
Les boissons sucrées à base de glucose (BSG) ou d’édulcorants
de synthèse (BES) n’ont pas le vent en poupe. Elles sont
soupçonnées de divers méfaits en matière de santé publique. Elles
semblent bien favoriser la surcharge pondérale et leur contribution
à la propagation de l’obésité dans la plupart des pays du monde
laisse peu de place au doute, dès lors qu’elles sont consommées en
quantités déraisonnables par des sujets enclins à la sédentarité
sur fond d’addiction aux multiples écrans de la vie quotidienne.
Leur rôle dans la pathogénie de la maladie cardiovasculaire se
conçoit par le biais du diabète de type 2 qui complique l’obésité
morbide. Quel est leur impact sur la mortalité globale ou liée à
des causes spécifiques ? Le sujet est débattu et il est évident
qu’il intéresse au plus haut point décideurs, médecins et
consommateurs.
120 000 professionnels de santé
Une étude contribue à accumuler les soupçons sur les boissons
sucrées. Elle est en fait située au carrefour de deux études
célèbres qui ont concerné les professionnels de santé, en
l’occurrence la Health Professional’s Follow-up study (HPFS)
(1986-2014) et la Nurses’ Health study(NHS) (1980-2014).
Dans la première ont été inclus 37 716 hommes, la seconde 80 647
femmes. Tous les participants étaient indemnes de maladie chronique
cliniquement patente lors de l’inclusion. La mortalité globale et
spécifique à certaines causes a été prise en compte dans l’analyse
statistique (méthode des risques proportionnels de Cox.) Les hazard
ratios (HRs) de mortalité et leurs intervalles de confiance à 95 %
(IC) ont été calculés en fonction de l’exposition aux boissons
sucrées, estimée à partir de questionnaires
alimentaires.
Durant un suivi de 3 415 564 sujets-années, ont été dénombrés
36 436 décès (dont 7 896 en rapport avec une MCV et 12 380 avec un
cancer). Après ajustement en fonction des facteurs liés au régime
et à l’hygiène de vie, l’analyse multivariée des données a mis en
évidence une association significative entre la consommation de
boissons sucrées et la mortalité globale, le risque étant lié aux
quantités ingérées en termes de fréquence (<1/mois, 1–4/mois,
2–6/semaine, 1-< 2/jour et ≥ 2/jour). Dans ces catégories, les
valeurs poolées des HRs ont été respectivement de 1,00 (valeur de
référence), 1,01 (IC 0,98, 1,04), 1,06 (1,03, 1,09), 1,14 (1,09,
1,19) et 1,21 (1,13, 1,28 ; p < 0,0001). Ces associations ont
été observées pour la mortalité cardiovasculaire, le HR estimé par
comparaison des catégories extrêmes précédemment définies étant en
effet de 1,31 (IC 1,15, 1,50], p <0,0001). La même tendance a
été constatée pour la mortalité par cancer, le HR correspondant
étant estimé à 1,16 (IC 1,04, 1,29], p = 0,0004).
Des effets variables d’une cohorte à l’autre, d’un type de boisson à l’autre
Si l’on se penche sur les effets propres des BES, le paysage
change quelque peu. En effet, l’impact tant sur la mortalité
globale que cardiovasculaire n’est manifeste que dans les
catégories de consommation les plus élevées, comme en attestent les
valeurs des HRs. Elles sont respectivement, pour la mortalité
globale, de 1,00 (référence), 0,96 (0,93, 0,99), 0,97 (0,95, 1,00),
0,98 (0,94, 1,03) et 1,04 (1,02, 1,12 ; p = 0,01). Les valeurs
correspondantes pour la mortalité cardiovasculaire sont, pour leur
part, de 1,00 (référence), 0,93 (0,87, 1,00), 0,95 (0,89, 1,00),
1,02 (0,94, 1,12) et 1,13 (1,02, 1,25 ; p = 0,02). Si l’on procède
à une analyse par cohorte, il s’avère que la consommation de BES
n’est associée à la mortalité que dans la NHS, aucune association
de ce type n’étant mise en évidence dans la HPFS. Par ailleurs, la
mortalité par cancer n’est nullement affectée par l’exposition aux
BES, quelle que soit la cohorte.
Ces études poolées qui portent sur un effectif conséquent
établissent une association positive entre la consommation de
boissons sucrées et la mortalité principalement du fait d’un excès
de décès imputables à une cause cardiovasculaire. Il semble exister
une relation de type dose-effet à des niveaux de risque relatif qui
restent très faibles dans une population particulière qui est celle
des professionnels de santé. Le lien de causalité n’est certes pas
pour autant établi, d’autant que les effets varient d’une cohorte à
l’autre : ainsi, l’impact des BES sur la mortalité globale et
vasculaire n’est manifeste que dans la NHS, ce qui laisse
interrogateur et nécessite confirmation.
Dr Catherine Watkins