
Une relation entre CPNPC (son incidence et sa mortalité) chez
des personnes n’ayant jamais fumé et la pollution atmosphérique est
constatée de longue date sans qu’on ait jusqu’à présent découvert
le mécanisme moléculaire sous-jacent. La pollution de l’air n’est
pas connue pour provoquer en elle-même une mutation de l’ADN alors
que le modèle classique d’initiation tumorale implique l’exposition
à un carcinogène environnemental qui provoquerait une mutation et
ainsi la croissance tumorale.
Cependant il existe des preuves contre ce modèle dans
plusieurs types de cancer. Un autre modèle, proposé dès 1947 par
Berenblum, envisage la nécessité concomitante d’un initiateur
(mutation préexistante) et d’un promoteur (environnemental) pour le
développement d’un cancer. Ainsi, la pollution atmosphérique
pourrait-elle être le promoteur du CPNPC chez le non-fumeur (non
exposé au carcinogène environnemental qu’est la fumée de cigarette)
?
Un nouveau modèle de carcinogénèse
Tout d’abord, une équipe a exploré la relation géographique
entre cancer du poumon avec mutation EGFR et le niveau de
pollution (la mutation EGFR est retrouvée chez la moitié des CPNPC
du non-fumeur). L'étude qui a impliqué 447 932 personnes a montré
l’association entre l'augmentation des concentrations de particules
fines d’un diamètre de 2.5 micromètres (PM2.5) dans l’air et un
risque accru de 7 types de tumeurs, y compris de cancer du poumon
muté EGFR.
Afin d’explorer le lien de causalité, des souris mutées KRAS
ou EGFR ont été exposées à des doses croissantes de PM2.5. Les
souris exposées ont développé davantage de cancers du poumon que
celles non exposées, d’autant plus que les doses étaient élevées.
Dans ce modèle murin, l’exposition aux PM2.5 augmente la
transcription des cellules AT2 (cellules alvéolaires de type 2)
progénitrices de cancer et le recrutement des
macrophages.
Une autre étude montre également l’augmentation de
l’expression de l’Interleukine 1β (Il1) par les cellules
épithéliales pulmonaires et les macrophages lors de l’exposition à
des PM2.5. L’étude a confirmé chez la souris que le blocage de
l’Il1 inhibe le développement du cancer du poumon en bloquant la
transformation des cellules pulmonaires en cellules souches
cancéreuses au contact de la pollution.
Enfin, un promoteur de cancérogénèse agit sur une mutation pré
existante. La dernière question est donc de savoir si les mutations
EGFR et KRAS existent dans du tissu pulmonaire sain. Une étude a
mis en évidence une mutation EGFR dans 15 % et KRAS dans 53 %
d’échantillons de poumons sains de non-fumeurs. Le nombre des ces
mutations augmentait avec l’âge. Selon l'équipe, ces mutations sont
une conséquence probable du vieillissement et ne potentialisent que
faiblement le cancer dans les modèles de laboratoire.
Au total, sur un terrain prédisposant (mutation EGFR et KRAS),
la pollution atmosphérique jouerait un rôle promoteur pour le
cancer du poumon, via un mécanisme impliquant l’inflammation et
l’IL1.
Quelle prévention ? (1), (2)
Le nombre de cancers du poumon chez les non-fumeurs augmente
dans le monde, en particulier chez les femmes. La pollution
atmosphérique (par le biais des particules fines) est connue comme
un facteur de risque de plusieurs cancers mais aussi des maladies
cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux ou encore de
démence.
L’hypothèse non mutagène de promotion du cancer par les PM2.5
démontre la nécessité de contrôler la pollution de l'air,
particulièrement dans les pays les plus exposés, ce qui est en
grande partie l'affaire des décideurs politiques. En diminuant
l’émission de produits de combustion de carburants fossiles et de
gaz à effet de serre, le taux de PM2.5 diminuera.
La mise en évidence de mutations initiatrices dans des poumons
sains pourrait faire ré-évaluer les modalités de dépistage. Les
résultats présentés ce jour mettent également en évidence la
possibilité de cibler l’Il1, en tant qu’effecteur de la
carcinogénèse, sur le plan thérapeutique ou d’intervention précoce,
à un stade pré-cancéreux.
Plusieurs questions restent en suspens, qui seront explorées
par des études ultérieures. Y-a-t-il coexistence de mécanismes
carcinogéniques ? Quels composants des PM2.5 sont à l’origine de
l’effet promoteur ? Pourquoi et comment certains individus sains
développent une mutation EGFR ? Y- a-t-il un rôle d’une
susceptibilité de la lignée germinale ?
Alors que l’impact sur la santé de la pollution atmosphérique est démontré, il est important que la recherche scientifique progresse vers des explications biologiques qui, in fine, mèneront à des interventions.
Dr Isabelle Méresse