
Paris, le lundi 23 janvier 2023 – Un amendement à la proposition de loi Rist adoptée par l’Assemblée Nationale en première lecture la semaine dernière fait ressurgir le spectre de l’obligation de gardes pour les médecins libéraux.
Depuis le début de son examen par l’Assemblée Nationale il y a deux semaines, la proposition de loi de la députée Stéphanie Rist est sous le feu des critiques des syndicats de médecins libéraux, qui y voient une « déclaration de guerre » contre la médecine de ville, pour reprendre les termes du Syndicat des médecins libéraux (SML). Ce texte propose en effet de permettre l’accès direct aux infirmiers en pratique avancée (IPA), aux kinésithérapeutes et aux orthophonistes et d’ouvrir le droit à la primo-prescription aux IPA, des mesures qui remettent en cause le rôle central du médecin traitant selon les syndicats. Un nouvel amendement à cette proposition de loi risque d’alimenter encore un peu plus la colère des praticiens libéraux et d’élargir le fossé qui se creuse entre eux et le gouvernement.
La responsabilité collective des soignants, un concept flou
Adopté ce jeudi par l’Assemblée Nationale, cet amendement proposé par le gouvernement prévoit que « les établissements de santé ainsi que les médecins, les chirurgiens-dentistes, les sage-femmes et les infirmiers sont responsables collectivement de la permanence des soins ». Dans l’exposé des motifs, il est indiqué que l’amendement est rendu nécessaire par le fait que « la permanence des soins est essentiellement assurée par les établissements de santé » et que « la participation à la permanence des soins ambulatoires par les médecins ne permet pas de garantir une couverture complète de tout le territoire ».
Le nouveau principe de responsabilité collective « permettra de garantir un accès aux soins non programmés pendant les horaires de fermeture des services hospitaliers et des cabinets médicaux et sera assortie de contrôles et de réquisitions en cas de défaut de fonctionnement ». Même si le concept de responsabilité collective reste quelque peu flou, certains dénoncent un retour caché du principe d’obligation de garde pour les médecins libéraux, aboli en 2002.
Lors des débats dans l’hémicycle, le ministre de la Santé François Braun a cependant affirmé que ce sera aux médecins de « s’organiser entre eux pour assurer cette permanence et la juste contribution de chacun dans un équilibre entre les établissements de santé publics et privés et les professionnels libéraux ». L’amendement a notamment été défendu par le député Horizons Frédéric Valletoux, ancien président de la Fédération Hospitalière de France (FHF), qui estime que l’abandon de l’obligation de garde pour les libéraux en 2002 est responsable de « l’explosion de la fréquentation des urgences ».
L’obligation de garde est-elle une fausse bonne idée ?
L’adoption de cet amendement a provoqué la colère unanime des syndicats de médecins libéraux. Le SML dénonce ainsi « le retour de l’obligation de garde votée par une poignée de députés manipulés par M. Valletoux qui a si bien accompagné le naufrage des hôpitaux publics » et a appelé à une grève des gardes dès ce vendredi pour « une durée illimitée ». Un appel qui se joint à celui de la Confédération des syndicats médicaux français (CNSMF), qui a déjà lancé une grève illimitée de la PDSA à compter de ce lundi. « Vous voulez obliger qui ? Des médecins usés ? Et sans repos compensateur ? » s’interroge de son côté le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML), qui accuse le gouvernement d’avoir « allumé le feu ».
Depuis l’abandon de l’obligation de garde en 2002, la participation à la PDSA par les médecins libéraux se fait sur la base du volontariat : seulement 38 % des généralistes y ont participé en 2021 selon le dernier rapport de l’Ordre des médecins. Pourtant, sur 95 % du territoire, les gardes en soirée et le week-end ont été assurées, ce qui fait dire aux syndicats de médecins libéraux que le retour de l’obligation de garde est une mesure inutile qui risque de pousser les jeunes médecins à renoncer à s’installer. En mai dernier, dans un sondage publié sur notre site, 80 % de nos lecteurs se disaient cependant favorable au retour de l’obligation de garde.
Par ailleurs, le ministre de la Santé a affirmé son attachement au « contrat d’engagement territorial », un dispositif proposé par la CNAM dans le cadre des négociations conventionnelles visant à rémunérer les médecins qui s’engagent à améliorer l’accès aux soins. « C’est un changement important de méthode, j’oserais même dire de paradigme, pour répondre au défi des déserts médicaux » a affirmé François Braun. Là encore, les syndicats ne partagent pas l’enthousiasme du ministre de la Santé. Jeudi dernier, l’adoption d’un autre amendement à la loi Rist entérinant la mise en place de ce « contrat » a poussé les syndicats à quitter la table des négociations, dénonçant la « mise sous tutelle » des discussions avec la CNAM.
Grégoire Griffard