La place des cabinets de conseil dans la gestion de la crise sanitaire en question

Paris, le jeudi 24 mars 2022 – Le rapport du Sénat sur le recours aux cabinets de conseil révèle qu’ils ont joué un rôle majeur dans la gestion de la crise sanitaire.

C’est un rapport qui fait de plus en plus de bruit et qui commence à gêner la majorité, à moins de trois semaines de l’élection présidentielle. Rendu le 16 mars dernier, les conclusions de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil montrent que le recours à ces sociétés privées (souvent étrangères) par l’Etat a explosé durant le dernier quinquennat et que c’est plus d’1 milliard d’euros (un « pognon de dingue » écrit le rapport) qui ont été versés à ces consultants. Au-delà de la question même de la nécessité de faire appel à ces cabinets, alors même que l’administration française est pléthorique, l’ « optimisation fiscale » poussée à la perfection de la société McKinsey, principal cabinet consulté par le gouvernement, a alimenté le débat.

41 millions d’euros versés aux cabinets de conseil

A la lecture du rapport du Sénat, on découvre que les cabinets de conseil étaient impliqués dans presque chaque politique publique et notamment dans ce qui a constitué un défi majeur pour l’Etat ces deux dernières années : la gestion de la crise sanitaire. Au total, 68 commandes ont été passées au cours de l’épidémie, pour un montant total de 41 millions d’euros, McKinsey se taillant la part du lion avec 12 millions d’euros de  chiffre d’affaires sur deux ans. A noter que certains cabinets ont également accepté des missions « pro bono », notamment à destination des hôpitaux.

Comme le note les sénateurs auteur du rapport et contrairement aux déclarations des ministres et des consultants eux même qui cherchent à minimiser la portée de ces interventions, ce sont « des pans entiers de la gestion de la crise qui sont sous-traités aux cabinets de conseil ». La commission d’enquête précise cependant que ces consultations se sont limitées à des missions liés à la logistique et à la communication, tandis que les questions purement sanitaires sont restées entre les mains du gouvernement.

McKinsey, clé de voute de la campagne de vaccination

L’action des cabinets de conseil a commencé dès le début de la crise, au mois de mars 2020, dans un contexte d’impréparation totale de l’Etat. La commission d’enquête le reconnait, l’intervention des consultants au début de la crise a sans doute été salutaire. Dès le 5 mars 2020, le cabinet Citwell se voit ainsi confier la gestion de l’approvisionnement en masques, alors même que la Direction Générale de la Santé (DGS) semble dépassée. C’est plutôt les interventions de ces cabinets sur la durée qui posent problème. Après son action sur les masques, Citwell s’est en fait vu attribuer 7 missions supplémentaires, pour un montant total de 2,6 millions d’euros, certains de ses travaux étant même utilisés lors des fameux conseils de défense, tout cela en application de contrats passés dans des conditions opaques.

Un choc des cultures

Mais l’action la plus importante des consultants au cœur de la crise aura sans doute concernée la campagne vaccinale, qui aura été presque intégralement chapoté par le cabinet McKinsey. Engagé sur le sujet dès le 25 novembre 2020 pour une mission qui ne devait au départ durer que 3 semaines, la société américaine participera à l’élaboration de la stratégie vaccinale jusqu’en février de cette année et sera payé pour cela 11,6 millions d’euros. Selon la commission d’enquête sénatoriale, une « forme de dépendance de l’Etat » vis-à-vis de McKinsey s’est « progressivement installée ». Ainsi, chaque nouvelle étape de la campagne vaccinale, chaque nouvelle décision, a fait l’objet d’une mission confiée à McKinsey.

L’intervention des cabinets de conseil a parfois provoqué un choc des cultures entre l’esprit « disruptif » des consultants et l’ambiance « service public » qui règne dans les administrations. La cohabitation semble avoir été particulièrement difficile à Santé Publique France (SPF) où un « agent de liaison » de chez McKinsey a été envoyé en décembre 2020. Le Sénat raconte comment les agents de SPF se plaignent de l’omniprésence de McKinsey et de devoir subir deux « briefing » par jour. « Il faut arrêter de nous demander à 15h l’état d’avancement d’actions prises à 9h lorsqu’elles prennent du temps » écrit un agent de SPF à sa direction.

Pour le Sénat, la participation des cabinets du conseil à la gestion de la crise sanitaire n’est que « la face émergée de l’iceberg » d’un « phénomène tentaculaire » au sommet de l’Etat. Bien conscient des problèmes d’image que cela renvoie, Emmanuel Macron et Jean Castex ont déjà promis que les dépenses liées aux « prestations intellectuelles engagées en stratégie et organisation » diminueraient de 20 % en 2022.

Reste une question encore sans réponse : qui (ou quel cabinet) a conseillé McKinsey au gouvernement pour gérer la crise sanitaire ?

Quentin Haroche

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Vos réactions (5)

  • La main dans le sac

    Le 25 mars 2022

    L'opacité entretien la Défiance, si besoin était.
    La réalité de l'externalisation des audits et conseils n'est pas un scoop : la loupe de la crise sanitaire et le rapport de la commission d'enquête du Sénat* les met sur la place publique.
    Cette externalisation de problématiques publiques sensibles pose question sur la confidentialité auprés de cabinets mondialisés et poreux. Le " pantouflage " rappelle cette porosité, la crise géopolitique et énergétique l'acutise.
    L'absence de ressources publiques, souvent jugées pléthoriques et en chevauchement , suffisantes en situation de crise interpelle : le besoin de "prestations intellectuelles" assistant les acteurs publiques disponibles est franchement péjoratif en suggérant que la quantité ne fait pas la qualité.

    Le caractère " disruptif " est dans l'ADN des cabinets d'audit : l' "oeil neuf" . Il était omniprésent dans le parcours puis la première campagne de Mr Macron : Renverser les tables en s'étonnant ensuite de les voir tourner.

    Reste à rappeler que le recours au(x) conseil(s) externalisé(s) est historique dans les hôpitaux et à la discrétion du DG qui est le seul dépositaire du financement, du rendu et des conclusions.

    L'épidémiologie a pu être soumise à l'externalisation, auto-proclamée : Qui a oublié les intervention fort médiatisées du Dr M Blachier?

    On peut s'interroger benoitement sur "qui (ou quel cabinet) a conseillé McKinsey au gouvernement pour gérer la crise sanitaire ?" . Un élément de réponse se trouve dans le pantouflage, un autre dans l'implication devenue notoire de McKinsey lors de la première campagne de Mr Macron. Un retour d'ascenseur à grand frais ?

    Frais pour Frais , le question de l'optimisation fiscale des sommes reçues n'est que la cerise sur le gâteau qui ... confine au cannibalisme.

    * 16/3/2022 : Commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de
    conseil privés sur les politiques publiques sur « Un phénomène tentaculaire :
    l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques »
    http://www.senat.fr/rap/r21-578-1/r21-578-11.pdf

    Dr JP Bonnet

  • Polémique absurde

    Le 25 mars 2022

    Le rôle de l'administration est d'administrer. Pour répondre à la question finale de l'article, il consiste notamment à choisir les conseils compétents (et mieux-disants) pour étudier des problèmes complexes.
    L'administration n'a nullement vocation à effectuer elle-même des expertises, elle doit au contraire les organiser rationnellement, pour ne pas être influencée par la tutelle politique.
    Les structures de conseil et d'expertise indépendante sont essentielles et l'Etat doit y recourir. C'est au contraire la prétention de l'administration à tout savoir (il est vrai qu'elle est capable de tout !) qui conduit à cette hypertrophie dispendieuse et inefficace de la fonction publique.

    Dr Pierre Rimbaud

  • Dégraissez !

    Le 25 mars 2022

    Le rapport du Sénat ne pose pas la bonne question : si on a besoin de ces externes de manière régulière (et non pas exceptionnelle, j'insiste bien la dessus) reconnaissons que notre administration est aussi obèse qu'inefficace, et qu'il faut dégraisser le mammouth comme disait l'autre, c'est un aveu de mauvaise graisse, de pantouflards dans notre fonction publique (et non pas dans ces cabinets d'audit comme le rapporte le Dr Bonnet), de services entiers qui ne servent à rien, d'une organisation qui vit pour elle même et non pas pour accomplir sa mission.

    On nous demande à nous médecins de faire de la qualité et du rendement, nous médecins et contribuables rétorquons à ceux là : faites en autant, soyez objectifs et logiques avec vous mêmes, et dégraissez !

    Dr F Chassaing

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