
Lorsque le diagnostic de mélanome malin cutané est confirmé par l’examen histologique d’une lésion pigmentée enlevée chirurgicalement, il est recommandé de faire une reprise d’intervention pour obtenir des marges saines d’une taille suffisance pour réduire le plus possible le risque de récidive. La largeur de ces marges d’exérèse est dictée par l’épaisseur de la tumeur c’est-à-dire l’indice de Breslow trouvé à l’examen anatomopathologique. Pour les tumeurs de moins de 2 mm d’épaisseur il est admis qu’une marge de 1 cm est suffisante. La conduite à tenir en cas de tumeur plus épaisse (plus de 2 mm) est plus incertaine, la largeur de la marge retenue pouvant aller de 2 à 4 cm. Or il faut mettre ici en balance le risque de récidive quand les marges d’exérèse sont trop petites et la morbidité importante liée à un grand défect cutané en cas d’exérèse large.
Plusieurs études randomisées ont toutefois permis d’établir la sécurité de marges de 2 cm pour les tumeurs de plus de 2 mm et la plupart des guidelines récentes émanant de diverses sociétés savantes de par le monde se sont rangées à cet avis. Cependant, les Australiens recommandent une marge de 2 cm uniquement pour les tumeurs de 4 mm et plus. Et une étude randomisée a comparé une marge de 1 cm à une marge de 3 cm et trouvé une survie globale similaire avec un suivi médian de 8,8 ans ! Autant dire que pour parvenir à un total consensus…il y a encore de la marge !
Presque vingt ans après…
Pour leur part des auteurs suédois rapportent les résultats de la prolongation d’une étude multicentrique randomisée contrôlée ayant enrôlé entre le 22 janvier 1992 et le 19 mai 2004, des patients suivis dans 53 hôpitaux en Suède, Danemark, Norvège et Estonie. Ces patients âgés de moins de 75 ans avaient tous un mélanome malin localisé, d’au moins 2 mm d’épaisseur, siégeant sur le tronc ou les membres. Ils ont été randomisés pour avoir soit des marges d’exérèse de 2 cm (n = 471) soit de 4 cm (n = 465). Une première publication après un suivi médian de 6,7 ans avait déjà montré qu’opter pour une marge de 2 cm n’influait par négativement sur la survie globale et spécifique et n’était en tout cas pas inférieure à une marge plus large. Désormais la durée médiane du suivi est de 19,6 ans (235 mois, 200 à 260) ; 621 décès sont survenus dont 304 (49 %) dans le groupe 2 cm de marge et 317 (51 %) dans le groupe 4 cm (Hazard ratio non ajusté : 0,98 ; intervalle de confiance à 95 % : 0,83-1,14 ; p = 0,75) ; 397 décès ont été attribués au mélanome : 192 (48 %) dans le groupe 2 cm et 205 (52 %) dans le groupe 4 cm (HR non ajusté : 0,95, IC 95 % : 0,78-1,16 p = 0,61).
Ces résultats confirment qu’il n’y a pas de différence de survie globale ni spécifique pour ces patients, qu’ils aient eu une exérèse à 2 cm ou à 4 cm, les facteurs de plus mauvais pronostic étant tout autres et bien connus (sexe masculin, présence d’ulcération, mitoses etc..). Il est donc justifié de s’en tenir à cette « plus petite » taille de 2 cm pour la marge d’exérèse des tumeurs de 2 mm et plus, puisque cela ne compromet pas l’évolution tout en offrant de meilleures suites esthétiques et probablement psychologiques. De plus il est envisageable que le recours aux traitements systémiques adjuvants puisse à l’avenir autoriser à réduire encore l’importance de l’exérèse chirurgicale.
Dr Marie-Line Barbet