais dépasser la membrane basale par définition. Il existe trois évolutions possibles des kératoses actiniques. Elles peuvent disparaître spontanément, rester stables, ou bien évoluer vers un carcinome épidermoïde invasif. Cette évolution justifie un traitement systématique de toute kératose actinique dépistée à l’examen clinique.

Plusieurs traitements sont disponibles pour la prise en charge de ces lésions.

En cas de lésion unique (ou bien multiples mais peu nombreuses), un traitement par cryothérapie est généralement suffisant, nécessitant un contrôle systématique de la disparition de la lésion. En cas de lésions multiples, des trai tements topiques ont l’AMM en première intention : 5-FU topique (Efudix®), imiquimod (Aldara®), diclofénac, mébutate d’ingénol (Picato®). Ces traitements, efficaces, ont l’inconvénient d’être mal tolérés par le patient, rendant l’observance parfois difficile. Le Picato® a cependant l’avantage d’avoir une courte durée d’utilisation (2 ou 3 jours de traitement selon la localisation des kératoses actiniques).

Un traitement par photothérapie dynamique (PDT) peut également être proposé pour les kératoses actiniques multiples. Ce traitement peut parfaitement être utilisé chez les patients transplantés, même en première intention.

La PDT a également d’autres indications qui ne seront pas traitées ici : maladie de Bowen, carcinome basocellulaire superficiel. Elle a été essayée pour d’autres pathologies avec des résultats parfois encourageants, mais n’a pas l’AMM actuellement : nécrobiose lipoïdique, maladie de Paget vulvaire, maladie de Hailey- Hailey, mycosis fungoïde, acné, photo-rajeunissement…

L’objectif de la PDT est la destruction des cellules précancéreuses, tout en étant le moins délétère possible sur les cellules saines. La PDT requiert 3 composants : un photosensibilisant, une source de lumière et de l’oxygène. Le photo-sensibilisant est une molécule qui va aller se localiser dans la cellule cible et qui va être activée par la lumière, avec une longueur d’ondes adaptée. Cette activation est suivie d’un effet phototoxique dû à un mécanisme d’oxydation irréversible entraînant une mort cellulaire. Lorsque le photosensibilisant est exposé à des longueurs d’ondes spécifiques, il passe d’un état « de base » à un état « excité ». Lorsqu’il retourne à l’état de base, il existe deux possibilités où l’énergie qui en résulte peut médier la mort cellulaire sélective.

• Premièrement, il peut réagir avec le substrat pour former des radicaux, qui interagissent ensuite avec l’oxygène pour produire des radicaux libres. Dans ce cas, le photosensibilisant est dégradé.

• Deuxièmement, l’énergie peut directement être transférée à l’oxygène pour former de l’oxygène singulet, qui peut oxyder différents substrats et médier la mort cellulaire sélective. Cette deuxième réaction prédomine comme mécanisme lors de la PDT. Les dommages cellulaires provoqués par le stress oxydatif portent essentiellement sur les membranes cellulaires et les organites intracytoplasmiques (mitochondries, lysosomes).

Les effets phototoxiques ont lieu lorsque le photosensibilisant est intracellulaire et via plusieurs mécanismes immunologiques. Les porphyrines sont principalement localisées dans les mitochondries, ce qui entraîne une apoptose ou une nécrose lors de l’illumination. Les réponses immunitaires incluent la production d’interleukine 1- β, interleukine 2, TNF α et GCS-F. La PDT a un très faible effet carcinogène (faible potentiel à créer des dommages de l’ADN).

Photosensibilisants et sources lumineuses

Les premiers photosensibilisants utilisés étaient administrés par voie intraveineuse. Ils avaient l’inconvénient d’entraîner des effets secondaires importants (forte photosensibilité et surtout aucune spécificité d’action). Actuellement, on a recours aux formes topiques.

Différents photosensibilisants topiques ont ensuite été utilisés. Ce sont actuellement des dérivés de l’acide 5-alpha-amino-lévulinique, précurseur d’un photosensibilisant endogène, essentiellement présent dans les kératinocytes : la protoporphyrine 9 (Pp9), qui est une étape intermédiaire de la chaîne de synthèse de l’hème. Lors de l’apport d’ALA en excès, il se produit une accumulation cellulaire de Pp9, jouant un rôle photosensibilisant. Les deux types de précurseurs de la Pp9 sont l’acide aminolévulinique (ALA) et l’aminolévulinate de méthyle (MAL).

C’est ce dernier qui est le plus utilisé actuellement : il est plus lipophile, il a donc une meilleure pénétration dans l’épiderme et ne nécessite que 3 heures d’occlusion avant l’illumination, contrairement à l’ALA (12 à 18 heures). Le MAL est commercialisé sous le nom de Metvixia®. La lumière utilisée est généralement rouge et émet à 635 nanomètres (figure 1).

Cette longueur d’onde correspond à un des pics d’absorption de la protoporphyrine 9. La pénétration tissulaire est de 6 mm. La profondeur de pénétration tissulaire de la lumière est directement proportionnelle à la longueur d’onde. L’exposition énergétique nécessaire à la production maximale d’oxygène singulet et de radicaux libres est de 37 J/cm2, pour une longueur d’onde de 630 nm. La durée d’exposition sera fonction de la puissance de la lampe.


Description de la séance

La première étape consiste à gratter la kératose actinique à la curette ou au bistouri afin d’éliminer le maximum de squames, pour une efficacité optimale (figures 2 et 3). Cette étape peut être effectuée par le médecin ou par une infirmière, notamment pour un usage hospitalier. Il faut ensuite appliquer la crème Metvixia® sur le champ de kératoses actiniques à traiter, sur 1 mm d’épaisseur, en débordant de 5 à 10 mm. Un pansement opaque (type Mépore®), protégeant de la lumière doit être appliqué ensuite, pour ne pas dégrader le précurseur.


Un traitement antalgique peut parfois être administré 1 heure avant l’illumination, notamment pour les kératoses actiniques du cuir chevelu, zone la plus sensible en pratique. Le paracétamol est le plus utilisé. Le pansement est ensuite retiré et le champ de kératoses est nettoyé au sérum physiologique. Le patient doit être confortablement installé (figure 4).

La séance dure entre 9 et 20 minutes selon l’appareil utilisé (9 min pour la lampe Aktilite®, souvent la plus utilisée). Celui-ci, facile d’utilisation, doit être parfaitement positionné : il doit couvrir tout le champ de kératoses actiniques, être parallèle à la surface cutanée et être à une distance de quelques centimètres (un travers de main en général). Le patient doit porter des lunettes opaques à la lumière. Le médecin effectuant l’illumination doit porter des lunettes protectrices afin de ne pas être ébloui. La peau saine, non exposée, n’a pas besoin d’être protégée.

Le médecin n’a pas besoin de se protéger la peau non plus, en dehors des yeux. Le médecin doit absolument rester présent dans la salle pendant toute la durée de l’illumination, une douleur et un érythème intenses pouvant survenir très rapidement et nécessitant un arrêt immédiat de la séance.


Effets indésirables

Le problème le plus fréquent est la douleur pendant l’illumination. Elle peut parfois amener à arrêter la séance. Elle varie selon le patient, la localisation des lésions ainsi que la présence d’érosions traumatiques (grattage préalable à la curette) ou spontanées.

Il est important d’évaluer cette douleur avec une échelle visuelle analogique, pendant la séance et à la fin de la séance. Elle peut être prévenue en administrant un antalgique de palier 1 avant la séance. Pendant l’illumination, de l’eau thermale peut être vaporisée. Certains utilisent de l’azote liquide, pulvérisé à distance.

 Dans certains cas, notamment sur le cuir chevelu où l’illumination peut être très mal tolérée, il est possible d’effectuer des injections de lidocaïne juste avant l’illumination. Un érythème est constant à la fin de l’illumination. Une crème cicatrisante doit être appliquée en couche épaisse en fin de séance en couvrant d’un pansement que le patient gardera quelques heures, à visée antalgique et pour éviter la formation d’une croûte. Les applications pourront être renouvelées autant de fois que nécessaire en cas de sensation de brûlure dans les jours qui suivent. En pratique, la douleur n’est pas un problème une fois le patient rentré chez lui.

Une pigmentation peut parfois apparaître à distance de la séance, elle sera prévenue par une photo-protection bien suivie. Metvixia® ne doit pas être utilisé chez les patients atteints de porphyrie.

Efficacité

L’efficacité de la PDT est appréciée 3 mois après la séance. En cas d’efficacité incomplète, une nouvelle séance de PDT peut être proposée, voire 2 séances à 1 semaine d’intervalle (plutôt réservé pour les maladies de Bowen). Il ne faudra pas oublier d’effectuer une biopsie cutanée des lésions suspectes afin de ne pas méconnaître une transformation vers un carcinome épidermoïde, notamment en cas d’infiltration des lésions.

Dans une étude de phase III randomisée, en double aveugle, la PDT avec Metvixia® a montré une efficacité de 79 % contre 21 % pour le groupe placebo.

Dans une étude de non-infériorité de phase III versus cryothérapie, il existait une réponse complète de 90,5 % avec Metvixia® contre 68,3 % avec la cryothérapie.

D’autres études ont cependant obtenu des résultats plus décevants : une de phase III versus cryothérapie, de non-infériorité, ouverte et randomisée (réponse complète à 3 mois chez 55 % des patients traités par Metvixia® et 72 % avec la cryothérapie) et une étude de phase IV où aucune différence du pourcentage de réduction du nombre de lésions n’a été mise en évidence entre Metvixia® et la cryothérapie.

Avis de la commission de transparence, codage et coût

D’après cette commission, le rapport efficacité/effets indésirables est important. Le service médical rendu par Metvixia® dans l’indication des kératoses actiniques a été considéré comme important. Metvixia® n’apporte cependant pas d’amélioration du service médical rendu par rapport à la cryothérapie, mais constitue un moyen thérapeutique supplémentaire.

La commission rappelle que la cryothérapie reste le traitement de référence et que la population cible, estimée à environ 2 millions de personnes en France, ne peut pas être traitée par Metvixia® dans sa totalité à cause du coût que représente la PDT.

Elle rappelle également que l’indication exacte reste les kératoses actiniques fines ou non hyperkératosiques et non pigmentées du visage et du cuir chevelu.

Il n’existe actuellement pas de codage spécifique pour la PDT. Le coût d’un tube de Metvixia® de 2 g est de 204,03 € (remboursé à 65 % par la Sécurité sociale).

Daylight PDT

Afin d’éviter la douleur engendrée par l’illumination lors de la séance de PDT, une nouvelle technique a été mise au point. Le principe reste le même, sauf que ce n’est plus une lampe artificielle qui est utilisée après l’application du Metvixia® mais la lumière du soleil.

Les kératoses actiniques sont grattées à la curette, Metvixia® est appliqué de la même manière mais l’occlusion ne dure que 30 minutes seulement. Le patient doit ensuite s’exposer au soleil pendant une durée de 2 heures. Les zones non traitées doivent bien sûr avoir été préalablement enduites de crème photoprotectrice !

C’est une technique simple, plus facile à mettre en oeuvre et surtout plus rapide pour le patient et le médecin. L’inflammation cutanée, l’érythème et les sensations de brûlures sont beaucoup moins fréquents qu’avec la PDT classique.


Conclusion

La photothérapie dynamique reste un traitement efficace et bien toléré pour la prise en charge des kératoses actiniques. Elle peut être effectuée à l’hôpital ou en cabinet de ville. La réalisation en une séance unique en fait un excellent traitement en termes d’observance thérapeutique du patient. L’indication officielle concerne les kératoses actiniques de l’extrémité céphalique, bien que cette technique soit utilisée pour d’autres localisations en pratique courante. La PDT est également un bon traitement pour les carcinomes basocellulaires superficiels et la maladie de Bowen, évitant au patient la chirurgie, les risques septiques et esthétiques.

Pour en savoir plus

• Basset-Seguin N. Application de la photothérapie dynamique. In : Thérapeutique Dermatologique, 2009.

• Peris K et al. Italian expert consensus for the management of actinic keratosis in immunocompetent patients. J Eur Acad Dermatol Venereol 2016 ; doi: 10.1111/jdv.13648.

• Philipp-Dormston WG et al. Daylight PDT with MAL cream for large-scaled photodamaged skin based on the concept of “actinic field damage”: recommendations of an international expert group. J Eur Acad Dermatol Venereol 2016 ; 30 (1) : 8-15.

• Séance de photothérapie dynamique de lésion cutanée après application topique de produit photosensibilisant. Avis sur les actes ; HAS, 2010.

• Wan MT, Lin JY. Current evidence and applications of photodynamic therapy in dermatology. Clin Cosmet Investig Dermatol 2014 ; 7 : 145-63.

• Wiegell SR et al. Daylight photodynamic therapy for actinic keratosis: an international consensus: International Society for Photodynamic Therapy in Dermatology. J Eur Acad Dermatol Venereol 2012 ; 26 (6) : 673-9.

Copyright © Len médical, Dermatologie pratique, Mai 2016

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