
Paris, le lundi 6 février 2023 – Le nouveau projet de loi sur l’immigration prévoit d’inciter les médecins étrangers, notamment africains, à venir travailler en France.
« Ne privons pas l’Afrique de ses médecins » titrait une tribune publiée le 7 janvier dernier dans le Journal du Dimanche et signée notamment par deux professeurs de médecine et l’ancien président de Médecins sans frontières. Une tribune qui entend s’opposer à une disposition du projet de loi « immigration et intégration », présenté mercredi dernier en conseil des ministres et qui vise à créer un nouveau titre de séjour « talent-professions médicales et de pharmacie ».
Ce visa, à destination des médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens et dentistes formés hors de l’Union Européenne, prévoit deux cas de figure. Si le professionnel de santé étranger, qui a décroché un contrat de travail dans un établissement de santé en France, n’a pas encore réussi les « épreuves de vérification des connaissances » (EVC), il bénéficiera d’un titre de séjour de 13 mois renouvelable une fois. S’il a déjà passé ces épreuves, il pourra rester en France pendant au moins quatre ans.
Une mesure qui vise donc à faciliter la venue de soignants étrangers non-européens en France, alors que nos hôpitaux font face à une pénurie de personnel depuis plusieurs années. Les médecins qui bénéficieront de ce titre de séjour viendront ainsi grossir les rangs des près de 15 000 praticiens à diplôme hors Union Européenne (PADHUE) que compte notre pays. Si environ 10 000 d’entre eux bénéficient d’une autorisation définitive d’exercer, les autres sont dans une situation précaire, ne pouvant exercer que grâce à des autorisations temporaire, travaillant à l’hôpital pour des salaires bien moindres que leurs collègues formés en Europe.
Les Padhue dans une situation administrative précaire
Une réforme mise en place en 2020 devait en principe mettre fin à cette situation précaire, en exigeant des Padhue ayant exercé depuis au moins deux ans en France de passer devant la commission nationale d’autorisation d’exercice (CNAE), qui soit les autorisera définitivement à exercer, soit leur demandera d’effectuer un stage de consolidation, soit les déboutera. Problème, cette commission ne dispose pas des effectifs nécessaires pour examiner rapidement les milliers de dossiers en attente. Alors que tous les Padhue devaient normalement avoir une réponse avant le 31 décembre 2022, la date butoir a été repoussée au 30 avril prochain (et le sera sans doute à nouveau d’ici là) et les autorisations temporaires d’exercice prolongées.
D’après le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM), les trois-quarts des Padhue seraient originaires du Maghreb et la moitié d’Algérie. Si ces médecins formés à l’étranger sont parfois indispensables pour faire tourner les hôpitaux français, leur venue participe à la fuite des cerveaux dont souffrent les pays africains et qui les empêche de se développer. La situation est particulièrement dramatique en Tunisie, où l’Ordre des médecins a recensé 970 départs de médecins en 2021, contre 500 à 600 habituellement. « La Tunisie forme environ un millier de médecins par an, il y aura donc bientôt plus de médecins qui partent que de médecins formés » se désole le Dr Moncef Belhaj Yahia, président de l’Association tunisienne du droit à la santé. « La France n’a pas su former suffisamment de médecins pour son propre territoire et siphonne nos praticiens en les payant moins à compétences égales ».
« On transfère nos déserts médicaux dans nos anciennes colonies »
Comme le soulignent les auteurs de la tribune précitée, les choix faits par la France ne manquent en effet pas d’interroger. Pendant des années, elle a limité, parfois drastiquement, le nombre de médecins formés sur son territoire via le numerus clausus…tout en faisant venir par milliers des médecins de l’étranger pour faire tourner ses hôpitaux, au détriment des pays africains.
« Le gouvernement entend profiter sans frais de professionnels formés par ces pays, en somme on souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies, mais on ne limitera pas l’immigration illégale en continuant à priver les pays d’origine de leurs ressources humaines » dénoncent les auteurs de la tribune, qui demandent au gouvernement de retirer son projet de loi et de « négocier avec les gouvernements concernés des accords pour aider au développement de la santé sur leur territoire ».
Nicolas Barbet