Masques « faits maison » : une (bonne) alternative ?

En ces temps de pandémie, face à une pénurie de masque plus ou moins comblée par des arrivages sporadiques, diverses alternatives et initiatives émergent. Une plateforme collaborative a été développée, mettant en commun soignants, fournisseurs et « makers » bénévoles, à des fins de production de visières de protection. Des canevas de masque « fait maison » circulent sur internet. L’un de ces modèles, initialement diffusé par le CHU de Grenoble à ses intervenants, se retrouve actuellement sur plusieurs sites professionnels.

D’aucuns suggèrent qu’il n’est qu’un placebo lancé pour calmer les esprits anxieux... Bien que tout matériau constitue une barrière physique à une infection, si en tant que masque il ne s'adapte pas bien autour du nez et de la bouche, ou s’il laisse librement passer les micro-organismes, il ne sera d'aucun intérêt. D’où, les questions, légitimes, qui se posent sur ces protections « homemade », sur leur réelle fiabilité, sur leurs conditions d’utilisation, ou encore sur les recommandations les concernant.

Du sac d’aspirateur à l’écharpe en passant par la taie d’oreiller antimicrobienne

Dans Disaster Medicine and Public Health Preparedness, ouvrage pour les professionnels de santé spécialisés dans la santé publique et la réponse aux catastrophes, un article donne un éclairage concernant la qualité des matériaux utilisés pour un masque artisanal, sur la base d’un essai scientifique rigoureux. Dans cette étude, 21 volontaires ont été invités à fabriquer leurs propres masques « faits maison », avec divers matériaux ménagers courants : tee-shirt 100 % coton, écharpe, torchon, taie d’oreiller antimicrobienne, sac d’aspirateur, tissu en coton mélangé, lin, soie. Les masques chirurgicaux étant considérés comme le type de masque le plus susceptible d'être employé par le grand public, ils ont été utilisés comme contrôle. Les différents modèles de masques ont été confrontés à des concentrations élevées d'aérosols bactériens et viraux par nébulisation, pour objectiver leur efficacité de filtration. La chute de pression à travers chacun des matériaux a été mesurée pour déterminer le confort et l'ajustement entre le visage et le masque qui seraient nécessaires. Enfin, pour évaluer l'effet sur la prévention de la dispersion des gouttelettes et des particules d'aérosol produites par le porteur, le nombre total de bactéries a été mesuré lorsque les volontaires ont toussé en portant leur masque. La taille des micro-organismes utilisés, résistants aux contraintes de la nébulisation, était comparable ou inférieure à celle du coronavirus.

Efficace pour réduire le nombre de micro-organismes expulsés lors de la toux

A l’analyse des résultats pour la filtration, le masque chirurgical est, comme il est logique, celui qui a montré l'efficacité la plus élevée. Il est suivi par la protection avec sac d’aspirateur, mais la rigidité et l'épaisseur du sac ont créé une chute de pression élevée à travers le matériau, le rendant moins optimal pour l’adaptation à la forme du visage. De même, le torchon, a également montré une efficacité de filtration relativement élevée, se justifiant de par son tissage épais. La taie d'oreiller et le t-shirt 100 % coton, qui obtiennent les résultats suivants, se sont révélés fournir le meilleur ajustement possible de par leur qualité légèrement extensible. Bien que doubler les couches de tissu ait considérablement augmenté la chute de pression mesurée dans ces 3 matériaux, seules les 2 couches de torchon ont démontré une augmentation significative de l'efficacité de filtration. En ce qui concerne la prévention de la diffusion des gouttelettes, l’étude montre que le masque chirurgical et le masque artisanal réduisent tous les 2 le nombre total de micro-organismes expulsés lors de la toux (p < 0,001 et p = 0,004, respectivement). Cependant le modèle chirurgical s'est révélé plus efficace pour réduire le nombre de micro-organismes expulsés que les autres, en particulier pour les particules de plus faible taille.

Moins bien qu’un masque chirurgical mais mieux que l’absence de masque

En somme, quels que soient les modèles testés, le masque réduit considérablement le nombre de micro-organismes expulsés lors de la toux. Cependant le masque chirurgical semble être en moyenne 3 fois plus efficace que le masque fait maison pour bloquer la transmission du contaminé vers le porteur du masque. Sachant que les masques faciaux réduisent l'exposition aux aérosols par une combinaison de l'action filtrante du tissu et de l’adhésion du masque au visage, aucun composant alternatif ne fait l’unanimité, cependant mieux vaut cela que l’absence de masque. Le compromis pour la doublure du masque semble se trouver avec des sacs pour aspirateur très souples, ou des torchons ou tee-shirts en très bon état, à la place de lin ou de tissus dont la trame n’est pas assez serrée.
En pratique, tout masque, quelles que soient ses qualités, a un effet quasi nul s'il n'est pas employé de manière adaptée. Comme le rappelle le site de l’OMS, il faut l’utiliser pour une durée limitée, en le posant et en l’enlevant dans un espace « non contaminé » et avec des mains lavées, et en ne le touchant plus une fois positionné - pour se gratter ou parler, ou encore moins pour tousser ou se moucher. Sur son document, le CHU de Grenoble recommande de le laver après utilisation avec du détergent classique à 30°C. De plus, le port du masque n’est valable qu’en conjonction avec d'autres mesures préventives, telles que la toux dans le coude ou une hygiène régulière des mains. Info ou intox, lors du briefing quotidien de la Maison Blanche jeudi dernier, Deborah Birx, médecin conseillant l'administration sur la pandémie actuelle, a déclaré que le gouvernement américain avait retardé la recommandation sur le port du masque pour la population en  raison du "faux sentiment de sécurité que les gens ressentiraient" : " Le port d'un masque n'est pas une garantie que vous serez protégé, il ne remplace pas la distanciation sociale et les autres directives publiées précédemment. "

Limitation de la contamination pour celui qui le porte et les autres…

Alors, quelles indications pour ces masques faits maison ? Si la protection parait nettement insuffisante pour des personnes, soignants ou non, en contact rapproché avec des personnes covid19, son utilisation n’en est pour autant pas inutile, notamment lors des sorties en extérieur pendant le confinement. Outre une limitation de la contamination pour celui qui le porte, bien que partielle, ces types de masques pourraient permettre "de se protéger contre la transmission involontaire – notamment dans le cas où vous êtes un porteur asymptomatique du coronavirus" comme le rapporte l'American Lung Association. À la fin de la semaine dernière, les CDC (Centers for Disease Control and Prevention, principale agence fédérale aux États-Unis en matière de protection et de santé publique) ont d’ailleurs publié un ensemble de directives actualisées sur le port du masque en public, y compris ceux en tissu fabriqués à la maison. Jusqu’à présent, les CDC ne recommandaient des masques faciaux que pour les personnes COVID-19, ainsi que pour les soignants. A présent, si l'institut demande de ne pas rechercher des masques de qualité médicale afin de les laisser disponibles pour les intervenants de santé, elle conseille néanmoins d’opter pour des revêtements de base en tissu, qui peuvent être lavés et réutilisés. L'OMS a, de même, réévalué plus largement l'utilisation de masques médicaux et non médicaux par rapport au coronavirus. Pour les CDC, utiliser un masque (même fait maison) pour la population générale est une "mesure de santé publique volontaire".

Anne-Céline Rigaud

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Vos réactions (10)

  • AFNOR

    Le 09 avril 2020

    Notons que l'AFNOR a également mis en ligne un référentiel: https://www.afnor.org/actualites/coronavirus-telechargez-le-modele-de-masque-barriere/

    M. Allain IDE

  • Le masque et la plume

    Le 09 avril 2020

    Merci pour ce point (de couture ?).
    Ayant adopté le masque alternatif en jean, multicouches, tendance Rock n'roll, dommage que le denim n'ait pas été testé. Quid de l'apport d'écusson pour être encore plus tendance ?
    Conséquence d'un manque de masque "officiel", ce masque alternatif sera la vedette de ce printemps estival. Et lors du déconfinement il sera probablement au rendez-vous de la galanterie.
    Mille merci à Bernina.
    A suivre

    Dr G.A., doc en suture

  • Stop-postillons.fr

    Le 09 avril 2020

    Nous avons apporté un rationnel similaire au vôtre et des tutoriels variés sur le site https://stop-postillons.fr
    Nous pensons que la multiplicité des tutoriels permettra aux gens de réaliser l’écran anti-postillons qui leur conviendra, sans risquer de pénurie de matériel.
    Le changement de noms nous semble utile car un masque laisse penser qu’on se protège soi-même, alors qu’un écran laisse entendre qu’on protège les autres - ce qui est le principal objectif des « masques maison. »
    Merci pour votre intérêt !

    Dr Michaël Rochoy

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