Les doses de baclofène supérieures à 80 mg par jour interdites : bonne ou mauvaise solution ?

Paris, le mercredi 26 juillet 2017 – L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a confirmé hier ce qui avait été annoncé dès le début du mois de juillet et signalé aux professionnels de santé à la fin de la semaine dernière : la dose maximale de baclofène pouvant être prescrite dans le cadre de la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) aux patients alcoolodépendants ne pourra plus dépasser 80 mg/jour. Les résultats d’une étude épidémiologique conduite par la Cnamts, en collaboration avec l’ANSM et l’INSERM ayant signalé une augmentation des hospitalisations et des décès associée aux plus hautes doses de baclofène (comparativement aux autres traitements disponibles) ont entraîné cette décision.

Pour les patients concernés, la réduction des doses doit s’accompagner d’un accompagnement rigoureux : elle doit être progressive « de 10 ou 15 mg tous les deux jours » précise l’ANSM afin d’ « éviter tout risque de syndrome de sevrage ». Par ailleurs, l’agence rappelle la nécessaire prudence en cas d’antécédents de troubles psychiatriques ou épileptiques.

Des patients qui risquent la rechute

Nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, ce choix de l’ANSM est fortement contesté par une partie des médecins et psychiatres qui prennent en charge des patients souffrant d’alcoolodépendance. Les biais de l’étude sur laquelle repose la nouvelle préconisation ont notamment été dénoncés. Hier encore, douze psychiatres et addictologues ont adressé une tribune à la presse afin de manifester leur hostilité vis-à-vis de la position de l’ANSM. Regrettant qu’elle ait agi « sans concertation avec les spécialistes de terrain », ils s’inquiètent du devenir de nombreux patients, affirmant que « L’expérience clinique et les données scientifiques montrent que le baclofène est actif à des doses en moyenne autour de 150 à 180 mg ». Pour le professeur Bernard Granger, signataire de la tribune, les nouvelles règles de la RTU risquent de compromettre le traitement de « patients aujourd’hui bien équilibrés avec 150 mg et qui supportent bien le produit. Si on réduit la dose, il y a un risque de rechute » prévient-il. Ces médecins cependant ne nient pas l’existence d’effets secondaires, multiples, qui doivent être l’objet d’une attention soutenue, mais notent qu’ils ne sont « pas aussi intenses et dangereux que ceux de l’alcool ».

Une prescription limitée à 80 mg pourrait être dommageable à la moitié des patients éligibles au traitement

Nous l’avons déjà constaté : le baclofène demeure l’objet d’affrontements passionnels, qui ont été ravivés par cette modification autoritaire de la RTU. Cependant, plusieurs spécialistes tentent d’aborder la question avec sérénité, tel le professeur Michel Reynaud, qui signe lui aussi une tribune sur le sujet, publiée dans le Quotidien du médecin. Pour le praticien, l’alcoolisme est aujourd’hui un tel fléau qu’il est exclu de se passer d’un traitement dont l’efficacité a été mise en évidence par différents travaux. Cependant, l’interdiction des fortes doses doit-elle être considérée comme d’une part injustifiée et d’autre part compromettante pour l’efficacité du traitement ? Pour Michel Reynaud, qui ne semble pas totalement partager les réserves exprimées par d’autres concernant les limites de l’étude, les alertes de cette dernière ne peuvent être totalement ignorées. Concernant par ailleurs la pertinence des hautes doses, Michel Reynaud relève que les données manquent pour confirmer « une corrélation claire entre la dose et l’efficacité ». Il relève en outre que les patients concernés par les plus fortes posologies restent minoritaires (15 % reçoivent plus de 80 mg par jour et 3 % plus de 180 mg). Néanmoins, il estime qu’une « prescription limitée à 80 mg ferait perdre la possibilité d’effets positifs pour au moins la moitié des patients qui auraient pu bénéficier du baclofène ». Aussi préconise-t-il plutôt que la restriction adoptée, une surveillance renforcée pour les prescriptions des posologies les plus élevées. Si cette solution pourrait ne pas parfaitement satisfaire ceux qui estiment que la médecine de ville et notamment les médecins généralistes ne doivent pas être écartés du dispositif, elle pourrait cependant constituer une approche moins radicale et plus en phase avec les besoins des patients. En tout état de cause, avec cet impératif de l’ANSM, c’est l’avenir du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme qui est en question ce qui inquiète les spécialistes.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Plus c'est gros, plus ça passe...

    Le 27 juillet 2017

    A qui profite le crime, plus précisément à qui profite une décision qui entraînera des morts prématurées dans les mois/années à venir ?

    Sur des centaines de milliers de malades alcoolo-dépendants guéris ou en cours de guérison au baclofène, une majorité est au delà des 80 mg. Rappelons que la dose moyenne de guérison est de 180 mg.

    Lorsqu’un malade est guéri, pour consolider, il doit rester plusieurs semaines ou mois à la dose seuil qui lui a permis de trouver l’indifférence : la fin de son craving, une consommation occasionnelle/raisonnable ou le choix d’une non-consommation. Ensuite, il descend progressivement son dosage, 10 mg par semaine voire par mois. Ce sont les préconisations des médecins et des accompagnants qui connaissent cette utilisation du baclofène depuis 2009.

    L’ANSM préconise une descente de 10 à 15 mg tous les 2 jours ! c’est criminel !
    Pour les guéris, une descente trop rapide c’est envoyer vers la rechute et la ré-alcoolisation.
    Pour les en-cours de traitement (consommation diminuée mais pas encore l’indifférence) c’est l’échec garanti !
    Pour ceux qui commencent, à 80 mg, il y à peine 10 % de guérisons.

    Comme dans un polard, à qui profite… ?
    Je ne donne que des faits, à vous de mener l’enquête :

    - Le baclofène a une RTU (qui était à 300 mg en mars 2017), mais pas encore d’AMM ce qui permet à ses détracteurs historiques de continuer à dénigrer et à ne pas le prescrire.
    - Depuis 2008/2009, les preuves de son efficacité ne cessent de s’accumuler (essais cliniques, comptes rendus des primo-prescripteurs, statistiques de l’association de malades Baclofène, témoignages de MG qui ont guéri de vieux patients en échec…).
    - En mars 2017, le laboratoire Ethypharm dépose une demande d’AMM pour un baclofène qui, de part son conditionnement, est beaucoup mieux adapté. Des conditionnements de 10 à 60 mg en phase avec la posologie. Cette demande n’a aucune raison de ne pas être acceptée compte tenu de toutes les données accumulées depuis 2008.
    - L’AMM accordée devrait reprendre une grande partie de la RTU : prescription en première intention et 300 mg maximum.
    - L’essentiel des prescriptions de baclofène est actuellement faite par les médecins généralistes et les médecins psy. En ambulatoire, sans arrêt de travail et sans sevrage préalable. La filière traditionnelle ne sert plus à rien.
    - L’essentiel de la filière traditionnelle de l’alcoologie (alcoologues, hôpitaux psy, centre de cure...) refuse le baclofène.
    - Avec le baclofène, un malade est soigné en 3/4 mois par son MG ou son psy.
    - Un malade n’est jamais soigné dans la filière traditionnelle. Soit il y traîne 20/30 ans jusqu’à sa mort après de multiples hospitalisations et cures, soit il fait parti des 2 % qui arrivent à tenir l’abstinence. Il n’est pas guéri, il est malade alcoolique abstinent avec rechute garantie au premier verre.
    - Cette filière traditionnelle coûte chaque année 3 milliards d’euros à la sécu, je n’ai pas les chiffres des mutuelles. Mais ce qu’elle coûte d’un côté, elle le rapporte à d’autres (il se trouve que ces derniers sont les anti-baclofène).
    - Un certain Pr très médiatisé qui travaille dans cette filière écrit « Une prescription ouverte à tous les médecins jusqu’à 80 mg afin de faciliter l’accès aux soins des patients alcoolo-dépendants. Rappelons que l’accès, depuis 2012, à des traitements de réduction de consommation a permis de doubler le nombre de patients traités : de 100 000 à 200 000 chaque année.
    - Au-delà de ce seuil, au regard des risques encourus, il ne paraît pas raisonnable d’autoriser une libre prescription sans limites et sans contrôles ni suivi rigoureux. Pour des prescriptions entre 80 et 300 mg, une collaboration doit donc être mise en place entre le médecin traitant et une équipe spécialisée (sans oublier les associations d’entraide). Le patient devra bénéficier d’une information détaillée sur les risques encourus et d’un suivi rapproché. Cela permettra de prendre en charge les comorbidités et les consommations associées. Cela aura également l’avantage de permettre la mise en place, en cas d’inefficacité, d’autres stratégies thérapeutiques, en particulier l’abstinence. »

    Je vous laisse mesurer la portée de cette prose… c’est très fort… je traduis :« vous les MG, vous récupérez les malades, vous donnez du baclo jusqu’à 80 mg et vous nous les envoyez après pour alimenter notre portefeuille de clients. Nous qui n’y connaissons rien, qui n’avons jamais prescrit, qui rejetons le baclofène nous allons vous aider pour monter de 80 à 300 mg ! »

    - Ce Pr émérite déclare aussi : « Le baclofène est un traitement utilisé pour le maintien de l'abstinence après le sevrage. Il n'a pas donné de résultat meilleur que le placebo. » c’est totalement faux, le baclofène n’est pas plus fait pour maintenir l’abstinence après sevrage que l’aspirine pour soigner les cors aux pieds !

    Avez-vous trouvé les coupables ? Je suppose que « oui ».
    Les motifs ? Je suppose que « oui ».
    Pour ceux qui n’ont pas trouvé, je vous donne une piste… que c’est-il passé après la découverte du BCG et des antibiotiques ? Mais il a fallu 25 ans pour y arriver…

    Yves Brasey (Vice-président de l’association Baclofène)

    PS : pour ceux qui n’auraient pas encore trouvé, encore des faits, mais sur l’étude qui a conduit à cette décision aussi aberrante que rapide :
    - on parle de morts, mais aucun lien d'imputabilité n'est étudié !
    - sur un panel de 185 391 patients sous baclofène, arbitrairement ils en extraient une cohorte de 6 059 pour faire l'étude ! Pourquoi ? En quoi ces 3,27 % sont-ils représentatifs ?
    - malgré de multiples demandes à l’ANSM, il est impossible de connaître les auteurs ! c’est cela la transparence ? En tous les cas, c’est sûrement la réponse à cette énigme.

  • Baclofène et tiers payant

    Le 27 juillet 2017

    Il est clair que le rapport bénéfices/risques n'a pas été évalué avec une échelle de doses bien conduite.
    Pourquoi vouloir statuer d'emblée sans l'avoir faite ?
    Il'´y a pas de révolution thérapeutique sans risque.
    Il est intéressant d'observer que c'est toujours la même méthodologie adoptée par les instances qui nous dirigent: on "généralise" sans avoir accompli le travail de fond, comme pour le tiers payant !
    Pas d'échelle de dose démontrée pour le Baclofène : il appartient au Ministère de la santé de financer ce genre d'études qui ne rapportent rien aux laboratoires.

    On annonce le tiers payant généralisé sans avoir fait de test régional sur les contraintes et les cafouillages engendrés et surtout sans décrire la procédure si simple à laquelle les médecins devront se soumettre.
    C'est de la politique de gribouille.

    Dr Bernard Waysfeld

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