Les Etats-Unis reviennent sur le droit à l’avortement, la France s’interroge

Washington, le lundi 27 juin 2022 – De nombreux Etats américains pourraient supprimer ou limiter le droit à l’avortement suite à une décision de la Cour Suprême des Etats-Unis.

Le faux suspens a pris fin. Près de deux mois après la fuite dans la presse d’un projet d’arrêt en ce sens, la Cour Suprême des Etats-Unis a décidé ce vendredi de revenir sur la protection constitutionnelle du droit à l’avortement. Dans le détail, la plus haute juridiction des Etats-Unis était interrogée sur la constitutionnalité d’une loi du Mississippi de 2018 interdisant l’avortement au-delà de 15 semaines (alors que l’avortement est en principe autorisé jusqu’à 24 semaines aux Etats-Unis). Par 5 voix contre 4, les juges fédéraux ont non seulement validé cette loi, mais ont également opéré un revirement de jurisprudence en revenant sur le célèbre arrêt Roe v. Wade de 1973 par lequel la même Cour avait fait de l’avortement un droit constitutionnel.

Les Etats-Unis coupés en deux

Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, l’arrêt de vendredi n’interdit pas l’avortement aux Etats-Unis mais redonne simplement le droit aux Etats de légiférer sur la question comme bon leur semble. Vingt-deux Etats américains conservateurs, comme le Texas, ont d’ores et déjà supprimé ou fortement limité le droit à l’avortement depuis la décision de vendredi, puisqu’ils possèdent dans leur législation des « trigger laws » prévus pour entrer en vigueur immédiatement après l’abandon de la jurisprudence Roe v. Wade. Au moins quatre autres Etats dont la Floride serait sur le point de prendre le même chemin.

Des dizaines de millions de femmes américaines ont donc perdu le droit de se faire avorter et n’ont désormais plus comme seule option que de se rendre dans des Etats plus progressistes où l’IVG est légale. Et même, certains des Etats les plus conservateurs comme le Missouri ont annoncé qu’ils poursuivraient en justice les femmes qui iraient dans un autre Etat pour recourir à l’avortement. A l’opposé, des Etats démocrates comme la Californie souhaitent devenir des Etats « refuges » qui accueilleront les femmes, les autorités californiennes avertissant qu’elles ne collaboreraient pas avec les Etats voulant les punir. Les Etats-Unis se retrouvent ainsi coupés en deux sur la question de l’avortement.

La décision de la Cour Suprême de ce vendredi marque une victoire décisive pour le camp de ceux qu’on appelle les « pro-vie ». Depuis plusieurs années, ces militants souvent évangélistes se battent pour que des juges conservateurs soient nommés à la Cour Suprême et renversent la jurisprudence de 1973. L’élection de Donald Trump en 2016 leur a permis de mettre leur plan à exécution : parmi les cinq juges ayant voté pour ne plus faire de l’avortement un droit constitutionnel, trois ont été nommés par l’ancien président américain. La défaite est lourde en revanche pour les « pro-choix » qui ont organisé des manifestations en faveur du droit à l’avortement partout à travers le pays. Plusieurs leaders démocrates, dont le président Joe Biden lui-même, ont dénoncé la décision de la Cour Suprême et l’avortement devrait être un des principaux enjeux des élections législatives de novembre prochain.

La constitutionnalisation du droit à l’avortement, une fausse bonne idée ?

La remise en cause du droit à l’avortement aux Etats-Unis a également provoqué une forte émotion de notre côté de l’Atlantique, le Président Emmanuel Macron qualifiant l’avortement de « droit fondamental pour toutes les femmes ». Le lendemain de la décision américaine, la députée Aurore Bergé, chef du groupe Renaissance (ex LREM) à l’Assemblée Nationale, a déposé une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Une proposition qui a reçu le soutien du gouvernement Borne, bien que LREM ait rejeté des propositions de loi en ce sens en 2018 et 2019. Elle a également reçu un avis favorable de la Nupes et pourrait paradoxalement devenir le premier texte adopté par cette Assemblée sans majorité absolue.

La volonté d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution a en revanche été critiquée par le Rassemblement National et les Républicains et plus étonnamment par François Bayrou. Le président du Modem, soutien de longue date d’Emmanuel Macron, s’interroge en effet sur « l’utilité » d’une telle mesure « alors même qu’aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil » et il souhaite éviter que l’on « décalque la vie politique américaine » en France. Difficile d’imaginer en effet une situation similaire à celle que vivent les Etats-Unis en France, où le droit à l’avortement est protégé par la loi (et non pas par une simple décision de justice) et où l’IVG semble faire consensus dans la société française, à tel point que le récent rallongement du délai légal d’IVG de 12 à 14 semaines s’est fait de manière apaisée.

Nicolas Barbet

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (1)

  • Constitution fragile

    Le 28 juin 2022

    On se demande bien quelle idée se font nos nouveaux politiciens de ce qu'est la Constitution de la république. Son rôle est de dire les fondements juridiques de l'action publique pour contraindre le fonctionnement de l'Etat et de ses instances dirigeantes.
    Si l'on veut désormais y inscrire tout et n'importe quoi, c'est pour copier ce principe américain de la Cour suprême qui inscrit dans le marbre des décisions irrévocables de peur que la démocratie s'empare de la question.
    L'hubris incontrôlable de nos décideurs les conduit à juger leurs propres idées du moment tellement bonnes qu'elles doivent être constitutionnalisées pour être définitivement mises à l'abri de toute remise en cause.

    Dr Pierre Rimbaud

Réagir à cet article