Prise en charge de la douleur liée au cancer, il faut bien des opiacés…
Les troubles liés à la consommation d’opiacés (opium use
disorder ou OUD en anglais) représentent une comorbidité
particulière en cas de cancer à un stade avancé. En 2019, une étude
US avait estimé que 0,5 % des adultes US, soit environ 1,2 million
d’individus, présentaient un OUD. Dans le même temps, on comptait
1,8 million de cas de cancers avec 607 000 morts par an. On peut
raisonnablement estimer que, parmi les malades atteints de cancer à
un stade avancé, 8 à 12 % des consommateurs d’opiacés au long cours
présentent un OUD. Une symptomatologie douloureuse majeure,
susceptible d’altérer la qualité de vie des patients, touchant,
environ, 75 à 90 % des patients atteints d’un cancer à un stade
avancé, les praticiens des services de soins palliatifs sont donc
fréquemment amenés à prendre en charge de tels patients. Les
agonistes complets des opiacés, comme la morphine ou l’oxycodon,
sont les pièces maitresses des traitements antalgiques. Leur
utilisation peut se révéler particulièrement délicate chez les
patients avec un cancer avancé, présentant, en sus, un OUD. La
Food and Drug Administration a approuvé, dans de telles
situations l’emploi d’agonistes des opiacés, tout comme le recours
à la buprénorphine et à la méthadone, dans le cadre d’une
évaluation quasi quotidienne. Ces molécules sont alors prescrites à
des posologies plus faibles, avec une fréquence d’administration
plus élevée dans le nycthémère. Toutefois, en dépit de leur
efficacité antalgique, l’approche thérapeutique par buprénorphine
-naloxone n’a pas été étudiée de façon formelle dans les cas de
douleurs cancéreuses majeures avec OUD, d’autant que celle-ci peut
être différente selon le pronostic vital et l’imminence plus ou
moins proche de la mort.
Des problématiques différentes selon l’espérance de
vie
Un groupe d’experts, s’est efforcé d’élaborer une stratégie
pour la prise en charge des douleur cancéreuses à un stade avancé
avec OUD concomitant. En fait, 2 panels d’experts ont été
sollicités pour se prononcer sur deux types de patients : ceux dont
l’espérance de vie va de quelques semaines à quelques mois et ceux
dont l’espérance de vie est de plusieurs mois ou années. Les
experts, plus de 60 par panel, étaient des professionnels des soins
palliatifs ou des addictions.
Durant le mois d’Aout 2020, lors d’une première session, plusieurs
propositions thérapeutiques ont été débattues autour de la prise en
charge d’un patient type de 50 ans, sous traitement anti cancéreux
pour néoplasie à un stade avancé, douloureux et présentant un OUD.
Dans le premier scénario, le patient était traité par une
association buprénorphine- naloxone, dans le second par méthadone.
Plusieurs options thérapeutiques étaient envisagées comme, par
exemple, diviser les doses de buprénorphine-naloxone ou ajouter un
agoniste complet de type morphine ou oxycodon. Une seconde session,
en Septembre de la même année, a examiné les premiers résultats,
puis une troisième, en Octobre 2020, a tenté de finaliser les
recommandations. Sur les 129 experts invités, 93 % (120) ont
participé à au moins une session ; 76 % étaient blancs, 62 % des
femmes ; 96% avaient un diplôme de docteur en médecine. L’âge moyen
se situait entre 40 et 49 ans.
Préférence à la buprénorphine-naloxone en trois doses
quotidiennes ou à la méthadone
Pour le premier cas étudié, celui d’un patient cancéreux,
algique, avec OUD traité par buprénorphine-naloxone, quelle que
soit son espérance de vie, courte ou plus prolongée dans le temps,
les experts ont jugé approprié de poursuivre la même combinaison
thérapeutique, avec fragmentation des posologies, de préférence
sous la forme de 3 doses par jour. En cas de contrôle insuffisant
de la douleur, il a été alors proposé de changer pour la méthadone,
là encore sous la forme de 3 doses quotidiennes (et dans
l’hypothèse d’un espace QT normal à l’ECG), la méthadone, de fait,
étant considérée par certains experts comme plus efficace en termes
d’antalgie que l’association buprénorphine-naloxone. Maintenir la
combinaison initiale avec ajout d’un agoniste opioïde complet, type
oxycodone, morphine, hydromorphie ou fentanyl, a paru aussi être
une proposition appropriée chez les patients dont le pronostic
vital était de l’ordre de quelques semaines à quelques mois. Dans
les situations avec une espérance de vie plus longue, cette
combinaison thérapeutique a semblé aux experts plus aléatoires,
tout comme l’arrêt total de l’association buprénorphine–naloxone et
son remplacement par un agoniste opioïde complet.
Dans la seconde hypothèse, celle d’un patient déjà sous
méthadone dispensée par une clinique spécialisée, quel que soit le
pronostic, il a paru opportun de diviser par 2 ou 3 les doses de
méthadone. L’arrêt de la méthadone avec son remplacement par un
agoniste complet a paru moins efficace. Toutefois a été évoquée la
possibilité, dans le cas d’une espérance de vie brève, de
poursuivre la méthadone quotidiennement, en y ajoutant un autre
agoniste opioïde complet, afin d’obtenir une analgésie
complémentaire. En cas de pronostic plus satisfaisant, cette option
thérapeutique a paru plus aléatoire.
En résumé, de cette étude qualitative, il ressort une
préférence du panel d’experts pour maintenir le traitement
antérieur par méthadone ou buprénorphine-naloxone, avec
fragmentation des doses, chez des patients en stade avancé de leur
maladie cancéreuse, algiques et présentant un OUD. En cas de
mauvais contrôle de la douleur sous combinaison
buprénorphine-naloxone, l’ajout de doses fragmentées de méthadone
est possible. Par contre, chez les malades déjà sous méthadone, le
changement pour la combinaison buprénorphine naloxone est plus
discutable, de par son efficacité antalgique moindre et la longue
durée de vie de la méthadone. Ces propositions thérapeutiques
soulignent l’importance de mener des travaux complémentaires en vue
d’optimiser les traitements antalgiques dans de telles
situations.
En outre, les modalités de prescription, très réglementées, de
la méthadone peuvent poser des problèmes pratiques
d’administration, car les lois actuelles de dispenciation ne sont
guère adaptées aux malades avec affection grave ou terminale.
Quelques réserves doivent être formulées. Il s’agit de
propositions d’experts dans le cadre d’un protocole Delphi. Parmi
eux, on doit regretter le nombre très réduit de praticiens de base,
qui, souvent, sont en première ligne chez les patients atteints de
cancer à un stade ultime de leur vie. De même, les oncologues ont
été très peu représentés dans les différents panels d’experts.
Enfin, les aspects proprement politiques ou de coût financier n’ont
pas été abordés.
En conclusion, ce travail confirme la nécessité de mettre au point
dans un temps proche des recommandations consensuelles à
destination des cliniciens prenant en charge les patients cancéreux
avec OUD, tout en poursuivant des travaux de recherche sur ces
questions.
Il est étonnant que, à aucun moment, il ne soit fait mention de la nécessité première,dans les situations présentées dans cet article, d'obtenir les réflexions et l'avis des usagers, auxquels on administre des substances à effet important et aux conséquences majeures.
S'il existe pourtant un moment essentiel pour le faire dans le cours de la vie, c'est bien le dernier quart d'heure(symboliquement). La réalité est heureusement légèrement différente, mais le réflexe médical est bien présent dans la grande majorité des cas: moi je sais, votre avis ne m'importe guère. Le colloque singulier, échange qui fait de la médecine une science humaine, devrait avoir toute sa force à ce moment-là.