
P. BERBIS
Service de Dermatologie Hôpital Nord, Marseille
Service de Dermatologie Hôpital Nord, Marseille
Le lichen plan érosif (LPE) est une forme rare de lichen plan
affectant principalement les muqueuses, buccale et génitale. Les
femmes apparaissent plus fréquemment touchées, bien que le très
faible nombre de cas rapportés minorent cette donnée. Des formes
érosives de lichen plan (excluant les formes bulleuses de lichen
type lichen pemphigoïde pouvant devenir secondairement érosives) se
développant au niveau purement cutané ont été très rarement
rapportées, et à ce titre méritent d’être connues.
Leur diagnostic est particulièrement difficile lorsque les
lésions sont isolées, non associées à des lésions cutanées plus
typiques ou muqueuses. Nous en rapportons une observation s’étant
compliquée de dégénérescence
carcinomateuse.
Observation
Une patiente âgée de 56 ans consultait pour une lésion érosive
et douloureuse de la jambe gauche. Cette lésion évoluait par
poussées inflammatoires et douloureuses depuis plus d’un an. Des
traitements topiques antibiotiques et corticoïdes n’apportaient que
peu de bénéfice et la plaque s’était étendue progressivement. À
l’examen on notait une plaque de 15 x 10 cm, quasi-entièrement
érosive, fibrineuse par endroits, ulcérée à d’autres (figure
1).

Figure 1. Placard de lichen
érosif pré-tibial.
Le reste de l’examen cutanéo-muqueux était sans anomalies.
Aucun antécédent dermatologique, notamment de lichen, n’était noté.
L’examen général était sans anomalie chez cette patiente en bon
état général. L’analyse anatomo-pathologique (figure 2) montrait la
présence d’un infiltrat dermique superficiel en bande,dense,
composé principalement de lymphocytes non atypiques.

Figure 2. Infiltrat dermique
lichénoïde dense.
L’épiderme était ulcéré par endroits. Une vacuolisation de la
couche basale était notée. Un aspect de fibrose, traduisant une
évolution cicatricielle de poussées antérieures, était présent au
niveau dermique.
Le bilan biologique était sans anomalies, notamment au niveau hépatique. La recherche d’anticorps anti-membrane basale épidermique et d’anticorps anti-desmogléine était négative. Les sérologies hépatite B et C étaient négatives. La recherche d’autres anomalies auto-immunes (anticorps antinu-cléaires, bilan thyroïdien à la recherche d’une thyroïdite auto-immune) était négative. La patiente ne prenait pas de traitement susceptible d’induire un lichen. Un traitement par acitrétine (30 mg/jour) était rapidement stoppé en raison de la survenue de céphalées. L’évolution se stabilisait sous dermo-corticoïdes, sans blanchiment. Six mois plus tard, un aspect bourgeonnant central motivait une nouvelle biopsie qui confirmait l’impression clinique de transformation en carcinome épidermoïde. Le traitement parexérèse large-greffe était effectué. Le bilan d’extension était négatif. Un traitement par dapsone (100 mg/j) était instauré et permettait un quasi-blanchiment des lésions en 2 mois. Quelques poussées modérées étaient par la suite rapidement jugulées par dermo-corticoïdes, la dapsone étant poursuivie.
Le bilan biologique était sans anomalies, notamment au niveau hépatique. La recherche d’anticorps anti-membrane basale épidermique et d’anticorps anti-desmogléine était négative. Les sérologies hépatite B et C étaient négatives. La recherche d’autres anomalies auto-immunes (anticorps antinu-cléaires, bilan thyroïdien à la recherche d’une thyroïdite auto-immune) était négative. La patiente ne prenait pas de traitement susceptible d’induire un lichen. Un traitement par acitrétine (30 mg/jour) était rapidement stoppé en raison de la survenue de céphalées. L’évolution se stabilisait sous dermo-corticoïdes, sans blanchiment. Six mois plus tard, un aspect bourgeonnant central motivait une nouvelle biopsie qui confirmait l’impression clinique de transformation en carcinome épidermoïde. Le traitement parexérèse large-greffe était effectué. Le bilan d’extension était négatif. Un traitement par dapsone (100 mg/j) était instauré et permettait un quasi-blanchiment des lésions en 2 mois. Quelques poussées modérées étaient par la suite rapidement jugulées par dermo-corticoïdes, la dapsone étant poursuivie.

Figure 3. Quasi-blanchiment
sous dapsone.
Discussion
Cette observation est donc celle d’un lichen érosif pré-tibial
isolé,forme exceptionnelle de lichen plan, avec transformation
carcinomateuse, ayant répondu après traitement de la complication
néoplasique à un traite-ment par dapsone. Moins d’une vingtaine de
cas de lichen érosif cutané ont été rapportées dans la littérature,
traduisant la rareté de cette forme de lichen, à la différence de
la composante muqueuse du lichen érosif. Schepis et al(1)
ont rapporté une observation comparable à la nôtre. Il s’agissait
d’un patient âgé de 58 ans ayant développé des lésions de lichen au
niveau pré-tibial, ainsi qu’au niveau des plis inguinaux. Une
sensation de brûlure intense était rapportée au sein des lésions.
Des érosions se développaient à la surface des plaques
pré-tibiales. L’anatomo-pathologie, tout à fait superposable à
celle de notre observation,confirmait le diagnostic de lichen plan
dans une forme érosive. Un traitement par cyclosporine per
os (2,5 mg/kg/j) a permis un blanchiment des
lésions.
La topographie de LPE cutané la plus rapportée est cependant
la localisation plantaire. Des localisations au niveau des
plis,notamment inguinaux, peuvent s’observer. Elle se manifeste par
des plaques érythémateuses très douloureuses, peu sensibles aux
dermocorticoïdes, responsables d’une sensation de brûlure et d’un
retentissement fonctionnel parfois majeur sur la marche. Le LPE
cutané peut être associé à des manifestations plus classiques de
LPE, notamment muqueuses, ou à des lésions de lichen plus typiques.
Le LPE cutané peut, comme dans notre observation, être isolé,
posant alors des problèmes diagnostiques. L’atteinte plantaire
s’associe volontiers à des atteintes unguéales de lichen, avec
onycho-atrophie résiduelle,ptérygion, perte unguéale. L’atteinte
pré-tibiale a été exceptionnellement rapportée (2). Le diagnostic
différentiel, dans les formes isolées, se pose avec le psoriasis
(dans les formes plantaires), avec des dermatoses pouvant toucher
des localisations pré-tibiales (pemphigoïde, mucinose). La biopsie
rétablit le diagnostic, l’aspect étant typique de lichen érosif
dans toutes les observations rapportées.
Certains auteurs (2) ont rapporté des associations du LPE à
des pathologies auto-immunes(Gougerot-Sjögren, thyroïdite,cirrhose
biliaire primitive). La dégénérescence carcinomateuse du LPE est
rare, mais a été rapportée au niveau des localisations muqueuses
(3). Notre observation apparaît exceptionnelle par le développement
d’une transformation carcinomateuse sur un LPE pré-tibial. Ce
risque, bien que faible, justifie la recherche d’un traitement
efficace le plus rapidement possible.
Le traitement du LPE cutané n’est pas codifié, compte tenu de
son caractère exceptionnel. Les dermocorticoïdes sont en général
peu efficaces. La cyclosporine A a fait preuve de son efficacité
dans les quelques cas rapportés (1).
La corticothérapie orale a été efficace à forte dose (1
mg/kg/j) dans un cas (2). Nous ne sommes cependant pas favorables à
la corticothérapie générale dans le LP, son arrêt pouvant exposer
au risque de rebond étendu. Certains auteurs rapportent une
efficacité du tacrolimus topique (2). Kandula et al (4)
rapportent une amélioration significative avec l’association
dermocorticoïdes-tacrolimus topique et doxycycline.
Dans notre observation, la résistance aux dermocorticoïdes a
conduit à prescrire de l’acitrétine, mal tolérée. La transformation
carcinomateuse interdisait tout immunosuppresseur, tant topique
(tacrolimus) que systémique (cyclosporine A). Ladapsone
(Disulone®) a entraîné chez notre patente
une amélioration rapide et quasi-complète, permettant de juguler
les poussées avec quelques jours de dermocorticoïdes. Falk et
al (5) ont rapporté le cas d’un patient présentant un lichen
érosifmulti-résistant répondant à la dapsone. L’évaluation de cette
molécule dans cette indication devra faire l’objet d’études
structurées avant de conclure à son intérêt dans le LPE
cutané.
Au total, bien que rare, le LPE cutané doit être évoqué face à
des lésions en plaques ulcérées douloureuses, notamment plantaires
ou pré-tibiales, même en l’absence de lésions de lichen plan
associées. L’enjeu d’un diagnostic précoce est, par un traitement
efficace, d’éviter le risque de transformation
carcinomateuse.