
Des centaines de millions d’immunodéprimés
Il y a quelque temps, hypothèse a été émise que les patients en situation de dépression immunitaire pourraient favoriser la propagation du virus et accélérer l’émergence de nouveaux variants. Or les états ou situations de dépression immunitaire sont nombreux : transplantation d’organes, traitements immunosuppresseurs, cancers nécessitant une chimiothérapie ou une immunothérapie, maladies auto-immunes, maladies inflammatoires de l’intestin sous immunomodulateurs, infections par le VIH etc. Cette liste non exhaustive fait apparaître que la population fragile sur le plan immunitaire se chiffre sans doute, à l’échelon mondial, en centaines de millions de sujets. Dans ce contexte, certaines infections virales qui, au sein de la population générale, évoluent sur un mode aigu vont avoir tendance à traîner, voire à devenir chroniques en cas de dépression immunitaire. Tel pourrait être le cas pour le SARS-CoV-2. Plusieurs études suggèrent l’existence de formes persistantes ou chroniques de l’infection par ce virus en cas de dépression immunitaire, le pronostic étant alors plus péjoratif, avec un risque élevé d’hospitalisation et une surmortalité significative.Le SARS-CoV-2 en profite peut-être
Par ailleurs, le virus « profite » de cette situation au travers d’une mutagenèse accélérée, les mutations se multipliant au niveau des gènes les plus critiques et favorisant l’apparition de variants : une tendance qui a été documentée chez les patients en état d’immunodépression. Omicron est, à cet égard, la parfaite illustration d’une telle évolution, puisqu’il est le variant qui se distingue des autres par un nombre particulièrement élevé de mutations affectant les gènes de la protéine spike. Son émergence en Afrique du sud, où il a été identifié pour la première fois, aurait été favorisée par la haute prévalence des infections à VIH dans ce pays, ces dernières étant propices aux formes prolongées de la Covid-19. En se basant sur ce postulat, faut-il s’intéresser de plus près aux patients en état de dépression immunitaire ? C’est ce que suggèrent les auteurs d’une lettre à l’éditeur publiée en ligne dans le Lancet Microbe du 15 mars 2022.Une place possible pour les antiviraux
Selon eux, il faudrait ainsi détecter le plus rapidement
possible l’émergence de variants nouveaux dans cette population à
haut risque en s’aidant des techniques de séquençage génomique de
dernière génération. Une stratégie d’autant plus souhaitable qu’à
leurs yeux, l’accumulation des mutations au sein du génome viral
favorise grandement l’échappement vaccinal et le cas d’Omicron est
la parfaite illustration d’une telle tendance susceptible de se
reproduire avec son sous-variant BA2 qui devient majoritaire dans
le monde. Quelle pourrait alors être la place des médicaments
antiviraux dans cette stratégie préventive ?
En décembre 2021, la FDA a autorisé la mise sur le
marché du molnupiravir et du nirmatrelvir qui seraient tous deux
efficaces contre la forme dite sauvage du virus et ses variants,
dont Omicron. Il serait ainsi possible de réduire rapidement la
charge virale et d’accélérer la clairance virale en cas
d’immunodépression, mais une telle approche permettrait-elle pour
autant de s’opposer à l’émergence de nouveaux variants, quand bien
même ces deux médicaments seraient associés dans l’espoir quelque
peu théorique d’un effet synergique ? La question se pose, à
l’heure où la pandémie pourrait reprendre de la vigueur.
Dr Philippe Tellier