Le risque cardiovasculaire des inhibiteurs de JAK et des modulateurs de la S1P est-il surestimé ?

Les patients souffrant de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI) vieillissent et la fréquence de leurs comorbidités augmente. Ces dernières sont trop souvent négligées, ce qui est d’autant plus regrettable que les corticostéroïdes et les biothérapies peuvent augmenter le risque cardiovasculaire et thromboembolique, comme cela a récemment été mis en lumière dans des études portant sur les traitements de dernière génération. Parallèlement, il faut se souvenir que les patients souffrant de MICI présentent un risque indépendant de pathologies cardiovasculaires ischémiques, et ce dès le début de leur maladie, risque qui augmente avec l’activité et la sévérité de la pathologie digestive.

Entre inquiétude et réassurance

Les données de l’étude ORAL Surveillance auprès de patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde sous tofacitinib ont alerté quant au risque cardiovasculaire des inhibiteurs de Janus Kinase (JAK) (1). Mais il s’agissait d’une population particulière dans la mesure où ces patients avaient plus de 50 ans en moyenne et présentaient initialement au moins un facteur de risque cardiovasculaire. Ce sont par ailleurs surtout les patients de plus de 65 ans qui ont vu une augmentation significative du risque. « Il faut donc relativiser ce risque pour les patients souffrant de MICI » commente Charlotte Hedin (Stockholm) après avoir cité une méta-analyse portant sur des patients souffrant d’une MICI ou d’autres maladies auto-immunes comme la spondylarthrite ankylosante, qui a été rassurante à ce propos. Cela a également été le cas de l’étude OCTAVE dans laquelle le tofacitinib administré à des patients souffrant de rectocolite hémorragique (RCH) n’a pas montré d’augmentation significative du risque cardiovasculaire. La même remarque vaut pour les études portant sur l’upadacitinib en induction au cours desquelles aucun événement cardiovasculaire majeur n’a été recensé tandis qu’en entretien, un seul événement a été enregistré, mais dans le groupe placebo.

Dans la mesure où les études cliniques ne comportent qu’un nombre limité de patients sélectionnés, il est intéressant de se tourner vers les études en vie réelle. Dans une méta-analyse de 7 études, aucun événement cardiovasculaire n’a été recensé sous tofacitinib dans la RCH dans une population âgée en moyenne de 41 ans.

Le principe de précaution prévaut

La pathogenèse des MICI est différente de celle de la polyarthrite rhumatoïde qui se déclare généralement à un âge plus avancé, chez des patients présentant plus de comorbidités cardiovasculaires. Le risque cardiovasculaire initial en cas de MICI est moins marqué car ces patients sont plus jeunes, ce qui peut expliquer qu’aucune augmentation du risque d’événement cardiovasculaire majeur n’a été constatée après 7,8 ans de suivi dans l’étude OCTAVE. Malgré cela la Food and Drug Administration (FDA) recommande de ne pas prescrire les inhibiteurs de JAK en première intention aux patients âgés de plus de 65 ans, en cas d’antécédent cardiovasculaire, de tabagisme ou à risque de cancer. Cette prescription ne sera envisagée qu’en l’absence d’autre traitement efficace (échec d’un traitement par anti-TNF).

Les modulateurs de la sphingosine 1-phosphate (S1P) quant à eux, sont à l’origine d’un risque significatif de bradycardie, de bloc auriculo-ventriculaire et d’hypertension artérielle (HTA). Cependant ce risque cardiovasculaire transitoire ne se retrouve pas dans les études en vie réelle effectuées avec l’ozanimod : un seul cas d’urgence hypertensive a été constaté chez un patient qui présentait par ailleurs une HTA connue.

Quel suivi proposer ?

Pour les inhibiteurs JAK, les experts recommandent une évaluation du risque cardiovasculaire avant l’initiation du traitement et un contrôle régulier du taux de lipides et un traitement par statines si nécessaire. L’inhibiteur JAK sera prescrit à la dose la plus faible possible qui ne sera augmentée qu’en cas d’absence de réponse après 8 à 16 semaines. Le traitement d’entretien reposera également sur la dose la plus faible en gardant en tête que le risque cardiovasculaire ne doit pas faire oublier le risque inflammatoire.

Concernant l’ozanimod, modulateur S1P, l’usage veut que l’on propose une titration après un ECG de référence avant traitement. Il est contre-indiqué en cas de bloc auriculo-ventriculaire de 2ème ou de 3ème degré, de sick sinus syndrome ou de bloc sinoauriculaire, sauf en cas de pacemaker. On évitera également de le prescrire en cas de traitement par antiarythmique de classe Ia ou III, par médicament allongeant le QTc et en cas d’association d’un bêtabloquant avec un inhibiteur calcique. La pression artérielle sera monitorée le premier mois en cas d’HTA préexistante ou contrôlée au terme du premier mois en l’absence d’HTA.

In fine, si le primum non nocere s’impose, il ne doit pas faire oublier que les inhibiteurs JAK et les modulateurs de la S1P sont des traitements extrêmement efficaces, et que les MICI exposent à un risque cardiovasculaire intrinsèque qui demande aux gastroentérologues une démarche holistique de médecine interne.

(1) Ytterberg SR, Bhatt DL, Mikuls TR, et al ; ORAL Surveillance Investigators. Cardiovascular and Cancer Risk with Tofacitinib in Rheumatoid Arthritis. N Engl J Med. 2022 Jan 27;386(4):316-326. doi: 10.1056/NEJMoa2109927

Dr Dominique-Jean Bouilliez

Référence
Hedin C. Cardiovascular risk. Scientific Session 3: Vascular complications of IBD: An overlooked problem. 18ème Congrès de l’ECCO, Copenhague 1-4 mars 2023

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