
Repousser toutes les limites… jusqu’à celle de la mort
Le transhumanisme, courant de pensée qui n’est pas aussi largement médiatisé en France qu’aux Etats-Unis, est né dès les années quatre-vingt Outre Atlantique. Il repose, schématiquement, sur l’idée que les nouvelles technologies (regroupées sous l’acronyme NBIC pour nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives) peuvent (voire même doivent) être employées pour améliorer les capacités physiques et intellectuelles de l’homme, afin de modifier profondément sa condition… jusqu’à éventuellement repousser les limites de la mort. Si beaucoup relèvent que toute la civilisation humaine, de l’éducation aux lunettes de vue, en passant par les cannes et les prothèses, pourrait relever du « transhumanisme », les technologies NBIC font sans doute entrer cette quête d’amélioration dans une nouvelle dimension où la perception même de l’être humain est appelée à se modifier. Certains encore y voient une nouvelle forme de l’éternelle querelle entre les modernes et les anciens ; les « transhumanistes » se faisant les chantres exaltés du progrès, quand les seconds le pourfendraient. Mais le débat pour de nombreux observateurs ne se limite pas à des batailles simplistes et le courant transhumaniste, qu’on adhère ou non à l’idée de voir naître demain un homme augmenté, est à l’origine de profondes réflexions éthiques et philosophiques, qui concernent tout autant le libre arbitre, l’humanité que la notion de vie privée.Lutter contre les maladies ne doit pas être le seul but des progrès médicaux
C’est dans ce contexte que, dans le cadre des Semaines sociales de France qui se dérouleront du 21 au 23 novembre à Lille, les organisateurs de cette manifestation, le journal la Croix et France 2 ont souhaité connaître le sentiment des Français face à ces technologies et à leur impact sur les capacités humaines. Les résultats de cette enquête conduite par le CREDOC ont été rendus publics cette semaine et pointent certains paradoxes. On constate en effet tout d’abord que pour une majorité de Français, les progrès de la médecine sont tout d’abord destinés à « améliorer les capacités physiques et mentales d’une personne en bonne santé » ; une idée partagée par 58 % des personnes interrogées, soit une proportion aussi importante que la part de Français jugeant que ces progrès « ne doivent pas se limiter à soigner les maladies ». Ainsi, on le voit, les Français sont acquis à l’idée que les progrès scientifiques doivent être mis au service d’une amélioration de la condition humaine et ne doivent pas se contenter d’apporter des réponses ponctuelles à des phénomènes pathologiques. Des différences en fonction des catégories sociales s’observent cependant : « Les cadres et professions intellectuelles supérieures, les hauts revenus, les habitants de l’agglomération parisienne s’inscrivent le plus dans une logique qu’on pourrait apparenter au transhumanisme et considèrent plus souvent que l’homme doit chercher à augmenter ses capacités » relève le CREDOC.Bras robotisé oui, mais pas touche à mon cerveau
Cependant, lorsqu’on interroge les Français plus en détail sur les technologies qu’ils seraient prêts à accepter pour améliorer la condition humaine, leurs réticences sont plus marquées. Une nette différence s’observe en tout état de cause entre les interventions visant le corps et celles concernant le cerveau. Ainsi, lorsqu’on leur demande si selon eux, il serait souhaitable de « greffer un bras robotisé sur un corps d’homme », 60 % des personnes interrogées répondent par l’affirmative. Mais ils ne sont plus que 14 % à juger admissible l’idée d’installer « des composants électroniques sur le cerveau pour améliorer ses performances ». Voilà qui confirme que pour un très grand nombre de Français, le cerveau demeure un organe à part, car considéré comme le siège de l’identité. De la même manière, 76 % des Français disent qu’ils ne seraient pas prêts à se faire implanter un capteur sous la peau destiné à surveiller en permanence différents paramètres de santé, afin de bénéficier d’une surveillance constante. Parmi les raisons invoquées pour justifier leur refus : l’absence de confiance manifeste envers les personnes responsables de la collecte des données et la crainte d’une intrusion dans leur vie privée. Ces différents résultats montrent que l’utilisation des nouvelles technologies afin « d’améliorer » certaines de nos performances est encore loin d’être une évidence pour la grande majorité des Français, même s’ils sont acquis à l’idée que les progrès de la médecine doivent être guidés par cet objectif ». Le sujet par ailleurs, notent les responsables de l’enquête, ne laisse pas indifférent : la proportion de sondés bottant en touche ayant été très faible sur l’ensemble des questions.Aurélie Haroche