
Une culture de la sécurité pas assez ancrée en ville
Focus sur les EIGS lors des accouchements
Quentin Haroche
Quentin Haroche
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La passivité des déclarations fait que leur hausse ou baisse ne préjugent pas nécessairement de l’évolution de l’incidence des évènements analysés. On devine le caractère subjectif du qualificatif « évitable ou non » des évènements rapportés et l’agacement potentiel face aux sémantiques innovantes mais importées (l’erreur apprenante).
1- Le bilan annuel de la HAS* porte sur 1 874 Évènements Indésirables Graves associés à des soins (EIG) déclarés en 2021 (1 081 en 2020** et sa crise sanitaire : +73%) : « L'année 2021 enregistre la plus forte augmentation du nombre de déclarations depuis le lancement du dispositif, témoin d'une meilleure culture sécurité des professionnels de santé », selon la HAS. Ce constat stimulant et « rassurant » peut aussi être le reflet… d’une augmentation du nombre d’EIG.
La marge de progression reste importante depuis 2017 :
• 54 % sont jugés « inévitables » (56 % en 2020** sur 1 081 EIG)
• 53 % ont comme conséquence le décès du patient (52 % en 2020**)
• les déclarations 2021 proviennent à 80 % (83 % en 2020**) des établissements de santé, 15 % du secteur médico-social, 05 % de la ville-domicile.
2- Une enquête nationale d’incidence, longitudinale et prospective elle, publiée cet été*** : elle porte exclusivement sur les établissements de santé, entre 2009 et 2019. Elle analyse 123 EIG observés lors du suivi de 4 825 patients sur 21 686 journées d’observation. En 2019 : 4,4 EIG pour 1 000 jours d’hospitalisation, 34 % sont analysés comme évitables. La densité d’incidence des EIG évitables survenus pendant l’hospitalisation a diminué entre 2009 et 2019.
La STRATIFICATION permet de nuancer ce constat sur les EIG évitables :
• En médecine : tendance à la baisse dans toutes les spécialités, sauf en soins critiques
• En chirurgie : la baisse n’a concerné que les CHU. Les EIG évitables liés aux actes invasifs ont diminué dans les secteurs interventionnels, et non pour les actes chirurgicaux.
Il reste ainsi une large place pour instiller la culture de l’imperfection dès la fac, l’entretenir, la diffuser en pratique de ville. Au moins trois obstacles :
• Culturel
• Complexité chronophage des procédures : pandémie, épidémies, départs sans arrivées exposant à plus d’EIG moins déclarés. « Big is beautiful » est un adage discuté (maternité ou non), mais il devient patent que la demande doit s’adapter à la paucité et diversité de l’offre. Les bienfaits de « l’effet de volume » ont été n fois documentés.
• Judiciarisation croissante malgré l’anonymat des déclarations, « principe de précaution » et « culture du risque zéro » peuvent être deux freins momifiant à la pratique et à fortiori à l’innovation.
Un aspect rarement évoqué : le praticien « seconde victime ». **
*Année 2021 : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3296748/fr/la-has-participe-a-la-semaine-de-la-securite-des-patients-2022
**Année 2020 : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3309996/fr/rapport-annuel-d-activite-2020-sur-les-evenements-indesirables-graves-associes-a-des-soins-eigs
*** Michel P et coll. Incidence des évènements indésirables graves associés aux soins dans les établissements de santé (ENEIS 3) : quelle évolution dix ans après ? Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2022, n°. 13, p. 229-237
**** Bohnen JD et coll. When Things Go Wrong: The Surgeon as Second Victim. Ann Surg. 2019 May;269(5):808-809. doi: 10.1097/SLA.0000000000003138
Dr JP Bonnet
Je partage totalement l'avis du Pr Rozé. L'immense majorité des EIGs en obstétrique sont les asphyxies fœtales et les hémorragies de la délivrance, et contrairement à ce qu'on pense, ils surviennent chez toutes les grossesses, normales ou pathologiques, avec une fréquence assez proche, donc il est impossible de "trier".
Le concept de "grossesse à bas risque" est très trompeur, car si vous avez une grossesse normale vous ne ferez pas les complications "phares" (prématurité, éclampsie, complications du diabète, etc) mais vous aurez toujours 10 % d’hémorragie de la délivrance et 15 % d'asphyxie néonatale (toutes gravités confondues).
Et pour traiter ce genre d'accident, il faut une équipe entrainée, avec des médecins (anesth, obst) sur place, chose que ne peuvent pas offrir les petite maternités ou tout le corps médical est en astreinte à domicile avec une sage-femme seule en salle de naissance.
Penser qu'une maternité "de proximité" résout tous les problèmes est une erreur, il vaut mieux faire une heure de voiture en début de travail pour accéder à une maternité bien équipée qu'accoucher dans une salle de naissance sans personnel entrainé ni médecin sur place.
Dr E Orvain
Les déclarations sont rares et volontaires, ce qui les entachent d'un biais considérable.
En général elles résultent moins d'une "culture de sécurité" que d'un raz le bol du déclarant.
C'est moins le cas pour les enquêtes ENEIS qui n'ont guère que le biais d'être faite dans des établissements volontaires.
La dernière enquête a été particulièrement intéressante à mes yeux car elle a montré une absence de diminution en chirurgie sauf en CHU : on remarquera que le processus de certification/accréditation des établissement concerne surtout les spécialités à risque avec mise en place d'OA fortement financées par la prise en charge de la RCP des praticiens (environ 50 % de la prime RCP soit 6 à 8000 € par an par chirurgien libéral), rien en public avec donc une implication proche de zéro en CHU des chirurgiens : ce sont donc ces derniers qui sont les seuls à progresser. Tout le processus de "qualité" est géré par des "qualiticiens".
Un détail : la check-list introduite en 2010 et présentée comme devant amener 50 % de baisse des EIAS et 30 % de la mortalité n'a pas tenu ses promesses. La réaction de la HAS n'a donc logiquement pas été de mettre fin à cette pratique dont l'inefficacité à été démontrée, mais de conseiller de l'"adapter" à la pratique locale.
Dr JR Werther (expert OA)