Pollution de l’air et cancer pulmonaire du non-fumeur : vers une prévention moléculaire du cancer ?

Pourquoi a-t-on un cancer du poumon quand on ne fume pas ? Des données toutes récentes présentées au congrès de l’ESMO 2022 élucident le lien entre la pollution de l’air et le cancer du poumon non à petites cellules (CPNPC) (1).

Une relation entre CPNPC (son incidence et sa mortalité) chez des personnes n’ayant jamais fumé et la pollution atmosphérique est constatée de longue date sans qu’on ait jusqu’à présent découvert le mécanisme moléculaire sous-jacent. La pollution de l’air n’est pas connue pour provoquer en elle-même une mutation de l’ADN alors que le modèle classique d’initiation tumorale implique l’exposition à un carcinogène environnemental qui provoquerait une mutation et ainsi la croissance tumorale.

Cependant il existe des preuves contre ce modèle dans plusieurs types de cancer. Un autre modèle, proposé dès 1947 par Berenblum, envisage la nécessité concomitante d’un initiateur (mutation préexistante) et d’un promoteur (environnemental) pour le développement d’un cancer. Ainsi, la pollution atmosphérique pourrait-elle être le promoteur du CPNPC chez le non-fumeur (non exposé au carcinogène environnemental qu’est la fumée de cigarette) ?

Un nouveau modèle de carcinogénèse


Tout d’abord, une équipe a exploré la relation géographique entre cancer du poumon avec mutation  EGFR et le niveau de pollution (la mutation EGFR est retrouvée chez la moitié des CPNPC du non-fumeur). L'étude qui a impliqué 447 932 personnes a montré l’association entre l'augmentation des concentrations de particules fines d’un diamètre de 2.5 micromètres (PM2.5) dans l’air et un risque accru de 7 types de tumeurs, y compris de cancer du poumon muté EGFR.

Afin d’explorer le lien de causalité, des souris mutées KRAS ou EGFR ont été exposées à des doses croissantes de PM2.5. Les souris exposées ont développé davantage de cancers du poumon que celles non exposées, d’autant plus que les doses étaient élevées. Dans ce modèle murin, l’exposition aux PM2.5 augmente la transcription des cellules AT2 (cellules alvéolaires de type 2) progénitrices de cancer et le recrutement des macrophages.

Une autre étude montre également l’augmentation de l’expression de l’Interleukine 1β (Il1) par les cellules épithéliales pulmonaires et les macrophages lors de l’exposition à des PM2.5. L’étude a confirmé chez la souris que le blocage de l’Il1 inhibe le développement du cancer du poumon en bloquant la transformation des cellules pulmonaires en cellules souches cancéreuses au contact de la pollution.

Enfin, un promoteur de cancérogénèse agit sur une mutation pré existante. La dernière question est donc de savoir si les mutations EGFR et KRAS existent dans du tissu pulmonaire sain. Une étude a mis en évidence une mutation EGFR dans 15 % et KRAS dans 53 % d’échantillons de poumons sains de non-fumeurs. Le nombre des ces mutations augmentait avec l’âge. Selon l'équipe, ces mutations sont une conséquence probable du vieillissement et ne potentialisent que faiblement le cancer dans les modèles de laboratoire.

Au total, sur un terrain prédisposant (mutation EGFR et KRAS), la pollution atmosphérique jouerait un rôle promoteur pour le cancer du poumon, via un mécanisme impliquant l’inflammation et l’IL1.

Quelle prévention ? (1), (2)


Le nombre de cancers du poumon chez les non-fumeurs augmente dans le monde, en particulier chez les femmes. La pollution atmosphérique (par le biais des particules fines) est connue comme un facteur de risque de plusieurs cancers mais aussi des maladies cardiovasculaires, accidents vasculaires cérébraux ou encore de démence.

L’hypothèse non mutagène de promotion du cancer par les PM2.5 démontre la nécessité de contrôler la pollution de l'air, particulièrement dans les pays les plus exposés, ce qui est en grande partie l'affaire des décideurs politiques. En diminuant l’émission de produits de combustion de carburants fossiles et de gaz à effet de serre, le taux de PM2.5 diminuera.

La mise en évidence de mutations initiatrices dans des poumons sains pourrait faire ré-évaluer les modalités de dépistage. Les résultats présentés ce jour mettent également en évidence la possibilité de cibler l’Il1, en tant qu’effecteur de la carcinogénèse, sur le plan thérapeutique ou d’intervention précoce, à un stade pré-cancéreux.

Plusieurs questions restent en suspens, qui seront explorées par des études ultérieures. Y-a-t-il coexistence de mécanismes carcinogéniques ? Quels composants des PM2.5 sont à l’origine de l’effet promoteur ? Pourquoi et comment certains individus sains développent une mutation EGFR ? Y- a-t-il un rôle d’une susceptibilité de la lignée germinale ?

Alors que l’impact sur la santé de la pollution atmosphérique est démontré, il est important que la recherche scientifique progresse vers des explications biologiques qui, in fine, mèneront à des interventions.

Dr Isabelle Méresse

Références
(1) Pr Charles Swanton (Londres, UK), Mechanism of Action and an Actionable Inflammatory Axis for Air Pollution Induced Non-Small Cell Lung Cancer: Towards Molecular Cancer Prevention, Annals of Oncology, volume 33 supplément 7, septembre 2022, ESMO congress, Paris, 9-13 septembre 2022.
(2) Dr Suzette Delaloge (Villejuif France), Towards an interception of air pollution-linked lung cancer ?, Annals of Oncology, volume 33 supplément 7, septembre 2022, ESMO congress, Paris, 9-13 septembre 2022.

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Vos réactions (1)

  • Bravo

    Le 14 septembre 2022

    Très bon article.
    Pour info, les mutations de l'EGFR augmentent avec l'âge ; on estime qu'elles touchent 17% des quinquagénaires... fumeurs ou non.

    Dr S. Rouchet

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