Ne plus soigner les grands adolescents en psychiatrie de l’adulte : un décret bien intentionné

Paris, le mercredi 5 octobre 2022 - En février 2009, déjà, le Défenseur des enfants d’alors, Dominique Versini dénonçait l’hospitalisation de plus en plus fréquente d’adolescents âgés de 15 à 18 ans en « psychiatrie générale ».

Un décret, publié au journal officiel le 29 septembre 2022 entend clarifier cette situation et indique clairement que jusqu’à 18 ans les enfants atteints de pathologie mentale doivent être hospitalisés en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent…Une belle intention qui risque de rester lettre morte.

Le décret opère ainsi une distinction claire entre la prise en charge des mineurs et des majeurs en venant modifier l’article. R. 6123-175 du code de la santé publique.

Il prévoit : « l’activité de psychiatrie est exercée suivant les mentions suivantes (…) psychiatrie de l’adulte assurant les prises en charge de l’adulte » et « psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent assurant les prises en charge de l’enfant et de l’adolescent de la naissance à l’âge de dix-huit ans » et « psychiatrie périnatale organisant les soins conjoints parents-bébés, dès l’antéconceptionnel et le prénatal ».

Le décret prévoit aussi que le passage d’une prise en charge en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à une prise en charge en psychiatrie de l’adulte soit « organisé conjointement et de manière anticipée entre les deux services ou titulaires concernés. Un protocole général définissant des modalités d’organisation de cette transition entre les deux services ou titulaires concernés est élaboré. Dans ce cadre, le titulaire de l’autorisation peut assurer la prise en charge du patient mineur durant ce temps de transition ».

Un décret qui ne tient pas compte de la situation de la pédopsychiatrie


Mais ce texte bien intentionné ne fait que tracer les contours d’un monde idéal sans prise avec le réel.

Le réel ? Les professionnels de la pédopsychiatrie le connaissent bien. Il prend la forme d’une pénurie chronique de lits, de structures et de professionnels.  Une situation qui s’est encore aggravée avec la crise sanitaire. Depuis 2020 et la Covid, les services de pédopsychiatrie, déjà débordés, sont submergés par un nombre toujours plus important d’adolescents en détresse psychologique.

Depuis le deuxième confinement fin 2020, les pédopsychiatres observent ainsi une très forte augmentation du nombre d’enfants et adolescents souffrant de troubles dépressifs ou qui commettent des tentatives de suicide. Et la fin des contraintes sanitaires ne semble pas avoir fait refluer la vague.

Selon un bilan établi par Santé Publique France en avril dernier, « les passages aux urgences pour geste suicidaire, idées suicidaires et troubles de l’humeur se maintiennent à des niveaux élevés » au premier trimestre 2022, « comparables voire supérieurs à ceux observés début 2021 ».

Plus de 250 mineurs de moins de 16 ans ont ainsi été admis dans un service de psychiatrie adulte rien que pour la ville de Nantes en 2021 ! Pour les observateurs, le pis-aller d’hospitaliser les adolescents avec les adultes ne pourra se résoudre sans un grand plan de long terme en faveur de la pédopsychiatrie, qui devrait commencer par s’atteler aux moyens dévolus à la formation des pédopsychiatres…

Le taux d'encadrement des futurs pédopsychiatres est en effet « le plus faible des spécialités médicales » dénonçait dès 2017 le CNUP (Collège National des Universitaires de Psychiatrie). Quant aux postes de clinicat, ils sont « dix fois moindres que dans certaines spécialités » !

D’ailleurs, dans le décret publié fin septembre, le gouvernement a bien prévu que les services de psychiatrie de l’adulte puissent continuer d’accueillir « à titre exceptionnel, en fonction des besoins de prise en charge », des patients mineurs âgés de 16 ans et plus…

Business as usual…

F.H.

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Vos réactions (1)

  • Droit opposable

    Le 09 octobre 2022

    Alors que la santé mentale est, de loin, le 1er problème de santé publique des enfants et des adolescents, la manie de nos gouvernants de se cacher derrière des injonctions au lieu de prendre leurs responsabilité et d'agir pour construire les nouvelles générations ne faiblit pas.

    Dr Y Hatchuel

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