
Paris, le vendredi 3 juin 2022 – La santé mentale des jeunes continue de se dégrader, incitant la Défenseure des droits à demander la mise en place d’un plan d’urgence.
Etrange époque où pour sauver des personnes âgées, on l’a sacrifié les plus jeunes. Les mesures sanitaires mises en place pour lutter contre la Covid-19 ont, on le sait, fortement affecté la santé mentale des adolescents et jeunes adultes à partir de l’automne 2020 (alors que le premier confinement avait paradoxalement fait diminuer le taux de suicides).
Si aujourd’hui la quasi-totalité de ces mesures ont été levées et que l’épidémie ne fait plus la une de l’actualité, la santé mentale des plus jeunes continue de se dégrader. Le mal-être des jeunes générations est profond, alimenté par un climat anxiogène (guerre en Ukraine, dérèglement climatique, incertitude sur l’avenir…). « On ne guérit pas d’une dépression ou d’une angoisse majeure aussi vite que d’une infection virale » rappelle la Pr Christèle Gras-Le Guen, présidente de la Société française de pédiatrie.
Les jeunes filles bien plus touchées que les garçons
Les derniers chiffres de Santé Publique France sur les tendances suicidaires des plus jeunes sont ainsi particulièrement alarmants. « Chez les 11-17 ans et les 18-24 ans, les passages pour gestes suicidaires, idées suicidaires et troubles de l’humeur se maintiennent à des niveaux élevés comparable voire supérieurs à ceux observés début 2021 » écrit l’agence de santé publique.
La hausse des gestes suicidaires concerne toutes les tranches d’âges, avec 27 % de passages aux urgences en plus au 1er trimestre 2022 par rapport à 2021, mais est nettement plus marquée chez les 15-24 ans. « Il y a eu une augmentation importante du nombre d’adolescents hospitalisés pour tentative de suicide avec une hausse de 27 % à partir de fin 2020 par rapport à 2019 et ce niveau élevé se poursuit » commente Fabrice Jollant, professeur de psychiatrie à Paris.
Quant aux appels aux centre anti poison (CAP) pour tentative de suicide, « ils sont, cette année, deux fois plus nombreux concernant les 12-24 ans avec environ 35 appels par jour en moyenne contre 20 environ en 2019 » affirme Dominique Vodovar, médecin au CAP de l’hôpital Lariboisière.
L’augmentation des tendances suicidaires chez les jeunes s’observe dans toutes les régions et tous les milieux sociaux mais touche majoritairement les filles, qui représentent 80 % des passages aux urgences pour idées suicidaires. Cependant, comme chez les adultes, les garçons se montrent plus « efficaces » : selon les derniers chiffres de mortalité, qui datent de 2017, entre 300 et 350 personnes âgées de 15 à 24 ans meurent par suicide chaque année, dont 75 % de garçons.
La Défenseure des droits appelle à un « plan d’urgence »
Face à cette situation dramatique, la Défenseure des droits Claire Hédon a pris à partie le gouvernement. Ce jeudi, elle a appelé la Première Ministre Elisabeth Borne à mettre en place un « plan d’urgence » pour la santé mentale des jeunes et à « prendre la pleine mesure de la gravité de la situation dans laquelle sont plongés de nombreux jeunes ».
L’ancienne journaliste rappelle notamment à l’exécutif le manque criant de moyens de la pédopsychiatrie, alors qu’il faut parfois attendre plus de 18 mois pour obtenir un rendez-vous avec un pédopsychiatre. « Le défaut de prise en charge des troubles de santé mentale et les manquements aux droits qui en découlent constituent une entrave au bon développement » insiste la Défenseure des droits.
Nombreux sont en effet les psychiatres, pédopsychiatres et pédiatres qui décrivent une prise en charge de plus en plus dégradée. « Les services de pédopsychiatrie sont saturés depuis des années déjà. Il y a des jeunes suicidaires qui rentrent chez eux, fautes de places, alors qu’on aimerait qu’ils restent. On est obligé de trier, c’est insupportable » dénonce la Pr Gras-Le Guen.
La cheffe des urgences pédiatriques du CHU de Nantes ne croit
pas que l’appel de la Défenseure des droits changera grand-chose à
la situation. « Pour l’instant, rien ne laisse espérer une
sortie de crise prochaine. On essaie de mettre des rustines sur ce
qu’on peut, mais ça ne permet pas de répondre aux besoins de toute
cette jeunesse ». L’appel de Claire Hédon risque en effet de
se perdre dans le flot des diverses crises que le gouvernement doit
gérer et notamment celle des urgences.
Quentin Haroche