La science doit-elle être l’objet de votes ?

Paris, le samedi 21 janvier 2023 – Cette semaine, les sénateurs ont achevé l’examen du texte d’accélération « des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires ». En effet, comme le fait remarquer l’éditorialiste du Monde Philippe Escande : « Dans un pays qui concocte une loi dès qu’un nouveau problème apparaît, on en vient maintenant à légiférer pour lutter contre les lenteurs administratives résultant des lois précédentes. En matière d’énergie, pour garantir l’acceptabilité sociale d’une technologie qui fait peur, le nucléaire, ou celle d’éoliennes accusées de gâcher le paysage, on a empilé les garanties juridiques qui sont autant de portes d’entrée pour les opposants de toutes sortes ».

Aujourd’hui, alors que l’une des urgences est de préserver la production électrique française, les pouvoirs publics se hâtent donc de déconstruire (selon une terminologie en vogue) les multiples freins qui se sont accumulés au fil des réglementations et des lois. Aussi, pressés par cet impératif, les sénateurs ont adopté un amendement qui supprime l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % dans la production électrique française.

Le rapporteur LR, Daniel Gremillet a expliqué cette audace : « Le gouvernement élude les questions cruciales de la révision de la planification énergétique. Jusqu'au tournant du discours de Belfort, le président de la République a appliqué une politique d'attrition et d'indécision sur le nouveau nucléaire. Notre commission souhaite renverser la tendance ». Les sénateurs LR ont d’ailleurs eu le soutien des représentants Renaissance qui ont déposé en dernière minute un amendement reprenant la proposition faite par leurs collègues LR.  

Un débat déjà tranché d’avance ?

Cependant, le gouvernement est mal à l’aise avec cet empressement. Le ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher a en effet rappelé qu’une concertation publique avait été lancée sur ces sujets, dont il semblait opportun d’attendre l’issue. Néanmoins, la commission nationale du débat public n’est pas dupe. Dans un communiqué publié au lendemain du travail des sénateurs elle rappelle et remarque : « La loi actuelle prescrit de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2035, et fixe un plafond de 63,2 gigawatts à la capacité totale de production d’électricité nucléaire. Elle indique aussi que ces objectifs, parmi d’autres relatifs à l’énergie et au climat, relèvent d’une loi de programmation énergétique dont la prochaine version devrait être votée par le Parlement à l’été 2023 puis révisable tous les cinq ans. La Constitution prévoit (4), quant à elle que pour de telles questions, qui ont des incidences sur l’environnement, toute personne a le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques. Dans ce cadre démocratique de préparation de décisions parlementaires définissant la stratégie énergétique de notre pays, un débat public est en cours, depuis le 27 octobre 2022 et jusqu’au 27 février 2023. Il porte sur l’opportunité d’un programme présenté par EDF et portant sur six nouveaux réacteurs, dont les deux premiers seraient construits à Penly en Normandie. Ce débat conduit à examiner, sans concession ni préjugé, les conditions et les modalités pratiques de relance d’un tel programme nucléaire (…). Dans le cadre de l’examen d’un projet de loi ne portant que sur les procédures de construction de nouvelles installations nucléaires et non sur les choix de politique énergétique, la levée des objectifs de limitation de la production nucléaire à 63,2 GW et à 50% de la production électrique totale est actuellement débattue, par amendements au projet de loi initial. Une telle mesure, anticipant de quelques mois un débat relevant du projet de loi de programmation énergétique, ne change rien aux délais de réalisation éventuelle d’un programme de relance du nucléaire (…). Elle revient en revanche à considérer comme sans intérêt pour définir la stratégie énergétique les interrogations, les remarques et les propositions faites lors du débat public en cours ».

Trompe l’œil

L’amertume est clairement (?) exprimée dans ce communiqué. Il est de fait légitime de s’interroger sur la facilité avec laquelle les sénateurs s’émancipent des résultats d’une consultation citoyenne : ce n’est probablement qu’une confirmation supplémentaire que ce type de consultations n’est bien souvent qu’un ersatz de démocratie, un exercice superficiel organisé comme gage de l’attention que l’on porterait aux argumentations des uns et des autres, mais sans réelle valeur et sans aucune garantie d’une quelconque écoute concrète. Néanmoins, ce télescopage sans vergogne des sénateurs invite à une autre question : une concertation citoyenne est-elle adaptée pour discuter d’une question aussi complexe que les choix de politique énergétique d’un pays ?

Des enjeux complexes et multiples

La commission nationale du débat public énumère les différents aspects de la concertation : « les enjeux de sureté des innovations techniques proposées, les enseignements tirés du retour d’expérience du chantier toujours en cours de Flamanville, les conséquences du projet en matière d’environnement local, ses prérequis en matière de formation et d’emploi portant sur des compétences nouvelles, les conditions de financement et d’équilibre économique d’un programme évalué à plus de 50 milliards d’euros, les modifications apportées à la gestion actuelle des combustibles et des déchets, les incertitudes climatiques et géopolitiques, les modalités de prise de décision ». De fait, les sujets sont extrêmement importants, mais comment être sûr qu’ils ne dépassent pas le champ de compétences de la plupart des citoyens ?

Peurs et contexte

Dès lors, ce qui va influencer (ce qui est d’ailleurs légitime) un tel débat, ce sont les éléments de contexte et les peurs, bien plus que les véritables données scientifiques. Ainsi, à propos du nucléaire, les perceptions ont considérablement évolué : aujourd’hui la crise géo-politique liée à la guerre en Ukraine a modifié la position des Français vis-à-vis de cette énergie et de la place qu’elle doit avoir en France. Néanmoins, comme le montre régulièrement le baromètre de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, le nucléaire est encore associé à des images qui sont en décalage avec la réalité. Par exemple, la catastrophe de Fukushima est considérée par 20 % des Français comme l’évènement catastrophique récent le plus effrayant (après celle de Tchernobyl citée par 50 % des sondés), loin devant le tsunami de 2004 (11 %) alors que le nombre de morts lié à ce dernier drame est incommensurablement plus élevé.

Le débat citoyen : l’échec de la démocratie, l’aveu d’ignorance de nos représentants ?

Le nucléaire n’est sans doute pas le seul sujet à propos duquel on peut s’interroger sur la pertinence de le soumettre à la sagacité du débat public. Beaucoup avaient ironisé lorsqu’avait été constitué un comité citoyen de la vaccination, concernant la Covid. Il en est également de même quand on observe la forme de « contrôle citoyen » qui s’exerce sur la recherche publique, dénoncé en décembre 2020 par l’Association française d’information scientifique (AFIS) à propos des travaux expérimentaux sur les OGM.

D’ailleurs, on le constate régulièrement, ces comités citoyens sont souvent peu ou pas écoutés et déjà à propos d’un premier débat public dédié à la vaccination en 2016, beaucoup avaient raillé un « fiasco démocratique ». Cette attitude des pouvoirs publics confirme comme nous l’avons déjà suggéré que ces groupes et autres colloques ne sont qu’une façon facile de s’acheter une « bonne conscience démocratique ».

Mais on pourrait également les voir comme un aveu d’échec inconscient. En effet, même s’il y a déjà plusieurs années dans l’Opinion, Henri-Corto Stoeklé bioéthicien, et Guillaume Vogt généticien clamaient que « la science n’est pas une démocratie », elle ne lui échappe pas. Nous élisons des représentants politiques dont nous considérons qu’ils pourront s’appuyer sur la meilleure expertise scientifique pour prendre les bonnes décisions dans les domaines où l’arbitrage politique n’est que secondaire.

Cependant, cette expertise scientifique des représentants politiques n’est qu’une illusion : ces derniers agissent eux aussi bien plus fréquemment sous l’influence des peurs, des idéologies, de la pression de l’opinion et des contextes que sous celle de données objectives (le récent revirement du Président de la République concernant le nucléaire en est une belle illustration).

Et cette défaillance explique sans doute ce besoin de plus en plus accru de concertations publiques et autres débats qui grignotent une représentation démocratique traditionnelle (le Parlement) affaiblie par les insuffisances de nos représentants. Des failles que l’ancien Haut-Commissaire à l'énergie atomique de 2012 à 2018 Yves Bréchet dénonçait sans filtre récemment devant les députés en moquant « l'inculture scientifique et technique de notre classe politique », qu’il considère comme « au cœur du problème ».

Faudrait-il un débat citoyen sur le sujet ?

On relira :

Philippe Escande : https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/16/nucleaire-accelerer-les-lois-le-mot-d-ordre-est-lance_6158053_3234.html

La commission nationale du débat public : https://www.debatpublic.fr/communique-le-nucleaire-la-loi-et-la-constitution-3896

Le baromètre de l’IRSN : http://barometre.irsn.fr/barometre2022/#p=1

L’AFIS : https://www.pseudo-sciences.org/Un-dangereux-controle-citoyen-sur-la-recherche-publique

Henri-Corto Stoeklé bioéthicien, et Guillaume Vogt généticien : https://www.lopinion.fr/politique/la-science-nest-pas-une-democratie-la-tribune-de-henri-corto-stoekle-et-guillaume-vogt

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • La science doit-elle être l’objet de votes ?

    Le 21 janvier 2023

    Non, pas uniquement. Dans un 1er temps, le gouvernement devrait d'abord demander son avis à l'Académie des Sciences. Celle-ci peut constituer un groupe de travail avec des membres les plus compétents pour répondre à une question scientifique rapidement si une date limite est définie. L'Académie a aussi été créée pour cela.

    Dr Henri Rochefort

  • Les véhicules électriques

    Le 21 janvier 2023

    Cette obligation du tout électrique en ce qui concerne les véhicules (électricité de quelle origine ?) est une aberration démocratique et scientifique qui sont peut-être antinomiques. Que les véhicules à propulsions issues de l'énergie fossile ne soient peut-être pas bons pour la planète, mais que que représentent-ils en terme de pourcentage ? Qu'on les remplace, pourquoi pas? Mais que l'on interdise les véhicules thermiques est une aberration ! Il est temps de comprendre que résoudre un problème non prouvé par des solutions de types soviétiques idéologiques sans étude d'impact est un suicide scientifique ! L'incendie de l'usine de construction de batteries au lithium à Rouen en est une preuve manifeste, et le préfet, qui n'y connait absolument rien, ou est entouré de spécialistes du même niveau dans leur domaine, se permet, dans les heures qui suivent, se permet de dire qu'il n'y a aucun danger !: que devient le lithium en cas d'incendie ou d'explosion d'une batterie ? En partie de l'acide fluorhydrique, et c'est quoi, l'acide fluorhydrique ? Renseignez vous ! J'ai toujours aimé m'intéresser aux choses rares, donc inutiles à apprendre, parce qu'elles n'arrivent jamais. Et lorsqu'elles arrivent (cf loi de Murphy), on ne les reconnait pas, on ne sait pas les traiter, et c'est trop tard, on n'aura même plus de chevaux pour tirer des carrioles à cause de émanations gazeuses de cet acide qui détruisent les poumons. La loi de Murphy ! Solutionner un problème en en créant 10 n'est jamais une bonne solution. Nos diesels sont plus performants qu'il y a 30 ans, nos véhicules à essence également, mais il est vrai que s'ils polluent dix fois moins mais qu'ils sont dix fois plus nombreux, la pollution sera la même, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre ! Qu'a t-on appris depuis la crise du Covid et la guerre en Ukraine ? Beaucoup de choses et surtout faire l'inverse de ce qu'il fallait, sans aucune certitude, parfois et souvent à l'encontre du simple bon sens, et cela dans tous les domaines. Je n'entends plus parler du grand Paris, mais maintenue, idée stupide de 34 milliards, alors que la concentration urbaine est une vraie catastrophe. Même si le problème des transports était réglé, 15 personnes pourront bloquer tout le pays. Le terme de race n'a aucune signification scientifique, mais nous, en particulier nous, les Fran... sommes une fin de... race !

    Dr J-P Vasse

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