
L’activité physique a des impacts positifs sur la mortalité de toutes causes, sur les maladies cardiovasculaire, l’hypertension, les cancers, le diabète de type 2, l’anxiété, la dépression, les troubles du sommeil (OMS) [1].
Les nouvelles recommandations de l’OMS sur la sédentarité et l’activité physique pour être en bonne santé préconisent, pour les adultes de 18 à 64 ans, au moins 150 minutes d’activité d’endurance d’intensité modérée par semaine, soit 30 minutes par jour, ou au moins 75 minutes d’activité d’endurance d’intensité soutenue hebdomadaire, ou un mélange des deux [1].
La simple marche paraît la solution la plus simple et la plus facile à réaliser pour pratiquer une activité physique.
La recommandation de marcher 10 000 pas tous les jours pas/jour) pour être en bonne santé est souvent promue par les médias mais aussi des spécialistes de la santé. Mais, ce n’est pas si simple d’y parvenir. Cela correspond en effet à environ 7,5 km en 1h 30’ à 1h 45’ (environ 4,5 km/h pour un adulte en bonne santé, avec un pas en moyenne d’environ 75 cm). Or, selon les données des applications, les adultes français font entre 2 000 et 4 000 pas par jour, et pour eux, ce chiffre de 10 000 peut sembler un objectif inatteignable [2].
« 10 000 pas par jour », quelle origine ?
Il s’agit en fait d’une origine purement marketing. En 1964, une entreprise japonaise, « Yamasa Clock » lance le podomètre « Manpo-Kei » à l’occasion des Jeux de Tokyo, puis le commercialise un an plus tard ; (littéralement : la « jauge des 10 000 pas », avec Man pour « 10 000 », po pour « pas » et kei pour « mètre » ou « jauge »). Les 10 000 pas étaient nés [3].
Après ces jeux, Yoshiro Hatano, un chercheur japonais, pour promouvoir l’activité physique, avait établi que ses compatriotes devaient atteindre au moins ce chiffre rond pour maintenir un poids de forme, et cela sans aucune preuve scientifique. A noter que même si les conclusions de Yoshiro Hatano avaient été prouvées scientifiquement, elles étaient fondées sur l’homme japonais « moyen », très différent de l’Occidental « moyen », avec par exemple un Indice de masse corporel plus élevé chez les « occidentaux » [3].
Pour conclure sur ces « 10 000 pas/jour qu’il faudrait faire pour être en bonne santé », le message continue d’être diffusé par les fabricants d’appareils connectès (podomètres, GPS, applications de smartphone) et les médias, mais aussi par les autorités de santé ; c’est un chiffre que tout le monde peut retenir ; c’est le marketing qui a décidé. C’est un slogan, au même titre par exemple que de « manger cinq fruits et légumes par jour ».
Cependant marcher 10 000 pas/jour pour rester en bonne santé n’a jamais été scientifiquement démontré.
Des preuves scientifiques sur le lien entre « marche quotidienne » et mortalité
En 2019, une étude de la Harvard Medical School a remis en cause ce nombre 10 000 pour le revoir à la baisse [4].
Son objectif était de connaître les effets de la marche quotidienne sur le taux de mortalité. Pendant plus de quatre ans, les chercheurs ont suivi 16 741 Américains en bonne santé, (âge moyen de 72 ans) en les équipant d'un accéléromètre (pour la marche, l'accéléromètre est capable d'indiquer le nombre de pas effectués en mesurant la vitesse de marche à plat ; c’est l'un des composants essentiels des montres connectées et des podomètres). Les résultats ont montré que plus le nombre de pas augmentait, plus le taux de mortalité diminuait, avant de se stabiliser autour de 7 500 pas/j. Au-delà de ce nombre, l’impact sur la mortalité n’apas été démontré. Il s’agissait plus de tendances car l’échantillon n’était pas représentatif.
Une autre étude prospective a été conduite chez plus de 5 000 adultes de 18 à 30 ans avec un suivi de 11 ans de la mortalité (l’étude CARDIA -Artery Risk Developpment in Young Adults) [5]. Les résultats, présentés sur JIM.fr montrent qu’un minimum de 7 000 pas/jour conduit à une baisse de 50 à 70 % de la mortalité et que la vitesse d’exécution de la marche ne semble pas intervenir [6].
Or voici qu’une nouvelle étude vient d’être publiée en 2022 dans la Revue « The Lancet Public Health ». L’objectif principal en était de d’étudier l'association entre le nombre de pas quotidien, mais aussi la fréquence des pas (rythme de la marche), avec la mortalité toutes causes confondues, chez des adultes (≥18 ans).
Il s’agit d’une méta-analyse portant sur 15 publications de cohortes internationales avec des dates de début d’étude s’étalant de 1999 à 2018. La mortalité, toutes causes confondues, a été recueillie à partir des certificats de décès et des registres nationaux. Des analyses de régression selon le modèle des risques proportionnels de Cox en utilisant les quartiles (*) de pas/jour ont été effectuées ; les rapports de risque (Hazard ratios HR) ont été calculés avec des modèles d'effets aléatoires pondérés par la variance inverse.
Diminution progressive de la mortalité avec le nombre de pas jusqu’à un niveau variable avec l’âge
Au total 47 471 adultes ont été recrutés. Le total du suivi pour les 15 cohortes était de 297 837 années-personnes ; 3 013 décès (10,1 pour 1 000 années-participants) ont été enregistrés sur un suivi médian (*) de 7,1 ans ([IQR 4,3-9,9] ; la médiane (**) des quartiles de pas par jour était de 3 553 pour le quartile 1, 5 801 pour le quartile 2, 7 842 pour le quartile 3, et 10 901 pour le quartile 4. Comparé au quartile le plus bas, le rapport de risque (HR) ajusté pour la mortalité toutes causes confondues était de 0,60 (intervalle de confiance à 95 % IC 95% 0-51-0-71) pour le quartile 2, de 0,55 (0,49-0,62) pour le quartile 3, et de 0,47 (0,39-0,57) pour le quartile 4. Une diminution progressive du risque de mortalité a été démontrée chez les adultes âgés de 60 ans et plus avec l'augmentation du nombre de pas par jour jusqu'à 6 000-8 000 et chez les adultes de moins de 60 ans jusqu'à 8000-10 000 pas/jour. En ajustant sur le nombre de pas/jour, en comparant le quartile 1 au quartile 4, l'association entre des taux de pas plus élevés et la mortalité a été diminuée mais est restée significative pour un pic de 30 minutes (HR 0-67 [IC 95% 0-56-0-83]) et un pic de 60 minutes (0-67 [0-50-0-90]), mais non significative pour le temps (min par jour) passé à marcher à 40 pas par minute ou plus (1,12 [0-96-1-32]) et à 100 pas par minute ou plus (0,86 [0,58-1,28]).
Les auteurs concluent que le nombre de pas/jour est lié à une diminution progressive du risque de mortalité toutes causes confondues, jusqu'à un niveau variant selon l’âge ; par ailleurs, la vitesse de marche n'aurait qu’un faible impact. Ils proposent que les résultats de cette méta-analyse soient utilisés pour informer les directives sur les pas pour la promotion de l'activité physique en santé publique.
Le slogan « marcher » 10 000 pas /jour ne doit plus être un élément décourageant pour ceux qui marchent moins, les plus nombreux. Le slogan devrait être « marcher est bénéfique pour la santé » ; la diminution du risque de mortalité est progressive avec l’augmentation du nombre de cas/jour. Plus on marche plus on augmente l’espérance de vie, mais au-delà de 8 000 pas/jour chez les adultes de plus de 60 ans et plus, et de 10 000 pas/jour chez les moins de 60 ans, il n’y a plus de gain sur la mortalité. Rien ne sert de forcer le rythme ; cela n’a pas d’impact sur la mortalité.
(*) Les quartiles permettent de séparer une série statistique en quatre groupes de même effectif (à une unité près)
(**) La médiane sépare une série statistique en deux groupes de même effectif, l'un contient les valeurs les plus petites et l'autre les valeurs les plus grandes.
Pr Dominique Baudon