Le dernier combat d’une résistante

Paris, le samedi 24 septembre 2022 – Elle en a vu d’autres. Probablement plus que n’importe qui. A 20 ans, elle était arrêtée, torturée par la Gestapo et condamnée à mort pour avoir abattu en pleine rue un officier allemand. A 38 ans, elle était pourchassée dans les rues d’Alger par les milices de l’OAS pour avoir dénoncé dans ses reportages pour l’Humanité les horreurs de la colonisation.

A 44 ans, elle parcourait les rizières vietnamiennes sous les bombardements américains en tant que correspondante de guerre. Désormais âgée de 98 ans, presque aveugle et diminuée par un Covid long, Madeleine Riffaud ne semble pourtant pas prête à abandonner le combat.

Dans une lettre publiée ouverte ce lundi dans le journal La Croix et la revue de gauche Commune, l’ancienne journaliste, poète et militante communiste raconte la manière dont elle a été accueillie à l’hôpital Lariboisière le 4 septembre dernier pour une consultation de suivi et dénonce à cette occasion les conditions de prise en charge de plus en plus déplorable des patients.

« Je me suis retrouvée couchée au milieu de malades qui hurlaient de douleur, de rage, d’abandon et les infirmières couraient là-dedans, débordées… » décrit la poète. « Moi-même, j’ai mis douze heures pour obtenir la moitié d’un verre d’une eau douteuse, je suis restée 24 heures sur le même brancard, sans rien manger, c’était Kafka ».

A 98 ans, l’ancienne résistante est prête à continuer le combat


« J’ai vraiment cru que je devenais folle » s’émeut l’ancienne journaliste, qui explique avoir finalement été transférée dans une clinique privée, faute de lit pour l’accueillir à l’hôpital et sans que ses proches soient prévenus. Une version confirmée par son ami Jean-David Morvan, auteur d’une bande dessinée sur les années de résistante de Madeline Riffaud.

Fidèle à son engagement politique, l’ancienne amie du dictateur vietnamien Ho Chi Minh préfère s’attaquer au système plutôt qu’aux hommes. « Les infirmières et les aides-soignantes je sais qu’elles auraient éperdument voulu arriver à s’occuper de chacun mais nul doute que leur vocation est réduite en charpie depuis longtemps » écrit-elle.

« Moi j’ai de la chance, j’ai des amis et des confrères journalistes, mais tous ces pauvres gens qui n’ont personne, que peuvent-ils faire ? Si peux être leur voix, alors je le serai, j’ai encore un peu de force, c’est pour la donner » conclut la résistante, toujours aussi révoltée à 98 ans.

Une version des faits contestée par l’AP-HP


Madeleine Riffaud connait bien le monde de l’hôpital. Dans les années 1970, elle avait exercé pendant un an comme aide-soignante dans un hôpital parisien et avait tiré de son expérience un livre décrivant les arcanes du système hospitalier français, « Les Linges de la nuit », vendu à un million d’exemplaires en 1974.

« Hôpital d’il y a cinquante ans ou hôpital ultramoderne, les problèmes sont toujours les mêmes : manque de personnel qualifié, manque de crédit, l’écart se creuse entre la technique de la médecine de pointe et les moyens mis à sa disposition » analyse la résistante.  

L’AP-HP n’a pas manqué de réagir à cette missive de Madeleine Riffaud, qui a fait beaucoup de bruit dans le monde hospitalier.

Dans un communiqué publié ce mardi, le géant hospitalier apporte une version des faits bien différente de celle avancée par la résistante. Madeleine Riffaud aurait ainsi été auscultée par un médecin 15 minutes après son arrivée et a eu droit à des prélèvement biologiques au bout de 33 minutes. Certes, l’AP-HP reconnait que l’ancienne journaliste a dû attendre 5 heures pour passer au scanner mais estime que « des soins ont été dispensés à la patiente de façon régulière tout au long de sa prise en charge ».

« L’AP-HP regrette très sincèrement la façon dont la patiente a vécu sa prise en charge et le fait qu’elle ait eu le sentiment d’avoir été insuffisamment accompagnée » conclut le communiqué.

Difficile de démêler le vrai du faux (ou plutôt du lyrisme) dans le récit narré par Madeleine Riffaud. Il n’empêche qu’il décrit une réalité elle difficilement contestable, celle d’hôpitaux publics et notamment de services d’urgence qui ont de plus en plus de mal à faire face à l’afflux de patients. Ainsi, le 1er septembre dernier, un homme de 81 ans est mort après avoir attendu 20 heures sur un brancard aux urgences du CHU de Strasbourg.

Quentin Haroche

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