
Paris, le jeudi 23 mars 2023 – Plus que le manque de moyens, la Cour des Comptes fustige la mauvaise organisation du secteur et le manque de lisibilité des plans des autorités.
Rapport après rapport, le constat est le même : la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine française et en son sein, la pédopsychiatrie est particulièrement touchée par le déclin. Alors que les troubles psychiatriques ont fortement augmenté chez les plus jeunes à la faveur des crises sanitaires et écologiques, tout les experts du domaine font le constat d’un secteur de la pédopsychiatrie inadapté aux besoins de la population.
Ce mardi, c’est au tour de la Cour des Comptes de dresser un réquisitoire au travers un rapport étoffé de 140 pages, l’aboutissement de centaines d’auditions menées durant plusieurs mois et de déplacements dans plusieurs régions et pays étrangers. Un rapport qui semble tenir particulièrement à cœur au président de l’institution Pierre Moscovici, qui considère que « remédier aux faiblesses de l’organisation de soins de pédopsychiatrie, aux carences de la politique de prévention et à une gouvernance des politiques de santé peu efficiente est un enjeu prégnant de santé publique ».
Une pénurie de pédopsychiatres qui s’aggrave
Pour l’ancien ministre de l’économie, trois constants sous-tendent le rapport : « l’offre de soins psychiatriques est inadaptée aux besoins de la jeunesse ; le parcours de soins, organisé en secteurs, est peu lisible et saturé ; enfin, la gouvernance est peu adaptée ».
S’agissant du manque de moyens et d’effectifs, quelques chiffres montrent l’ampleur du problème. Alors que 1,6 millions d’enfants et d’adolescents souffrent de troubles psychiques (plus ou moins graves), seule la moitié (entre 750 000 et 850 000) bénéficient d’une prise en charge en psychiatrie. Le nombre de passages aux urgences de mineurs pour troubles psychiques a augmenté de 65 % entre 2016 et 2021, tandis que, « en même temps », le nombre de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie a diminué de 58 % depuis le milieu des années 1980. Face à la saturation des centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ), ce sont près de 5 000 mineurs par an qui sont hospitalisés dans des services de psychiatrie pour adultes, ce qui « peut être préjudiciable à leurs parcours de soins » pointent les auteurs du rapport de la Cour.
Le plus préoccupant dans ce sombre tableau est sans doute la diminution drastique du nombre de pédopsychiatres en activité : on n’en compte seulement 2 000 en 2022, contre plus de 3 100 en 2010, soit une baisse de 34 %. Parmi ces actifs, 47 % ont plus de 60 ans et 37 % sont en cumul emploi-retraite. « Sans mesure ciblée, la France pourrait compter moins de 1 000 praticiens d’ici 2035 » estime la Cour. Elle préconise donc de « doubler le nombre d’étudiants formés à la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent pour les quinze prochaines années ».
Beaucoup de bonnes intentions, mais peu d’actions concrètes
Mais c’est surtout la mauvaise organisation du secteur qui empêche d’offrir aux jeunes en souffrance psychique des soins adaptés. Champions de l’orthodoxie budgétaires, les magistrats estiment que les près de 3 milliards d’euros alloués chaque année à la pédopsychiatrie pourrait « être mieux utilisées ». La Cour regrette notamment la mauvaise organisation des CMP-IJ. « Dans l’état actuel de l’organisation des soins, et en particulier dans les CMP-IJ, une partie des jeunes patients suivis ne souffrent que de troubles légers, au détriment de la prise en charge rapide d’enfants souffrant de troubles plus sévères » écrivent les auteurs du rapport.
La Cour préconise donc de renforcer l’offre de soins de première ligne, notamment en développant les maisons de l’enfance et des familles, des structures pour le moment expérimentales et réservées aux enfants, que la Cour propose de généraliser et élargir aux adolescents. Face à la pénurie de pédopsychiatres, la Cour estime nécessaire de s’appuyer sur d’autres professionnels : les généralistes et les pédiatres, qui doivent être mieux formés dans la détection des troubles psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent afin de pouvoir orienter au mieux les familles, mais également les psychologues libéraux qui « ont vocation à prendre progressivement une place dans le parcours de soins ».
Enfin, la Cour appelle le gouvernement à enfin adopter une ligne et des objectifs clairs sur le sujet. La volonté politique ne manque pas selon les magistrats, qui saluent « la mobilisation très nette en faveur de la pédopsychiatrie depuis l’adoption de la feuille de route sur la santé mentale en 2018 ». Mais au-delà de ces déclarations d’intention, la politique du gouvernement manque de clarté. « On a l’impression que les plans s’empilent sans objectif clair ni calendrier de mise en œuvre » regrette Pierre Moscovici, qui appelle à « renforcer le pilotage » et à adopter des objectifs nationaux de santé mentale, avec un calendrier précis et une évaluation continue des mesures mises en place.
Grégoire Griffard