Le baclofène deviendra-t-il un traitement de la dépendance alcoolique chez le cirrhotique ?

Tous les traités de gastro-entérologie le confirment, la pierre angulaire du traitement des hépatopathies alcooliques, et tout particulièrement des cirrhoses, est l’abstinence. Cependant, une fois énoncée, cette recommandation est rarement suivie d’effet. D’une part parce que la dépendance alcoolique est, d’une façon générale, une pathologie difficile à prendre en charge efficacement même en l’absence de lésions hépatiques. D’autre part parce que les différents traitements pharmacologiques efficaces, comme la naltrexone ou l’acamprosate, sont contre-indiqués ou n’ont pas fait l’objet d’évaluation en cas d’insuffisance hépatique évoluée (groupe C de la classification de Child-Plugh). En pratique d’ailleurs, les sujets souffrant d’une cirrhose sont le plus souvent exclus des essais cliniques évaluant des traitements de la dépendance alcoolique. 

Une équipe romaine s’est intéressée spécifiquement à cette population de malades alcooliques à très haut risque. Sur la base de résultats préliminaires prometteurs, Giovanni Addolorato et coll. ont testé l’intérêt du baclofène dans le sevrage alcoolique chez le cirrhotique. Rappelons que le baclofène (Liorésal) est un agoniste des récepteurs B de l’acide gamma-amminobutyrique (GABA). Il est indiqué aujourd’hui dans le traitement des contractures spastiques. 

Une augmentation significative du taux d’abstinence

Quatre vingt-quatre patients volontaires souffrant d’une cirrhose alcoolique ont été inclus dans l’essai. Tous avaient une cirrhose hépatique et souffraient d’une dépendance alcoolique (critères du DSM-IV). Leur consommation  hebdomadaire était supérieure à 21 verres (de 12 g d’alcool pur) pour les hommes et à 14 verres pour les femmes avec au moins deux jours par semaine d’alcoolisation importante (plus de 5 verres par 24 heures).  

Les patients ont été randomisés en double aveugle entre un traitement par baclofène à doses croissantes (de 5 mg 3 fois par jour à 10 mg 3 fois par jour) et un placebo. Les deux traitements ont été administrés durant 12 semaines.

Au cours des consultations de contrôle, la consommation d’alcool était évaluée par auto-questionnaire validé par l’interrogatoire d’un membre de la famille et par la mesure de l’alcoolémie et de l’alcool urinaire. La rechute alcoolique était définie comme une consommation moyenne de plus de 4 verres par jour ou de plus de 14 verres par semaine sur une période de 4 semaines.

Trente patients sur 42 dans le groupe baclofène (71 %) contre 12 sur 42 (29 %) dans le groupe placebo sont parvenus à une abstinence prolongée durant tout l’essai (p=0,0001). La durée moyenne de la période d’abstinence est passée de 30,8 jours sous placebo à 62,8 jours sous baclofène (p=0,001). Cet effet favorable du baclofène sur la consommation alcoolique semble lié à une diminution de la dépendance telle qu’elle est évaluée par des échelles comme l’OCDS (Obsessive Compulsive Drinking Scale).  

La tolérance clinique et biologique du traitement a été satisfaisante sans effets secondaires attribuables au traitement. De plus dans le groupe baclofène différents paramètres du bilan hépatique (alanine amino-transférase, gamma glutamyltransférase, albumine…) ont évolué plus favorablement que sous placebo, ce qui confirme la baisse de la consommation d’alcool et la bonne tolérance hépatique du baclofène dans cette étude.

Dans l’attente d’une confirmation  

Avant de faire du baclofène un traitement de la dépendance alcoolique chez le cirrhotique il convient cependant d’attendre les résultats de nouvelles études de plus grande ampleur et de plus longue durée. En terme d’efficacité, il faut souligner que les sujets ayant abandonné les traitements ont été comptabilisés dans ce travail comme des échecs. Or un plus grand nombre de patients ont quitté l’étude dans le groupe placebo (31 %) que dans le groupe baclofène (14 %) ce qui a pu fausser l’évaluation du critère principal de jugement.

D’autre part, il est essentiel que la tolérance du baclofène, dont on connaît les risques d’interférence médicamenteuse, sur le plan neurologique comme sur le plan hépatique soit évaluée sur un plus grand nombre de patients et sur une plus longue durée pour pouvoir conclure de façon fiable à son innocuité dans ce contexte.

Sous ses réserves, cette étude pourrait constituer un progrès sensible dans la prise en charge, encore trop souvent négligée, de ce type de patients à très haut risque.

Dr Céline Dupin

Référence
Addolorato G et coll. : Effectiveness and safety of baclofen for maintenance of alcohol abstinence in alcohol-dependent patients with liver cirrhosis : randomised, double-blind controlled study. Lancet 2007; 370: 1915-22.

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