Marcher en comptant ? Hommes et femmes n’ont pas les mêmes priorités !

La double tâche, action d'effectuer deux tâches simultanément, l’une étant dite « primaire » et l’autre « secondaire », est omniprésente dans la vie quotidienne. En particulier, la grande majorité des tâches de mobilité que nous effectuons (par exemple, se tenir debout, marcher) se produisent alors que nous sommes distraits par une autre tâche motrice et/ou cognitive (tâche attentionnelle).

Les performances de l’une ou des deux tâches sont diminuées lors de la simultanéité, la stratégie usuelle étant de prioriser l’une par rapport à l'autre. Cet « effet de double tache » a tendance à augmenter avec l’âge. Dans le contexte de la marche, cela peut conduire à des stratégies dites de « marche prioritaire » ou de « marche secondaire » selon si les personnes portent prioritairement leur attention sur la mobilité ou sur les tâches cognitives, respectivement.

Par exemple certains individus « arrêtent de marcher en parlant », privilégiant ainsi la tâche cognitive (conversation) sur la tâche posturale (marcher). Plusieurs études ont pu montrer que chez les personnes âgées, celles qui adoptent cette stratégie sont plus susceptibles de chuter dans les 6 mois comparativement à celles qui recourent à une « marche prioritaire ». Quels facteurs influencent cette priorisation ?

Certains travaux récents indiquent que le sexe peut jouer un rôle dans la priorisation lors des tâches de mobilité. Une étude a évalué l’impact du sexe sur les performances de la double tâche et la hiérarchisation entre la marche et les stimuli secondaires distrayants, en contrôlant les facteurs de confusion tels que l'âge et la cognition globale (Montreal Cognitive Assessment, MoCA).

Un surrisque de chutes ?

Une centaine de personnes âgées neurotypiques ont participé à cette étude. Le test TUG (Timed Up and Go)* a été réalisé avec et sans tâche cognitive secondaire (compter à rebours 3 par 3). La marche (temps nécessaire pour terminer le TUG) et les performances cognitives (taux de nombres corrects répertoriés) ont été enregistrées pendant les tâches en simple et en double tâche. Les effets de la double tache ont été calculés pour les performances cognitives et de marche.

La priorisation a été calculée comme la différence entre les effets de la simultanéité sur la cognition et la marche. A l’analyse, des effets d'interaction entre le sexe et la condition (simple ou double tâche) ont ainsi été mis en évidence (marche : F1,96=8,7 ; p=0,004 ; cognition : F1,96=5,2 ; p=0,024). Par rapport aux participants masculins, les femmes présentaient des effets de la double tache sur le versant cognitif plus faibles que les hommes mais inversement des effets plus importants sur la marche. De même, les femmes présentaient des scores de priorisation significativement plus élevés (F1,95=10,0, p=0,002), confirmant une priorisation cognitive plus importante par rapport aux hommes.

D’après les résultats de cette étude, la population des femmes âgées, lors d’une double tache, a tendance à prioriser la tache cognitive sur celle de marche. Compte tenu du lien démontré entre les stratégies de posture secondaire et les chutes, ces conclusions suggèrent un risque accru de chute chez les femmes avec l’âge par rapport aux hommes. Des travaux supplémentaires sont néanmoins nécessaires pour confirmer ces conclusions et leur éventuelle pertinence clinique.

*TUG : test d’évaluation de la mobilité et de l’équilibre ; le sujet se met debout à partir d’une chaise, marche une distance de 3 mètres à vitesse confortable et sécuritaire, puis retourne à la chaise en marchant pour se rassoir ; le temps est mesuré depuis l’instruction verbale « go » jusqu’au moment où le sujet retourne en position assise.


Anne-Céline Rigaud

Référence
Peterson DS. Effects of gender on dual-tasking and prioritization in older adults. Gait Posture. 2022 Sep;97:104-108. doi: 10.1016/j.gaitpost.2022.07.247.

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Vos réactions (1)

  • Trop sommaire

    Le 25 août 2023

    Dommage que cette étude témoigne de piteuses connaissances en neurosciences. Les fonctions mentales sont hiérarchisées. L'associativité n'est pas du tout la même entre des tâches conscientes et entre conscientes et inconscientes. Associer plusieurs tâches cognitives élaborées est difficile et l'attention consciente passe en fait rapidement de l'une à l'autre, ce en quoi les femmes sont plus douées. Tandis qu'il est plus facile de déconnecter 2 tâches hiérarchiquement différentes, comme la marche automatique et la réflexion consciente. C'est ce que nous éprouvons tous en tant que marcheurs entraînés : nous pouvons laisser notre corps se débrouiller seul avec le terrain et penser à autre chose. Femmes et hommes le font très bien.
    La différence est sans doute que les femmes, associant plus de tâches cognitives supérieures à la marche (tandis que les hommes se concentrent davantage sur un seul fil de pensée), l'automatisme corporel est moins laissé libre à lui-même. Pourquoi le risque de chute augmente-t-il chez les femmes ? Parce que paradoxalement un automatisme mal rétro-contrôlé par la conscience est moins efficace qu'un automatisme libre. Il faut faire TRÈS attention à sa gestuelle pour l'améliorer, tandis qu'une attention distraite perturbe plutôt une habitude bien rodée.

    Dr J-P Legros

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