
Combat de tous les jours dans les services de pédiatrie français
Ce qu’il y a de pire qu’une formule un peu emphatique, c’est
l’absence de formule, c’est le silence. Nous sommes toujours en
guerre, décrivent les pédiatres hospitaliers. La guerre, c’est
quand dans un pays riche et un pays en paix, des enfants sont
hospitalisés sur les genoux de leurs parents. La guerre, c’est
quand on renvoie chez eux des enfants qui avaient manifestement
besoin d’une surveillance médicale constante.
La guerre, c’est quand les services adultes doivent prendre en
charge de très jeunes enfants… tout comme au printemps 2020 les
services pédiatriques avaient ouvert leurs portes aux adultes
malades. Et pourtant, aucun mot sur cette désorganisation, sur
cette situation de crise, aucune assurance de la solidarité de la
nation.
Silence assourdissant
Ce n’est pas faute d’avoir été alerté : plusieurs centaines de
soignants en pédiatrie ont signé en octobre une lettre ouverte au
Président de la République dans le Parisien espérant de lui qu’il
accepte de reconnaître la responsabilité de l’Etat dans les
difficultés actuelles de la pédiatrie. Depuis, des annonces ont été
faites quant au déblocage d’enveloppes budgétaires pour les
services en crise (ce qui ne concerne pas uniquement la pédiatrie)
et sur des revalorisations de primes et de gardes.
Cependant, parallèlement, le ministre de la Santé se montrait
très sévère sur les messages de plusieurs praticiens affirmant
l’existence de procédures de tri dans les services de pédiatrie.
Tant l’insuffisance de ces mesures que ces réactions politiques
sont aujourd’hui considérées comme insupportables par les
professionnels. Aussi, dans le Monde, ce mercredi, un collectif
comptant 10 000 soignants, dont 400 chefs de service et l’ensemble
des sociétés savantes de pédiatrie, écrivent au Président de la
République.
Dénonçant son « silence assourdissant », ils décrivent
: « Tout au long de ce mois, nous avons été confrontés à ce que
nous n’osions imaginer : quotidiennement, des enfants hospitalisés
sur des brancards ou sur les genoux de leurs parents aux urgences,
dans un bureau réaménagé pour l’occasion, des enfants intubés et
hospitalisés sans chambre dans le couloir de la réanimation, des
prises en charge trop tardives et des soins précaires, des retours
prématurés à domicile et des retours en catastrophe d’enfants
renvoyés chez eux faute de place, des transferts hors secteur par
dizaines en réanimation, mais aussi en hospitalisation classique.
Nous pensions que transférer des enfants à 300 kilomètres de chez
eux était une dégradation majeure des soins, nous constatons
désormais qu’il pouvait y avoir pire : ne plus pouvoir transférer
car l’épidémie a déferlé partout, saturant l’ensemble des services
de pédiatrie français. Nous culpabilisions d’envoyer des
adolescents au sein de services adultes, ce sont désormais des
enfants âgés de 3 ans que nous envoyons. Et encore, toujours, les
annulations de soins, les reports de chirurgie comme unique réponse
de nos tutelles à l’urgence, au détriment des enfants porteurs de
handicap, de maladie chronique et pédo-psychiatriques, soupape
désormais permanente de l’hôpital, éternelle variable d’ajustement
».
Prévention
C’est dans ce contexte que le ministre de la Santé a annoncé
l’installation le 7 décembre prochain d’un comité destiné à
préparer les assises de la pédiatrie qui doivent se dérouler au
printemps. Ce comité d'orientation sera coprésidé par Adrien
Taquet, ancien secrétaire d'État chargé de l'Enfance et des
Familles sous le précédent quinquennat et par le Pr Christèle Gras
Le Guen, chef du service de pédiatrie générale et des urgences
pédiatriques au CHU de Nantes et présidente de la Société Française
de Pédiatrie.
Le ministre de la Santé a énoncé plusieurs des grands axes qui
devront être abordés par le comité et par les assises : « le
renforcement de la prévention dans le quotidien des enfants et des
familles notamment à l'école, le rôle du pédiatre en ville et à
l'hôpital, celui du médecin généraliste dans la prise en charge des
enfants, la gestion des pathologies aiguës en urgence, celle des
maladies chroniques, la formation initiale et continue des
professionnels aux besoins de santé de l'enfant, l'évolution des
métiers médicaux et paramédicaux, le renforcement de la
pédopsychiatrie et de la santé mentale des enfants, la lutte contre
les inégalités sociales au plus jeune âge de la vie,
etc».
Pas sûr que les pédiatres hospitaliers qui crient aujourd’hui
leur désarroi et leur colère voient dans ce programme une réponse à
leur situation actuelle.
A.H.