Des résultats variables concernant l’effet de l’hydroxyurée sur la charge en allèle muté V617 F JAK2 au cours des syndromes myéloprolifératifs (SMP) ont été rapportés dans la littérature. Ils reposent en fait sur trois études qui concernent chacune un nombre restreint de patients inférieur à 50. C’est la raison pour laquelle les auteurs de cet article ont envisagé une étude bicentrique regroupant 172 patients et analysant l’évolution de la charge allélique V617 F JAK2 sur le long terme.
Tous les patients inclus dans l’étude avaient une polyglobulie (PV) ou une Thrombocythémie Essentielle (TE) dont le diagnostic avait été établi selon les critères de l’OMS 2008 ; en outre la recherche de la mutation V617 F sur JAK2 avait été faite sur deux prélèvements à au moins 6 mois d’intervalle et effectuée sur le DNA des polynucléaires par une technique sensible de PCR ciblée en temps réel (Lippert E et al : Haematologica 2008 ; 94 : 38-45.).
Parmi les 172 malades, 104 avaient une PV et 68 une TE, l’âge médian était de 56 ans (15-84) et 49 % étaient des femmes. La médiane de suivi a été de 3,1 ans (0,6-26,1) ; aucune évolution vers une myélofibrose ou une leucémie aiguë n’a été constatée. Le délai médian entre le diagnostic et la première détermination de JAK 2 a été de 9 mois (6 pour les PV et 15 pour les TE) tandis que le délai médian séparant les deux recherches de JAK 2 mutée était de 27 mois (6-60), plus précisément de 28 mois au cours des PV et de 23 mois au cours des TE. En accord avec les publications antérieures la moyenne de la charge allélique V617 F JAK2 était significativement plus élevée au cours des PV par rapport à celle des TE : de 50+/-26 % versus 32 +/- 18 % respectivement. (p<0,0001).
Soixante-quatre patients, 40 ayant une PV et 24 une TE sont restés sans traitement cytoréducteur (groupe 1) ; dans ce groupe, l’intervalle médian entre les deux recherches de JAK2 mutée était de 26 mois (6-60) pour les patients atteints de PV et de 24 mois (6-59) pour ceux atteints de TE. Durant cette période d’observation, la charge allélique en V617F JAK2 est restée stable évoluant de 44 % à 49 % chez les patients atteints de PV et de 27 % à 31 % chez ceux atteints de TE.
Cent huit patients comprenant 61 % de PV et 65 % de TE ont reçu un traitement par hydroxyurée ; parmi eux 44 (groupe 2) ont eu leur première détermination de JAK 2 avant tout traitement, l’hydroxyurée étant débutée en moyenne deux mois après. Les 64 autres patients (groupe 3) étaient déjà sous hydroxyurée lors de la première détermination effectuée à un temps médian de 57 mois (3-290) après le début de ce traitement.
Parmi les sujets du groupe 2 comprenant 24 PV et 20 TE, le délai médian entre les deux recherches de JAK2 mutée était de 29 mois (10-55) pour les patients atteints de PV et de 26 mois (7-57) pour ceux atteints de TE. La charge allélique de V617 F JAK2 a évolué de 45 % à 41 % (p=0,7) en cas de PV et de 38 % à 35 % en cas de TE (p=0,024). Selon les critères établis par l’European Leukemia Net (Barosi G et al : Blood 2009 ; 113 : 4829-4833) aucun patient n’a présenté de réponse complète ; une réponse partielle était par contre notée chez 3 patients avec PV et 3 patients avec TE. En revanche, chez 5 patients atteints de TE et 10 de PV la charge allélique avait augmenté respectivement de 13 % (8-25) et de 70 % (3-900).
Chez les patients du groupe 3 qui incluait 40 patients avec PV et 24 patients avec TE , le délai médian entre les deux déterminations de JAK2 était de 28 mois (6-54) au cours de la PV comme au cours de la TE (6-60). La charge allélique V617 F JAK 2 a évolué de 58 % à 61 % pour les PV et de 34 % à 38 % pour les TE (p=0,039). Dans ce groupe, considérant les PV et les TE globalement, il y avait une augmentation significative de la médiane de la charge allélique de 36 % à 41 % (p=0,023).
Globalement, lorsqu’on considère les patients sous hydroxyurée, une diminution significative de la charge allélique (inférieure toutefois à 10 %) n’est observée que dans le groupe des patients ayant une TE et nouvellement traités. Au plan individuel, une légère diminution de la charge allélique définissant une réponse partielle n’est observée que chez 15 % des patients avec une TE et 12 % de ceux avec une PV. Le fait que chez les malades du groupe 3 déjà traités par hydroxyurée (avec une médiane de plus de 54 mois), la charge allélique de V617F JAK2 a tendance à monter régulièrement incite à considérer la discrète diminution initiale suivant le début du traitement comme peu importante au plan clinique.
En résumé, cette étude bien structurée conduit à deux conclusions. D’une part, elle montre que la charge allélique V617F JAK2 augmente très peu au cours des années chez les patients avec TE ou PV non traités ne justifiant pas la répétition rapprochée de cette mesure en investigation courante ; le contrôle de ce test pourrait être réservé aux cas évoluant vers une myélofibrose comme cela a pu être suggéré par les résultats d’études antérieures. D’autre part, cette étude montre que la charge allélique V617F JAK2 ne diminue très modérément que dans certaines sous–populations de patients qui restent encore à préciser par des études cliniques ultérieures.
Dr Sylvia Bellucci