D. DEBRAY
Unité d’Hépatologie pédiatrique, hôpital Necker-Enfants
malades, Paris
L’ictère est le symptôme le plus fréquent observé en
période néonatale. La bilirubine plasmatique est physiologiquement
non conjuguée et liée à l’albumine. Elle est conjuguée dans le foie
par une glucuronide transférase (UGT1A1). La bilirubine conjuguée
(BC), hydrosoluble est ensuite sécrétée dans la bile grâce à des
transporteurs. Les causes d’ictère néonatal sont nombreuses, mais
il importe d’identifier précocement une atrophie des voies
biliaires.
L’ictère à bilirubine non conjuguée (BNC)
C’est l’ictère le plus fréquent (99 % des cas). Il est caractérisé par l’absence de décoloration des selles et des urines de couleur normale.• L’ictère simple du nouveau-né (NN) à terme concerne deux
tiers des NN. Il est en général modéré (hyperbiliubinémie libre
< 250 µmol/l), apparaît vers le 2e jour
de vie et régresse avant 10 jours de vie.
• Cependant, un ictère à BNC peut dans certaines circonstances
apparaître plus précocement, être intense et se prolonger au-delà
de J10.
Les causes en sont nombreuses :
– prématurité. L’ictère régresse en général avant J21
;
– hémolyse : notamment incompatibilité érythrocytaire (Rh, AO)
; hémoglobinopathies ; déficits enzymatiques érythrocytaires (G6PD,
PK) ;
– infections ;
– résorption d’hématomes ;
– diminution de l’activité de l’ UGT1A1 : lait de mère ;
hypothyroïdie congénitale ; cause toxique, médicamenteuse ou
infectieuse ; syndrome de Gilbert (mais se manifeste le plus
souvent à l’adolescence ou à l’âge adulte) ; maladie de
Crigler-Najjar type 1 et 2, très rare (incidence 1/1 000 000
naissances vivantes).
L’hyperbilirubinémie libre, surtout lorsqu’elle est associée à
des cofacteurs de morbidité, peut présenter une toxicité
neurologique, dont la forme la plus sévère est l’ictère nucléaire.
Ce risque neurologique justifie les efforts de dépistage et de
prévention, fondés sur la mesure transcutanée systématique de la
BNC dès J1 (avec dosage sanguin si la BNC transcutanée est élevée),
la prise en compte des facteurs de risques et le traitement précoce
par photothérapie. Des recommandations ont été émises quand à
l’indication de la photothérapie tenant compte du terme, des
facteurs de risques associés et de la valeur de la
BNC(1).
L’ictère néonatal à BC
Il est beaucoup plus rare. Mais il est urgent de reconnaître sa nature cholestatique, d’en préciser la cause et d’orienter le NN vers un service spécialisé ou la prise en charge thérapeutique peut être une urgence.Il est recommandé de réaliser un dosage plasmatique de la
bilirubine totale et de la BC chez tout NN présentant un ictère se
prolongeant au-delà de 15 jours (même en cas d’allaitement
maternel)(2). L’éducation des mères à la sortie de maternité
concernant la nécessité de consulter en cas de persistance de
l’ictère au-delà de 15 jours ou en cas de décoloration des selles
est un point important, qui est désormais noté dans le carnet de
santé.
• L’ictère à BC est exceptionnellement lié à une anomalie du
transport canaliculaire de la bilirubine, sans altération du flux
biliaire (syndrome de Dubin-Johnson et au syndrome de Rotor). Dans
ce cas, l’examen clinique, les transaminases et l’activité GT sont
normaux. Le pronostic est bon sans évolution vers la
fibrose.
• L’ictère à BC est le plus souvent signe de cholestase. Par
opposition à l’ictère à bilirubine libre, l’ictère cholestatique
s’accompagne d’urines foncées. Les selles peuvent être de
coloration normale, partiellement décolorées ou totalement
décolorées (figure 1). Une hépatomégalie est le plus souvent notée,
dont la consistance varie en fonction de la cause de la cholestase.
La confirmation de la cholestase repose sur des examens biologiques
simples : hyperbilirubinémie conjuguée, augmentation des
phosphatases alcalines, augmentation des transaminases en général
modérée (< 10 fois la normale). L’activité sérique de la Gammel
GT est souvent augmentée mais peut être normale. L’étude de
l’hémostase révèle rarement des signes d’insuffisance
hépatocellulaire, mais peut révéler des signes d’hypovitaminose K
(baisse des cofacteurs de la coagulation FII et FVII + X) qui doit
être systématiquement prévenue par l’administration de vitamine K1
par voie parentérale. Le diagnostic étiologique est orienté par
l’anamnèse, l’examen clinique (couleur des selles, consistance du
foie, splénomégalie, faciès particulier, atteintes extrahépatiques,
etc.), des examens biologiques simples et l’échographie
hépatobiliaire (figure 2). Les principales causes de cholestase
néonatale figurent dans le tableau. Elles peuvent être d’origine
extrahépatique, intrahépatique ou extraet intrahépatique. L’atrésie
des voies biliaires [AVB] est la cause la plus fréquente.
L’importance de son diagnostic précoce, dont le pronostic est lié à
la précocité de l’intervention chirurgicale correctrice, doit faire
hospitaliser tout nouveau-né atteint de cholestase avec selles
décolorées dans un centre médicochirurgical spécialisé.
• En cas de décoloration complète et permanente des selles En
l’absence de dilatation des voies biliaires évocatrice de lithiase
ou de dilatation congénitale de la voie biliaire principale (le
plus souvent liée à une anomalie de jonction bilio-pancréatique) à
l’échographie, de déficit en alpha-1-antitrypsine (de génotype ZZ),
d’éléments évocateurs d’un syndrome d’Alagille et de mucoviscidose,
il s’agit a priori d’une AVB. L’échographie peut parfois montrer
des signes évocateurs d’AVB : syndrome de polysplénie (rates
multiples, veine porte préduodénale, retour veineux azygos, situs
inversus abdominal) ; petite vésicule biliaire à paroi épaissie
et/ou irrégulière après un jeûne prolongé, ou ne se vidant pas
après la prise d’un biberon ; kyste visible au niveau du hile du
foie ; triangle hyperéchogène au niveau de la bifurcation portale.
Une échographie normale n’exclut pas le diagnostic d’AVB. Il est
urgent de programmer une laparotomie pour réaliser une
cholangiographie et l’intervention correctrice si le diagnostic
d’AVB est con firmé devant l’absence d’opacification des voies
biliaires intrahépatiques et/ou du duodénum. Certes, l’existence
d’une consanguinité, d’une récurrence dans la fratrie peuvent
suggérer le diagnostic de cholangite sclérosante de début néonatal,
pouvant mimer cliniquement une AVB, mais en aucun cas il ne faut
déroger à l’indication de la cholangiographie.
• En cas de décoloration partielle ou transitoire des selles
Il s’agit le plus souvent d’une cholestase d’origine
intrahépatique, dont la cause est souvent identifiée par des
examens complémentaires simples (tableau). La normalité permanente
des gamma-GT oriente vers le diagnostic de cholestase fibrogène
familiale (PFIC-1 ou 2) ou d’un défaut de synthèse des acides
biliaires primaires. Si la cause n’est pas identifiée, une biopsie
hépatique à l’aiguille peut être indiquée et orienter le
diagnostic. Des signes histologiques d’obstacle sur les voies
biliaires (fibrose porte, néocanaux biliaires, thrombibiliaires
dans les voies biliaires interlobulaires) doivent faire considérer
le diagnostic d’AVB et une opacification des voies biliaires est
indiquée afin d’éliminer formellement une AVB. Une paucité
ductulaire (absence de voies biliaires dans la majorité des espaces
portes visibles) à l’examen histologique du foie n’exclut pas le
diagnostic d’AVB. Des cellules géantes (hépatocytes multinuclées)
sont fréquemment notées quelle que soit l’étiologie, mais leur
grand nombre en l’absence de fibrose peut orienter vers une
cholestase néonatale bénigne. Si la cause n’est pas reconnue, une
surveillance clinique et biologique s’impose. L’absence de
recoloration franche des selles doit faire envisager une nouvelle
biopsie hépatique à l’aiguille. Si la cholestase régresse, il est
nécessaire de poursuivre une surveillance clinique et biologique
pendant au moins 1 an pour s’assurer de la guérison complète qui
confirme le diagnostic de cholestase néonatale transitoire
bénigne.
Conclusion
Il est indispensable de reconnaître rapidement la cause d’un
ictère chez l’enfant. Il est urgent d’en apprécier la nature :
ictère à BNC ou ictère à BC. Les deux risques immédiats sont la
toxicité neurologique (ictère nucléaire) en cas
d’hyperbilirubinémie libre importante et l’hypovitaminose K en cas
de cholestase. Le diagnostic étiologique est urgent. Les
observations d’enfants atteints d’AVB diagnostiquées tardivement (≥
2 mois de vie) alors que les signes de cholestase étaient évidents
dès la période néonatale (selles blanches à la sortie de maternité)
restent encore trop nombreuses.