
La mucoviscidose, maladie autosomique récessive, concerne 1 naissance sur 4 500 en France soit 200 naissances par an. Grâce aux progrès de la science et de la médecine, la médiane de survie est passée de 5 ans dans les années 1960 à 50 ans aujourd’hui. (1) A la fin des années 1980 un lien a été établi entre la mucoviscidose et le gène CFTR (Cystic Fibrosis Transmembrane conductance Regulator) qui code pour la protéine membranaire du même nom responsable du flux d’ions chlorure.
Diverses mutations du gène CFTR
Certaines mutations du gène CFTR sont à l’origine d’une protéine soit absente soit anormale ce qui augmente la viscosité des fluides corporels et entraine une inflammation locale (1,2). Environ 2 000 variants du gène ont été identifiés, certains sans conséquence pour la santé. La mutation delF508 présente chez 70-80 % de malades est responsable d’une anomalie de repliement de la protéine. L’avènement des médicaments agissant sur la fonction de la protéine CFTR ou son acheminement jusqu’à la membrane cellulaire, seuls ou en association (ivacaftor, lumacaftor, tezacaftor, elexacaftor), a permis une amélioration considérable de la qualité de vie des patients porteurs de la mutation delF508. Néanmoins, ceux qui présentent une mutation abolissant la production de la protéine ne répondent pas à ces traitements. (1,2,3)
Environ 10 % des patients atteints de mucoviscidose sont porteurs de mutations non-sens* du gène CFTR (G542X, R553X, R1162X, et W1282X sont les plus fréquentes (2)) aboutissant à une protéine tronquée non fonctionnelle et un phénotype clinique plus sévère. La quantité d’ARNm exprimé est faible en raison du système de surveillance NMD (nonsense-mediated mRNA decay) qui dégrade les ARNm porteurs d’un codon stop prématuré. Les stratégies thérapeutiques en cas de mutation non-sens sont l’inhibition du système NMD, la thérapie génique, l’édition du génome, les oligonucléotides anti-sens ou encore les inducteurs de translecture qui permettent l’introduction d’un acide aminé à la position du codon stop prématuré. Parmi ces inducteurs, les aminoglycosides (G418, ELX-02) et les non-aminoglycosides (ataluren, amlexanox) ont été ou sont en cours d’essai clinique dans le traitement de la mucoviscidose chez des patients porteurs de mutation non-sens. La DAP (2,6-diaminopurine), dérivé de la purine qui induit l’incorporation d’un tryptophane à la place d’un codon stop est à ce titre un bon candidat médicament qui a été testé dans des modèles pré-cliniques afin d’évaluer son intérêt dans la restauration de la fonction de la protéine CFTR (3). Le prix de cette molécule (environ 40 €/g versus 500 €/mg pour ELX-02) la rend également attrayante. (4,5)
Le modèle murin de mutation non-sens CFTR-NS
La pharmacocinétique de la DAP chez la souris montre, après administration per os (PO) l’absorption suivie d’un pic plasmatique 15-20 minutes après exposition. La molécule diffuse a minima dans le muscle, l’intestin, le poumon et le cerveau des souris. Son élimination est principalement urinaire (3). Les chercheurs ont créé un modèle murin CFTR-NS porteur d’une mutation non-sens R553X du gène CFTR. Ces souris mutées sont plus petites, meurent avant l’âge de deux mois et présentent des troubles intestinaux dans les premières semaines de vie. La protéine CFTR est absente a minima dans les poumons et les intestins de ces souris. Les souris homozygotes pour cette mutation ne représentent que 9 % de l’effectif global versus un pourcentage attendu de 25 %, faisant supposer que ce génotype homozygote est létal.
Il a été démontré par les auteurs (3) qu’1 mg de DAP administrée PO pendant 3 jours à des souris homozygotes CFTR-NS était capable de corriger la mutation non-sens UGA du gène CFTR endogène. L’administration de DAP (1 mg/jour) à des femelles hétérozygotes gestantes a permis d’augmenter le ratio de souris homozygotes suggérant une réduction de la mortalité intra-utérine de ce génotype. Un effet délétère sur la gestation ne peut cependant pas être exclu car le nombre total de souriceaux (homozygotes, hétérozygotes ou sauvage) dans le groupe DAP était réduit de moitié par rapport au contrôle. Les nouveau-nés de mères traitées par la DAP présentaient un marquage CFTR identique aux souris sauvages. Ces résultats suggèrent que cette molécule peut traverser la barrière placentaire et restaurer l’expression de la protéine CFTR des fœtus. Cette molécule est même excrétée dans le lait des femelles.
Les organoïdes, autres modèles d’étude
Des organoïdes** murins ont été préparés à partir de cellules souches intestinales de souris CFTR-NS et exposés 48h à la DAP (50 ou 100 µM), à un contrôle positif (100 µM de G418) et un contrôle négatif (le solvant DMSO). La fonction de la protéine CFTR a été évaluée par le test FIS (forskolin-induced swelling). Dans ces conditions expérimentales, la DAP 50 µM restaure plus fortement la fonction du gène CFTR muté que le contrôle positif (3). Les chercheurs ont également testé ces molécules sur des cellules provenant de l’épithélium nasal de patients atteints de mucoviscidose homozygotes G542X ou W1282X. Là encore la DAP (100 µM) semble être plus efficace que le contrôle positif G418 (600 µM) dans la restauration de la fonction de la protéine CFTR. Les auteurs notent néanmoins une réponse variable selon le type de mutation.
Afin de compléter la démonstration que la DAP peut induire une « translecture » des codons stop UGA dans le gène CFTR, 15 organoïdes dérivés de cellules provenant de patients atteints de mucoviscidose ont été préparés et exposés à des doses croissantes de DAP, la dose optimale a été définie à 50 µM avec une exposition de 48h. Dans un modèle organoïde préparé à partir de cellules humaines homozygotes W1282X, la DAP (50 µM, 48h d’exposition) est plus efficace que les deux contrôles positifs (G418 100 µM et ELX-02 20 à 100 µM) dans la correction de la mutation non-sens avec une absence de toxicité. Cet effet a été confirmé dans 4 autres modèles d’organoïdes humain porteurs de la mutation homozygote W1282X. Le niveau d’efficacité a été comparable aux taux observés en clinique avec la combinaison lumacaftor-ivacaftor mais des variations de réponse ont été observées selon la lignée cellulaire utilisée. Même si la DAP a été capable de restaurer la fonction de la protéine CFTR dans des organoïdes humains portant des mutations non-sens hétérozygotes G550X, R709X, ou W679X, le résultat était équivalent au contrôle négatif pour les mutation homozygotes R1162X et G542X, la mutation hétérozygote G542X ou R553X associée à la délétion F508del.
Encore du chemin à parcourir
Dans un modèle murin CFTR-NS muté R553X, des chercheurs français ont pu démontrer que la DAP est capable de diffuser dans plusieurs tissus après administration orale mais aussi de traverser les barrières hémato encéphalique et placentaire. Dans ce même modèle, il a été démontré que la DAP était capable de corriger la mutation non-sens du gène CFTR, effet validé sur des organoïdes murins et humains. La DAP fait même mieux que le contrôle positif sur la mutation W1282X qui représente 1,2 % des variants identifiés chez les patients atteints de mucoviscidose. Cependant, l’efficacité de la DAP semble dépendre des spécificités du modèle d’étude mais également du fond génétique de chaque individu, ce qui est également le cas pour les traitements actuellement validé ciblant la mutation delF508. La DAP présente un intérêt au-delà du traitement de la mucoviscidose car les mutations non-sens sont responsables d’environ 10 % des maladies génétiques. L’avenir nous dira si cette molécule peu onéreuse entrera dans l’arène des études cliniques…
* Mutation ponctuelle induisant le remplacement d’un codon qui code un acide aminé par un codon stop.
** Version miniature et simplifiée d'un organe, fabriquée in vitro en 3D à partir de tissus ou cellules souches embryonnaires et qui présente une micro-anatomie réaliste.
Dr Dounia Hamdi