
En 2015, le cancer du foie a été la 4e cause de mortalité néoplasique, après le cancer du poumon, du colo-rectum et de l’estomac. Le type histologique le plus fréquemment retrouvé est l’hépatocarcinome, suivi par le cholangiocarcinome. Son incidence varie selon le sexe et les zones géographiques, en fonction de l’exposition aux différents facteurs de risque infectieux (hépatites B, C ou autres pathogènes), comportementaux (alcool, tabac), aflatoxines. La prévention du cancer primitif du foie passe, avant tout, par l’éradication des hépatites virales, la lutte contre les intoxications alcoolique et tabagique ainsi que par le contrôle de l’obésité et de la maladie diabétique.
L’étude Global Burden of Diseases (GBD) 2015 a permis de préciser sa place au niveau mondial et par pays, ainsi que ses différentes étiologies et ses tendances évolutives. Elle a ainsi abouti à mieux définir les orientations stratégiques en matière de recherche et de traitement. Cette étude s’est attachée à détailler, de 1990 à 2011, l’incidence, la mortalité et les années de vie ajustées à l’incapacité (DAILYs), selon le sexe, dans 195 pays ou territoires géographiques distincts. Les données sur la mortalité sont issues des registres de santé et d’incidence des cancers. La mortalité spécifique a été ajustée selon la mortalité globale. L’incidence a été dérivée des estimations de mortalité, les années de vie perdues calibrées en fonction des décès et de l’espérance de vie attendue. Les différentes étiologies ont été appréciées par une revue systématique de la littérature, la prévalence à partir de la mortalité et de l’incidence.
Les DAILYs ont été obtenues par la sommation du nombre d’années perdues par décès ou incapacité, une DAILY correspondant, grossièrement, à une année de vie en bonne santé perdue. Enfin, les différents pays ont été regroupés en fonction de leur développement socio-économique.
Une incidence accrue
En 2015, on a recensé globalement, 854 000 cancers primitifs du foie et 810 000 décès, ainsi que de 20 578 000 DAILYs. Cette affection se situe au 6e rang mondial des cancers mais au 4e rang pour la mortalité néoplasique ; 88 % de l’incidence et 86 % de la mortalité ont affecté des pays à index socio-démographique oscillant de moyen à élevé. Les conséquences les plus lourdes, en termes d’incidence, de décès et de DAILYs ont été observées dans le Sud-Est asiatique. Le Japon, pays, à haut revenu, totalise, à lui seul, 75 % des cas (67 % étant liés à l’HCV). L’Europe de l’Ouest se situe au 3e rang pour l’incidence, au 4e pour la mortalité et au 5e en DAILYs. Entre 1990 et 2015, le nombre de cancers du foie s’est accru de 75 % (47 % étant expliqués par les variations de la répartition d’âge de la population et 35 % par la croissance démographique). On note une hausse conséquente de 100 % de l’incidence standardisée en fonction de l’âge (ASRI) dans des pays à haut revenu tels que les USA, le Canada, l’Australie-Nouvelle Zélande et dans la majorité des pays européens mais aussi aux Philippines, au Guatemala ou encore en Roumanie.
Le cancer primitif du foie a touché plus souvent l’homme que la femme (591 000 vs 264 000 cas), soit un rapport moyen vers 2,8, variant, selon les pays, à 2,9 dans l’Asie du Sud-Est mais se situant à 0,9 dans les pays andins d’Amérique du Sud. Des différences similaires entre sexe ont été observées pour la mortalité (577 000 vs 234 000) et pour les DAILYs (15 413 000 face à 5 165 000). L’étude GBD révèle également des différences, entre sexe, notables suivant les étiologies. Ainsi, en 2015, l’HBV a été responsable de 265 000 décès (33 % de l’ensemble), dont 203 000 (171 000- 251 000) chez l’homme et 70 000 (57 000- 86 000) chez la femme. L’alcool a causé la mort de 245 000 (30 %) personnes, dont 204 000 (177 000- 240 000) hommes et 45 000 (38 000- 54 000) femmes. L’HCV a entraîné 21 % des décès et les autres étiologies 16 %. On observe des différences étiologiques notables en fonction des pays et des zones géographiques. A titre d’exemple, l’HBV a été la cause de la mort de 6 % des cas de cancers du foie en Amérique latine et de 45 % des cas en Afrique de l’Ouest sub saharien. De même, la contribution de l’alcool dans la mortalité globale a été de 13 % en Afrique du Nord mais de 53 % dans des pays d’Europe de l’Est.
Des stratégies préventives à renforcer
Ce travail a donc précisé la place et les étiologies du cancer primitif du foie au niveau mondial, régional et national. Ses résultats se rapprochent de ceux de précédentes études qui avaient déjà alerté sur la mortalité croissante liée à cette affection et mis l’accent sur la diversité de ses étiologies en fonction des zones géographiques concernées. A un niveau global, l’analyse tend à démontrer que l’incidence des cancers liés à l’HBV aurait dû baisser si le profil démographique et la taille de la population mondiale étaient restés stables. Avec les mêmes hypothèses, aurait dû être observée une augmentation du rôle de l’alcool et de l’HCV. Ces 2 notions sont lourdes de sens. Est ainsi soulignée l’importance primordiale de la vaccination anti HBV qui a fait preuve de son efficacité. En second lieu, sont ciblées, de façon précise, les priorités futures, tant en termes de prévention que de traitement. De fait, sur la base des pratiques vaccinales actuelles, on peut espérer que le nombre de nouvelles hépatites à HBV chutera de 70 % entre 2020 et 2050, réduisant d’autant la probabilité de survenue d’hépatocarcinomes. Des gains supplémentaires pourraient aussi être le fait, dans certains pays, d’une pratique plus rigoureuse des injections IV et des transfusions sanguines ou encore d’une amélioration des méthodes diagnostiques des hépatites virales et, bien sûr, des thérapeutiques anti-virales. Ce travail illustre aussi le fait que l’incidence spécifique en fonction de l’âge des cancers liés à l’alcool n’a de cesse d’augmenter, soulignant l’importance fondamentale de mise en place de nouvelles stratégies anti alcoolisme. On peut, heureusement, observer que certains pays ont fait, durant ces années, des progrès substantiels. La Chine, entre 1990 et 2010, a eu une diminution très significative de sa mortalité ajustée à l’âge de près de 33 % grâce à une meilleure couverture vaccinale nationale anti HBV et à une moindre exposition aux aflatoxines. A côté de la vaccination, des efforts doivent être orientés vers le dépistage des populations à haut risque et le développement de la recherche médicale, notamment en immunothérapie.
Une des réserves opposables au GBD tient dans la variabilité de la qualité et la quantité des données ayant servi à la modélisation, plus ou moins rigoureuses selon les zones géographiques étudiées. La discrimination entre cancers primitifs et métastases hépatiques a pu être imparfaite. Il n’y a pas eu d’études séparées entre hépato et cholangiocarcinomes.
En conclusion, au niveau mondial, le cancer du foie reste une
cause majeure de mortalité néoplasique. Son étiologie varie
fortement selon les populations. De nombreux cas pourraient être
efficacement prévenus par la vaccination, des traitements anti
viraux, une pratique transfusionnelle plus sure ou par une moindre
consommation d’alcool. Une meilleure identification des facteurs de
risque reste nécessaire pour tendre à une réduction soutenue de ce
type de cancer. A ce titre, l’analyse GBD, fournissant une approche
globale et nationale, se révèle d’une grande utilité.
Dr Pierre Margent