Quatrième année d’internat de médecine générale dans les déserts : une vraie mauvaise idée ?
Paris, le samedi 1er octobre 2022 – C’est une expérience que
nous avons tous déjà vécu : un évènement redouté mais dont on ne
peut sincèrement méconnaître la probabilité survient, et on se sent
tout de même surpris, voire trahi. Ainsi, en un instant, on
constate qu’on avait finalement été plus crédule qu’on ne l’aurait
voulu face aux discours rassurants.
Dimanche dernier, le Journal du Dimanche (JDD) créait un
électrochoc, pourtant prévisible, en annonçant l’introduction dans
le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS)
présenté le lendemain d’un article créant une année supplémentaire
d’internat en médecine générale, année d’internat qui sera l’objet
de « fortes incitations » afin qu’elle se déroule dans des
zones sous-denses.
Bien sûr, alors que l’idée de cette année supplémentaire
n’était nullement plébiscitée par les futurs praticiens, le flou
entourant la notion « d’incitations fortes » fait redouter
le pire : une obligation d’exercer pendant au moins un an dans ces
déserts médicaux, avec qui plus est une rémunération d’interne.
Immédiatement, la plupart des organisations représentant les jeunes
médecins et les étudiants, soutenus par les syndicats de
praticiens, ont exprimé leur rejet d’une telle mesure.
Partout, le désert
Nous revoici donc une nouvelle fois confrontés aux déserts
médicaux, ces « déserts » qui peu à peu grignotent
l’ensemble du territoire français. Aujourd’hui en effet, le désert
n’est plus l’exception, mais la norme. « 87 % du territoire
français est considéré comme sous-doté (96 % en Ile-de-France)
», rappelle Dr Elise Fraih dans une tribune publiée dans
l’Express.
« Dans la France de la Sécurité sociale universelle, six
millions d’habitants, dont 600 000 sont atteints d’affection de
longue durée, n’ont pas de médecin traitant et les inégalités
géographiques sont criantes. Dans les zones les moins bien dotées,
il n’est pas rare de devoir attendre plus de trois semaines pour
consulter un généraliste et plus d’un tiers des habitants affirment
avoir renoncé à des soins pour des raisons de coût, de délai
d’attente ou d’accessibilité », lui fait écho un éditorial
publié dans le Monde daté d’aujourd’hui.
Le désert, c’est chez moi, c’est chez toi
Face à de tels chiffres, on ne peut que convenir de l’urgence
de mesures fortes. Cependant, on peut tout d’abord constater que la
représentation (et avec elle la peur) qu’ont les jeunes médecins
généralistes des déserts médicaux est sans doute quelque peu
décalée par rapport à la réalité. Ainsi, le jeune praticien et
blogueur qui répond au pseudonyme de Litthérapeute s’insurgeait
cette semaine : « Vivre un an d’enfer, sans réseau, dans une
région inconnue, seul, avec une demande médicale explosive, et un
temps de travail destiné à exploser, loin de sa famille ou de ses
amis… en quoi c’est sensé faciliter ou donner envie aux médecins
généralistes de s’installer exactement ? ».
Cependant, si 87 % du territoire français peut être considéré
comme un désert médical, cela recouvre bien plus que les hameaux
sans connexion internet et un grand nombre d’internes peut déjà
considérer qu’il vit dans une zone concernée
En général, qu’est-ce que vous appelez « désert » ?
Sauf à considérer d’une part qu’il faut tenir compte de l’ensemble
de l’offre de soins disponible : mais alors c’est juger que
l’hôpital, lui-même exsangue, peut servir de palliatif à une
médecine de ville moribonde. Ou surtout, quand on évoque les
déserts médicaux, on prend en compte l’ensemble des
spécialistes.
Or, en ce qui concerne les médecins généralistes, « seuls » 6
% des Français vivent dans une zone qui peut être considérée comme
un désert. Le Dr Elise Fraih remarque ainsi : « Le problème de
l'accès aux soins n'est pas celui de la répartition, mais de la
démographie médicale. Nous sommes 90 000 médecins généralistes en
France. Il en faudrait le double. Ce déficit est la conséquence de
plusieurs décennies sans investissement dans l'enseignement
supérieur et la formation. C'est un problème arithmétique qui ne
sera pas résolu en déshabillant des territoires pour en habiller
d'autres. D'autant que les médecins généralistes sont déjà ceux qui
sont répartis de la façon la plus homogène sur le territoire
».
Aussi peut on s’interroger sur la pertinence de la proposition
faite par le gouvernement.
Des jeunes, forcément coupables, forcément victimes
Au-delà de cette observation, les jeunes médecins ont perçu très
négativement une mesure qui reporte sur les nouvelles générations
la responsabilité de réparer les erreurs de décennies de mauvaise
gestion des ressources de santé. « Tu viens de donner presque 10
ans de ta vie pour te former à ton métier, « payé » au lance
pierre, 50 à 70h par semaine, gardes de 24h, et autres charmantes
conditions de travail, et on te dit « aller, encore un an dans les
déserts médicaux (et pas que), ça va te donner envie ! » résume
Litthérapeute. « Les internes de médecine générale sont des
médecins en formation universitaire, pas de la main d’œuvre
exploitable à bas coût pour arroser les déserts médicaux, ils ne
doivent pas accepter de jouer aux bouche-trous sanitaire »
s’exclame de la même manière sur Twitter, le professeur de
pneumologie, François Vincent (CHU de Limoges).
« Dans le contexte actuel, il ne faudrait pas que les
étudiants en médecine paient les maux du système de santé »
explique dans le Parisien de façon plus diplomatique, Yaël Thomas,
président de l’Association nationale des étudiants en médecine de
France (Anemf).
Il ne suffit pas de faire la guerre pour la gagner
Outre la question (cruciale) de la rémunération, l’inquiétude des
représentants des futurs médecins est multiple. D’abord, ils sont
quasiment unanimes sur le fait que cette année supplémentaire
n’aura pas l’effet escompté : inciter les jeunes à s’installer dans
les zones « sous denses » (d’autant plus s’il n’existe pas
d’encadrement).
Le « sacrifice » demandé pourra alors être considéré
comme vain. Le second risque est une détérioration de la qualité de
l’enseignement, si l’on veut croire que cette quatrième année ait
un intérêt pédagogique (et non pas uniquement politique et
démographique). Enfin, le plus grand dommage serait pour les
patients : « On est certains qu’une obligation en zone
sous-dense va provoquer une pratique de mauvaise qualité »
assène dans Le Parisien Théophile Denise, premier vice-président de
l'Isnar-IMG.
Le médecin répondant au pseudonyme PiR 2 BA sur Twitter
détaille en mettant en évidence pourquoi la réponse aux déserts
médicaux ne peut uniquement consister à « envoyer » des
jeunes au front : « S'installer dans un territoire, c'est pas
juste mettre un médecin derrière un bureau avec sa bible et son
stétho. La force du MG, c'est son réseau informel, sa capacité à
orienter son patient, car il connaît la communauté et le territoire
où il exerce », puis parlant de sa propre expérience (bien que
se déroulant dans un cadre privilégié) : « Les premiers mois
sont très difficiles. Je ne connais pas les aides sociales, les
associations, les cabinets d'infirmières, de kinés, les pharmacies.
Le moindre patient complexe demande des heures d'effort pour
organiser un parcours de soin qui tient la route. Et c'est après
plusieurs mois que se crée un réseau, adapté aux problèmes de la
communauté suivie. J'ai de plus en plus de patients âgés avec des
médecins traitants partis en retraite. Organiser les repas, les
aides de vie, le passage d'une ergo, les soins infirmiers. Suivre
les actions du SSIAD, du CLIC, organiser un bilan mémoire, un
passage de l'équipe de psychiatrie du sujet âgé, tout ce qui permet
un réel maintien à domicile dans des conditions acceptables c'est
du temps mais aussi savoir qui solliciter. C'est des liens de
confiance. Et ça, même en imaginant un interne motivé, même avec un
encadrement par un sénior, n'est pas réalisable en 6 mois ou un an.
Ils vont donc se retrouver jetés dans une fosse aux lions, avec des
patients complexes, nombreux, sans soutien, sans ce réseau qui
permet de faire un peu plus que des renouvellements/rhino/gastro
», explicite-t-il.
En finir avec la médecine de papa
Si outre toutes les réserves que nous venons d’évoquer, on ajoute
que la mesure ne devrait pas concerner les internes actuels (et son
application ne devrait donc pas être effective avant 2026) on
mesure les limites (pour demeurer dans l’euphémisme) de la
proposition du gouvernement. Pourtant, (et avant qu’on nous
reproche une hostilité systématique au gouvernement !) cette
dernière a le mérite de manifester une réelle prise de conscience
face à l’urgence.
Comment ne rien faire et dès lors que faire ? Sans doute, une
des pistes est de sortir d’une conception de l’exercice de la
médecine et de son organisation qui n’est pas adaptée à l’époque
actuelle. PiR 2 BA résume ainsi : « Il faut accepter que la
médecine générale a changé. Que c'est du gâchis de demander à un
praticien expert qui a fait 10 ans d'études de signer des cerfa
pour des arrêts gastros ou du sport. De vouloir garder à tout prix
le modèle 70 ».
Or, il existe probablement une forme de résistance syndicale,
en décalage avec les véritables aspirations du terrain,
qu’illustrent divers exemples. Ainsi, notre récent sondage a mis en
évidence qu’une majorité de médecins serait favorable à une
différenciation du prix de la consultation en fonction des
territoires, idée à laquelle se sont toujours opposés les
syndicats.
De la même manière, la force des corporatismes face aux
dispositifs qui pourraient permettre de réorganiser les soins et
donc dégager du temps médical est ainsi résumée par l’infirmier et
juriste Vincent Lautard : « Donc si je comprends bien pour
certaines organisations médicales : - mettre en place une quatrième
année d'internat supplémentaire pour les étudiants de médecine
générale en les incitant à la réaliser dans des déserts médicaux :
c’est non, augmenter les compétences des infirmiers et des
paramédicaux : c’est non, donner plus d’autonomie aux IPA
(Infirmiers en Pratique Avancée) : c’est non, donc en gros, on fait
rien contre les #Déserts médicaux et on attend, c’est ça ?
».
Si le résumé peut être considéré comme brutal, il semble
important de ne pas ignorer le rôle joué par les corporatismes dans
les blocages actuels. Sur ce point, au lendemain de la présentation
de la proposition du gouvernement, beaucoup d’infirmières ont fait
valoir que le conditionnement de l’installation à la démographie
médicale était une mesure en œuvre depuis longtemps pour les
infirmières sans que l’on puisse considérer qu’elle ait été à
l’origine d’une dégradation de la qualité des soins.
Sans doute, les situations des médecins et des infirmières ne
sont pas totalement comparables, mais cette observation est encore
une fois l’occasion de ne pas méconnaître l’influence de certaines
idées préconçues.
Pour tenter d’aller au-delà de ces dernières, on relira
:
Dr Elise Fraih,
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/deserts-medicaux-faut-il-restreindre-la-liberte-d-installation-des-jeunes-medecins_2180215.html
Les déserts médicaux, une urgence politique,
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/28/les-deserts-medicaux-une-urgence-politique_6143521_3232.html#:~:text=Dans%20les%20zones%20les%20moins,'attente%20ou%20d'accessibilit%C3%A9.
Quand on voit le prix de l'enseignement universitaire à l étranger, le moins que l'on puisse demander c'est effectivement une année, ou deux, d'exercice dans les déserts médicaux… Il y a quelques années il y avait bien le “service national “ !!!! Ou alors faire payer à son juste prix l'enseignement dispensé soit 10 à 50 fois les tarifs d inscription actuel …. Et financer l'installation de médecins salariés correctement rémunérés dans les zones sous dotés. D'autant qu'une fois installés en libéral c'est la solidarité nationale qui assure la garantie de paiement des honoraires des professionnels médicaux … ne pas l'oublier!
Dr C Clavel
Réponse à Litthérapeute
Le 01 octobre 2022
Vivre un an dans un paradis champêtre non pollué, avec le plus souvent un bon réseau, dans une région agréable peu soumise aux incivilités, loin d'une foule déchaînée et des embouteillages chronophages, avec une demande médicale variée, une patientèle respectueuse et un temps de travail raisonnable permettant de nombreuses activités, loin de sa famille pour un temps très limité… En quoi est-ce censé donner envie aux médecins généralistes de s'installer en métropole exactement ?
Dr A Krivitzky
Déserts médicaux
Le 01 octobre 2022
Bonjour, Vous avez omis de parler des professionnels de santé suspendus . Cordialement.