
Paris, le samedi 27 août 2022 – Difficile d’y échapper cette semaine, y compris sur le JIM. Une affiche du Planning familial mettant en scène deux personnes dont le morphotype est habituellement considéré comme celui d’hommes et affirmant : « Au planning, on sait que les hommes aussi peuvent être enceints » a été l’objet d’un très grand nombre de commentaires sur les réseaux sociaux.
Les critiques ont été si acerbes qu’un grand nombre de personnalités politiques ont souhaité afficher leur soutien au Planning familial, y compris le (ou la) secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes Isabelle Lonvis-Rome. La présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le Dr Joelle Belaisch-Allart a également regretté des « réactions excessives et disproportionnées ».
Parmi ceux qui ont défendu le Planning familial, leur volonté n’était pas d’entrer dans la polémique (qualifiée de « stérile » dans nos colonnes) de savoir si des hommes pouvaient effectivement être enceints (si l’on associe le mot homme à une définition purement biologique la réponse est évidemment non) mais de rappeler que le Planning reste une institution fondamentale pour la défense des droits… des femmes.
Unanimement reconnue
Depuis sa création en 1960 en France, le Planning familial a en effet accompagné des dizaines de milliers de femmes en détresse, inquiètes de ne pouvoir disposer librement de leur corps.
Délivrer des pilules contraceptives à celles qui n’avaient pas réussi à en obtenir de leur médecin, donner des renseignements à propos de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), mais aussi aider les victimes de viols ou de violences conjugales à échapper à leur bourreau.
Pour la plupart des femmes, qu’elles aient eu un jour ou non besoin d’y recourir, le Planning est perçu comme un organisme qui sans jugement saura apporter à chacune les conseils et le soutien dont elle a besoin.
Sans jugement, quelle que soit la situation
Dans ce cadre, l’affiche du Planning familial s’inscrit d’une certaine façon dans son rôle historique. Il s’agit de dire que comme il tend la main aux jeunes filles enceintes menacées par leur famille, comme elle aide la mère de famille à trouver un nouveau logement, il soutient les personnes transsexuelles dans leur projet d’enfant. Il n’y aura pas de jugement, de rejet, la porte est ouverte.
C’est un message indispensable quand on sait que les transsexuels continuent à être l’objet de brimades, violences et rejets, y compris parfois du milieu médical. Cette affiche fait écho à celle qui promettait « un enfant si je veux quand je veux » dans les années soixante ou qui récemment aux Etats-Unis défend la prescription de la pilule du lendemain aux adolescentes et qui a été censurée par Facebook.
Ce sont des messages qui proclament que la mission du Planning est de défendre la volonté de tous. Le Planning familial est habitué depuis le début de son histoire aux critiques des extrêmes qui refusent de comprendre que les évolutions de la société sont nécessaires pour permettre à chacun d’exercer sa liberté, y compris la liberté de se dire homme quand on est né (e) femme.
Une argumentation fallacieuse
Cette défense du Planning familial n’est pas sans susciter quelques réserves. La première vise la méthode sommaire qui consiste à décrédibiliser la parole de son adversaire en le taxant sans autre argument « d’extrémiste » ou de « complotiste ».
Or, dans ce cas, le fait qu’un grand nombre de personnes d’extrême droite aient moqué l’affiche du Planning ne suffit pas pour considérer que toute critique contre cette communication fasse forcément des personnes qui les émettent des extrémistes.
De la même manière que les réserves (démocratiquement et scientifiquement fondées) sur le passe sanitaire n’auraient pas du être balayées au motif que beaucoup d’extrémistes de droite rejetaient ce dispositif principalement par opposition au gouvernement ou parce qu’ils niaient la gravité de l’épidémie, aujourd’hui ceux qui rappellent de façon légitime que biologiquement, un homme ne peut pas être enceint ne devraient pas être exclus du débat au motif que des citoyens d’extrême droite pensent que les transsexuels ne devraient pas pouvoir être libres de leur choix.
Un terme contesté n’est pas une insulte ou une violence
Refuser d’admettre qu’il est normal de se référer à l’acception commune des mots, refuser d’admettre que ce n’est pas parce qu’on remarque que ce sont depuis tout temps les femmes qui donnent naissance aux enfants que l’on dénie à une minorité de femmes le droit de se sentir hommes et de vouloir être respectées pour cela est une autre forme d’extrémisme, une forme de cécité dangereuse.
Mais au-delà de cette absurdité qui semble consister à voir dans une dénomination que l’on juge mauvaise (ce qui en outre peut être discuté) une discrimination aussi forte que la violence physique ou l’injure caractérisée, le Planning familial n’oublie-t-il pas qu’il doit d’abord être l’allié des femmes ?
Où sont les femmes ?
Car comme l’ont rappelé plusieurs féministes qui ont pris quelques distances avec les orientations actuelles de ce mouvement, aujourd’hui ce sont d’abord des femmes qui sont victimes de violences, ce sont les femmes qui ont besoin d’un soutien institutionnel sans faille, ce sont les femmes qui en grande majorité attendent que leur situation soit comprise.
Il est troublant de voir que l’affiche phare d’une des plus grandes associations de défense des droits des femmes insiste pour mettre en avant la fragilité de certains hommes (en gommant le fait que ce qui justifie dans ce cas qu’ils aient besoin d’un accompagnement c’est parce qu’ils sont nés avec un utérus).
Quand hier, les associations féministes se demandaient si les droits des femmes seraient mieux défendus si les hommes aussi étaient enceints, aujourd’hui elles placent comme priorité (parmi d’autres) la défense des hommes enceints.
Il est à espérer que la focalisation sur ces problématiques certes nobles infiniment minoritaires ne conduise pas le Planning à oublier ses premières missions.
Le danger du transactivisme et de la fin de l’universalisme
En tout cas l’inquiétude est réelle pour certaines féministes.
Dans une tribune interpelant Elisabeth Borne publiée dans Marianne, Marguerite Stern, militante féministe à l’origine du mouvement « Collages féminicides » et Dora Moutot, et créatrice du compte Instagram @tasjoui évoquent : « les problématiques que soulève l’idéologie transactiviste qui est en train de parasiter cette institution. Seules les femmes, c’est-à-dire les femelles adultes humaines peuvent être enceintes. Un homme, c’est-à-dire un mâle ne pourra jamais l’être. Affirmer le contraire est scientifiquement parlant un mensonge. Nous pensons évidemment que toutes les femmes doivent pouvoir avoir accès au planning familial, ce qui inclut les femmes transidentifiées. Mais encore une fois, les hommes (les mâles) ne peuvent pas être enceints, et cela malgré le fait que certaines personnes aient pu administrativement obtenir des papiers d’identité disant qu’elles sont désormais hommes lorsque leur sexuation est toujours femelle. Nous nous retrouvons donc face à une impasse où la réalité administrative et la réalité biologique et scientifique ne coïncident plus et cette affiche du Planning familial en est le parfait reflet. En tant que féministes, nous nous battons pour l’abolition des stéréotypes de genre, pas pour qu’ils soient renforcés comme le prône le transactivisme. (…) Affirmer que les femmes ne sont pas nécessairement des femelles et vice versa relève de la croyance, pas de la biologie. Les croyances n’ont pas leur place dans les établissements chargés de missions de service publiques déléguées. (…) Nous pensons que le mot femme doit continuer à représenter notre sexuation, c’est-à-dire le sexe femelle. Par esprit scientifique d’abord. Et aussi par respect pour toutes celles que l’on excise, que l’on viole, que l’on vend et que l’on prostitue sans leur demander leurs pronoms avant. Nous sommes toutes des femmes très différentes. Mais nous avons un point commun : notre sexe longtemps désigné comme faible, le sexe féminin. Nous refusons que le mot qui nous relie soit effacé au profit d’étiquettes qui nous divisent. Nous regrettons qu’une institution historique comme le Planning Familial fasse fi de l’universalisme sur lequel elle s’est construite » dénoncent ces deux militantes, alors que l’éloignement du Planning familial d’une conception universaliste pourrait avoir d’autres conséquences dommageables.
Si l’affiche du Planning a également heurté ces deux militantes, c’est parce qu’elles considèrent que des distances doivent être prises avec ce le transactivisme en raison de dérives qui sont aujourd’hui dénoncées : « Valider l’idée que l’on peut « naître dans le mauvais corps » est dangereux et maltraitant pour les personnes souffrant de dysphorie de genre. La dysphorie de genre est un trouble psychiatrique qui touche certaines personnes trans et leur procure une profonde détresse due au fait qu’elles ne se reconnaissent pas dans l’identité de genre accolée à leur sexe. Or, de la même façon qu’on ne peut pas changer d’âge, on ne peut pas changer de sexe. Le sexe est immuable chez les mammifères que nous sommes. (…) Nous avons discuté avec des mères du collectif Ypomoni (collectif de parents inquiets pour leurs enfants en transition). Elles nous ont raconté que les enfants concernés sont des filles pour les trois quarts des cas, qui présentent souvent d'autres troubles : autisme, troubles du comportement alimentaire, anxiété. Des filles qui ont eu une difficulté à accepter le changement de leurs corps durant la puberté (et étant donné l’état de ce monde, nous les comprenons), des filles qui ont souvent eu des problèmes relationnels et d’intégration dans un groupe. Des adolescentes dans un état de souffrance réelle, qui doivent être accompagnées de manière globale et non en ayant recours à des chirurgies sur un corps sain. Plus de la moitié de ces adolescentes ont déclaré être attirées par les filles. Nous sommes inquiètes pour les adolescentes qui se rendraient au Planning familial en présentant de tels symptômes. Nous considérons qu’encourager des jeunes femmes qui ont du mal à accepter leur orientation sexuelle à transitionner relève de la thérapie de conversion. La mission du Planning familial est d’accompagner les femmes et adolescentes durant l’IVG, ainsi que de garantir la santé sexuelle des personnes accompagnées, pas de les aider à se détruire. Dans un contexte où 130 centres IVG ont fermé ces 15 dernières années en France et où aucun n’est à l’abri de subir les fameuses prières de rue de catholiques intégristes, les missions pour lesquelles le Planning familial reçoit de l’argent public ne doivent pas passer au second plan. Nous regrettons que leurs efforts de communication soient mis au service d’une idéologie qui affirme que l’on peut naître dans le mauvais corps, plutôt qu’à réaffirmer qu’avorter est un droit fondamental pour les femmes. Aujourd’hui beaucoup s’inquiètent de ce que devient cette institution historique, et cela dépasse largement le cercle des féministes ».
Le Planning familial voudra-t-il considérer que ces militantes sont elles aussi d’extrême droite ? Voudra-t-on voir dans cette critique un rejet mortifère des personnes trans ? A méditer :
On pourra pour ce faire relire la tribune de Marguerite Stern et Dora Moutot
L.C.