Les hôpitaux toujours malades mais de moins en moins de la Covid

Paris, le mardi 1er février 2022 -  « Si on n’opère pas, c’est surtout parce qu’il manque du personnel. Le virus ne fait qu’exacerber une situation qui s’est installée dans nos hôpitaux depuis 25 ans » expliquait récemment dans le Parisien, le Pr Laurent Lantieri (chirurgie réparatrice, HEGP). La constatation était partagée par plusieurs de ses confrères. Aujourd’hui des chiffres de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris (AP-HP) communiqués aux chefs de services des établissements franciliens, cités par le docteur Alice Desbiolles sur Twitter et consultés par le Figaro, confirment cette impression.

Seules 4 % des fermetures de blocs expliquées par la Covid

Selon ces données internes de l’AP-HP et qui n’étaient pas destinées à être largement rendues publiques : 17 % des blocs opérations étaient fermés entre le 17 et le 23 janvier, mais seulement 3 % en raison de la réaffectation des personnels dédiés dans les unités Covid et 1 % en raison de l’indisponibilité temporaire des personnels contaminés par SARS-CoV-2. Pour les 13 % restant, c’est la vacance des postes qui empêche le fonctionnement optimal des services.

Maladie chronique

Cette situation est très différente des premières heures de l’épidémie où la pression liée aux hospitalisations des patients infectés était la principale raison des déprogrammations et fermetures des salles de chirurgie. Aujourd’hui, l’hôpital renoue avec son affection chronique qui a été amplifiée par les deux années de crise : la désaffection de personnels qui épuisés et souffrant d’une « perte de sens » sont de plus en plus nombreux à raccrocher la blouse.

Un tiers des patients contaminés hospitalisés pour une autre raison

Cet éclairage sur la situation des hôpitaux et sur la responsabilité moindre de la Covid est à mettre en parallèle avec la publication pour la première fois par Santé publique France (SPF) de données en open data concernant la distinction entre les patients infectés par SARS-CoV-2 hospitalisés en raison de la Covid et ceux qui le sont pour une autre raison. Aujourd’hui, un tiers des patients déclarés Covid + admis à l’hôpital chaque jour ne le sont pas originellement en raison de la Covid. Cette proportion atteint 54 % chez les jeunes adultes (20/39 ans). En soins critiques, ce sont 16 % des patients qui sont originellement pris en charge pour une autre pathologie (c’est chez les mineurs que le décalage est le plus important).

Un décalage qui s’accroît par rapport aux autres vagues épidémiques

Bien sûr, il est important de rappeler que la distinction entre « pour » Covid et « avec » infection par SARS-CoV-2 n’est pas toujours facile à établir. Par ailleurs, les patients infectés mais hospitalisés pour d’autres raisons représentent une charge supplémentaire par rapport aux patients non infectés, en raison de la nécessité notamment d’un isolement. Cependant, notamment parce que l’écart entre les patients admis pour Covid et avec Covid tend à progresser par rapport aux autres vagues épidémiques, ces données signalent elles aussi que peu à peu l’épidémie peut de moins en moins expliquer prioritairement les difficultés de l’hôpital. D’une manière générale, beaucoup de praticiens, qu’ils aient adopté une approche « optimiste » ou au contraire « catastrophiste » de la pandémie, ont tenu à signaler depuis le début de la pandémie les difficultés chroniques de l’hôpital.

Les non vaccinés ont bon dos

Ces différents chiffres pourraient également conduire à relativiser la pertinence des propos ciblant les « non vaccinés » comme responsables des difficultés des hôpitaux. S’il est vrai qu’une encore meilleure couverture vaccinale chez les plus âgés et fragiles permettrait de diminuer le nombre de personnes hospitalisées en soins conventionnels et en soins critiques, on mesure bien parallèlement que si certains établissements n’hésitent pas à faire ce type de constat c’est parce que par ailleurs leurs capacités sont restreintes.

Enfin, le début de la fin ?

Ce contexte, associé à un pic épidémique qui semble enfin passé (même si le taux de positivité pour sa part ne fléchit pas) et à une diminution des admissions en soins critiques, pourrait-il conduire le gouvernement à revoir sa politique de lutte contre l’épidémie ? Alors qu’une partie de l’Europe fait désormais le choix d’une approche marquée par une nette libéralisation (en dépit d’une circulation encore intense du variant Omicron) le Conseil de défense de demain s’orientera-t-il vers une accélération de la levée des restrictions. On sait en tout cas que l’assouplissement du protocole sanitaire dans les établissements scolaires sera à l’ordre du jour. Si la levée du port du masques en extérieur pour adultes et enfants semble acquise, l’incertitude demeure concernant les protocoles de dépistage et plus encore sur le calendrier.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (2)

  • Le vrai problème, la démotivation

    Le 02 février 2022

    L'article souligne bien ce que les hospitaliers vivent depuis 25 ans: le pouvoir absolu des gestionnaires et le démantèlement des équipes. La plupart des Services des grands Hôpitaux sont assez spécialisés et l'introduction d'une "polyvalence" obligatoire entrainant tous les jours des transferts du personnel vers d'autres unités a démotivé les soignants qui sont massivement partis. Si on ne rétablit pas le rôle du Chef de Service en expulsant les gestionnaires inutiles et coûteux, ce que les ...grands gestionnaires issu de l'ENA au gouvernement ne veulent pas comprendre, la situation ne se rétablira pas. Les salaires sont bien sûr trop bas, mais le travail à l'hôpital est surtout devenu une source de démotivation.

    Dr Astrid Wilk

  • Attention aux chiffres !

    Le 02 février 2022

    Le titre d'un paragraphe : seulement 4% des fermetures de blocs expliqués par la Covid est erroné : en effet on voit plus loin que 17% des blocs sont fermés dont 4% à cause de la Covid ... la réalité est 4% des blocs sont fermés à cause de la Covid et 13% pour d'autres raisons c'est à dire que la Covid est responsable de 23,5% des fermetures de blocs, les 76,5% étant probablement dus au manque de personnel. Pas étonnant après cela que la HAS soit obligée de promouvoir l'usage de la règle de trois (mais ceci est une autre histoire).
    Merci par ailleurs pour cette intéressante mise au point.

    Jean-Claude Castanier

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